« Le regain d’optimisme est indécent. Car si la crise semble finie pour certains, elle ne fait que commencer pour le plus grand nombre ». C’est ce que nous dit avec justesse Philippe Frémeaux, directeur de la rédaction du magazine Alternatives Economiques dans son éditorial du numéro 282. Bien sûr, avec la reprise des marchés boursiers, les spéculateurs jubilent : ils peuvent continuer impunément à détourner des dizaines de millions $ de la production nationale dans leurs poches bien profondes. Mais pour la majorité, l’avenir n’est pas rose.
Il serait difficile de nier que la récession est en voie de décélération. On peut dire, comme le font les meilleurs économistes, comme Paul Krugman, que nous avons évité une « Grande Dépression 2.0 ». Mais rien n’indique encore clairement que nous allons connaître une reprise soutenable dans les mois à venir. Bien au contraire. L’économiste Roubini envisage plutôt la possibilité d’une rechute de l’activité.
Par exemple, les Etats-Unis viennent de connaître en août la faillite bancaire record de l’année avec la Colonial Bank, basée à Montgomery, dans l’Alabama. Avec des actifs de 25 milliards de dollars, cette institution a été fermée par les régulateurs du FDIC et rachetée par la banque régionale BB&T. La faillite de la Colonial Bank devrait coûter à la FDIC quelque 2,8 milliards de dollars. La Colonial était l’un des principaux promoteurs immobiliers (hypothèques et prêts) de Floride et du Nevada, qui comptent parmi les États les plus touchés par la crise des subprimes. Son titre s’est effondré ces deux dernières années, passant de 25 dollars en 2007 à moins de 50 cents cette année.
Le nombre de procédures de saisies immobilières aux Etats-Unis a atteint un nouveau record en juillet. Au total, 360 149 biens immobiliers ont fait l’objet d’une procédure, soit 7% de plus que le mois précédent, qu’il s’agisse de simples notifications de retard de remboursement d’emprunt aux propriétaires, d’annonces de ventes aux enchères ou d’expulsions des occupants. C’est la troisième fois en cinq mois qu’un nouveau record est atteint. En dépit des efforts des autorités fédérales pour limiter le nombre de procédures
Je pourrais continuer à énumérer autant de mauvaises nouvelles économiques que d’autres nous en présentent de bonnes. Mais ce qui à mon avis est le plus important, c’est que la situation de l’emploi continue à se détériorer et que des millions de travailleurs, au Québec et ailleurs, font face à des situations économiques difficiles qui ne peuvent qu’empirer dans les mois à venir.
Même Pascal Lamy, directeur général de la très libérale Organisation mondiale du commerce, a demandé de se garder de tout optimisme excessif puisque le nombre de chômeurs est toujours en augmentation et que ses effets politiques et sociaux n’ont pas encore été totalement ressentis.
« Bien que les marchés financiers aient montré récemment des signes de stabilisation et que la contraction du commerce [...] semble avoir atteint son point bas, il n’est pas encore très clair de savoir comment nous allons sortir de la crise et combien de temps cela va prendre », a-t-il déclaré aux représentants des 153 États membres de l’OMC. « L’Asie a commencé à connaître au premier trimestre un rebond du commerce, en partant de très bas, cependant je voudrais mettre en garde contre un optimisme excessif », précisant que « le pire » en matière d’effets politiques et sociaux de la crise était encore « à venir ».
L’économie européenne a effectivement continué à perdre des emplois en juillet. En Espagne, qui affiche le plus fort taux de l’UE, le chômage a continué à augmenter au deuxième trimestre pour atteindre à 17,92 %, selon de nouveaux chiffres. Le chômage, qui réagit toujours avec décalage par rapport à l’évolution de la conjoncture, devrait continuer à grimper dans les prochains mois selon la Commission européenne. Elle s’attend à ce qu’il atteigne un taux de 9,9 % en zone euro cette année, puis de 11,5 % en 2010. Les citoyens européens eux aussi sont préoccupés. Selon un sondage publié vendredi par la Commission européenne, près des deux tiers d’entre eux (61 %) pensent que le pire de la crise reste à venir en matière de chômage, et un tiers (32 %) de ceux qui travaillent sont «très inquiets» pour leur emploi.
Au Québec, en juillet, l’emploi total a régressé de 37 100. En dépit de la baisse de la population active (- 28 500), le nombre de personnes en chômage s’accroît (+ 8 600), et ce, pour un huitième mois de suite. Conséquemment, le taux de chômage monte (+ 0,2 point, à 9,0 %), à l’inverse du taux d’activité (- 0,4 point, à 65,3 %). On observe également une diminution du taux d’emploi qui, à 59,4 %, se trouve sous les 60 % pour la troisième fois depuis le début de l’année. Tout compte fait, au Québec, durant les sept premiers mois de 2009, l’emploi total recule de 30 700, dû aux résultats négatifs de l’emploi à temps complet, alors que la population active augmente, entraînant un accroissement du chômage et du taux de chômage.
Le nombre de prestataires d’assurance-emploi a augmenté de 9,2 % en un mois seulement et atteint un sommet en 12 ans au Canada. Le nombre de personnes recevant des prestations ordinaires d’assurance-emploi atteignait 778 700 au mois de mai, soit 65 600 de plus que le mois précédent. Ce nombre total de prestataires est un sommet depuis 1997, la première année pour laquelle des données comparables sont disponibles, a révélé hier Statistique Canada. L’augmentation du nombre de prestataires en mai s’est surtout fait sentir en Alberta (+16,8 %) et en Ontario (16 %), le Québec s’en tirant relativement bien avec « seulement » 5280 nouveaux prestataires (2,6 %), portant le nombre total à 206 720 personnes.
Ces nouveaux chiffres ne font qu’alourdir encore un peu plus le triste bilan de plusieurs mois de déprime économique. Les rangs des travailleurs canadiens obligés de se tourner vers l’assurance-emploi ont grossi de 66 % entre mai 2008 et mai 2009, et de presque 56 % seulement depuis le mois d’octobre.
Et rien n’indique que la situation devrait rapidement s’améliorer puisque le produit intérieur brut (PIB) réel du Canada a diminué de 0,5 % en mai, soit une baisse plus marquée que celles des trois mois précédents. Au cours des quatre derniers mois, les industries productrices de biens ont le plus contribué au repli du PIB réel, alors que la production de services est demeurée essentiellement inchangée.
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