L’auteure invitée est Claire Bolduc, présidente de Solidarité rurale du Québec.
Au moment où parler de complémentarité rurale/urbaine est devenu un passage obligé dans le discours de nos élites, on se doit de constater que c’est le sujet lui-même qui contribue le plus sûrement à propager des perceptions dépassées, à les entretenir tant chez les ruraux que chez les urbains et à maintenir des distances qui ralentissent notre capacité de bâtir le Québec du XXIe siècle. Voici une occasion de voir autrement nos villes, nos villages, nos territoires.
Des perceptions tenaces
Le fossé entre le monde rural et le monde urbain est bien réel, la ruralité et l’urbanité étant trop souvent encore considérées comme deux étapes successives de la modernité. L’image véhiculée du monde rural demeure celle des années 1960, bucolique et essentiellement agricole. Or, si l’agriculture demeure l’activité la plus visible sur le territoire, seulement 7 % de la population rurale vit d’agriculture. La ruralité comptera toujours sur l’agriculture, mais on ne peut la réduire à cette seule activité. Autrement, on ignore 93 % de sa population! Des activités manufacturières, culturelles, commerciales ou de loisirs sont en plein essor dans les communautés rurales, là comme ailleurs.
Des préjugés il y en a aussi dans le spectre du mépris et de la condescendance. Lorsque les médias font converger leurs projecteurs sur les communautés rurales, c’est souvent pour parler d’exode, de crise forestière, de fermeture d’usine, d’école ou de bureau de poste. Et pourtant! Le monde rural n’est pas un désert dévasté par la mondialisation. Il est en plein changement, fait d’innovation et de créativité, de réussites et de tours de force !
Une interdépendance marquée
Alors que la population des communautés rurales représente 26 % de la population totale du Québec, qui sait l’importance économique de ces communautés ? En juin 2009, le Conference Board du Canada a rendu publique l’étude « Les communautés rurales, l’autre moteur économique du Québec ». Bousculant encore une fois les préjugés établis, ses conclusions démontrent que le milieu rural est en plein essor et que sa contribution à l’économie québécoise est de taille. Plus encore, son apport au produit intérieur brut (PIB) a augmenté au cours des 15 dernières années. Les milieux ruraux ne sont pas des gouffres sans fin où l’on investit de l’argent public, bien au contraire. Au Québec, ce sont trois cent soixante-dix mille emplois des milieux urbains qui dépendent directement de l’activité en milieu rural.
Il faut le répéter et le rappeler, le génie de notre société est né dans les quatre coins de notre vaste territoire et des liens indéfectibles demeurent entre les villes et les communautés rurales. La vitalité culturelle du Québec se nourrit précisément de cette interdépendance. En effet, le bouillonnement de la culture est présent sur l’ensemble du territoire. Le Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, la Fabuleuse au Saguenay, Fred Pellerin qui nous raconte la vie des gens de Saint-Élie-de-Caxton, le Cirque du Soleil qui a vu le jour à Baie-Saint-Paul, le Village en chanson de Petite-Vallée, l’Orchestre symphonique de Montréal ou encore le Moulin à images illustrent bien la diversité culturelle du Québec. Ces succès éveillent et nourrissent notre fierté. Il faut puiser dans le réservoir de créativité de la population des villes et des communautés rurales. Et ce droit à la différence, nous le revendiquons ; l’épanouissement de notre identité en dépend.
Le dynamisme de nombreux milieux ruraux explique l’attrait qu’ils exercent chez une proportion importante d’urbains. L’exode des milieux ruraux est loin d’être généralisé. Le Québec s’inscrit dans la tendance mondiale où de plus en plus d’urbains choisissent les communautés rurales pour s’établir. Sans considérer cette nouvelle réalité, on ne saurait saisir les transformations en cours dans nos milieux. Le défi est de mobiliser cette énergie et de créer un espace pour l’expression et la cohabitation, afin de répondre à toutes ces aspirations. L’urbanisation à outrance ne peut prétendre être la seule voie pour le progrès et la prospérité. Il y a d’autres solutions que la concentration et l’économie d’échelle.
Tout le monde est d’accord, le Québec a besoin d’une capitale et d’une métropole fortes et énergiques, mais il faut plus que jamais affirmer qu’il a aussi besoin d’une ruralité dynamique et innovante. Les outils pour développer les villes et les communautés rurales doivent être adaptés aux situations de chaque territoire. Sachons reconnaître nos différences et bâtir sur les richesses qu’elles génèrent. Une réelle complémentarité réside justement dans les différences et non dans l’uniformisation. La ruralité, tout comme l’urbanité, est plurielle.
Construisons ensemble l’avenir
La vitalité, le développement et même la survie de nos milieux dépendent de l’utilisation de l’ensemble des ressources dont ils disposent. Dans le monde de demain, ce sont les collectivités ingénieuses et innovatrices sachant attirer et mobiliser des personnes, des énergies et des idées qui réussiront le mieux à survivre et à se démarquer. Les grands maîtres du développement local et de la vitalité des communautés sont les hommes et les femmes qui composent nos communautés, qui les colorent, leur donnent le ton et les orientations. Ils en sont la ressource première! C’est sur ses habitants que repose tout le dynamisme d’une communauté, qu’elle soit urbaine ou rurale. Aujourd’hui, c’est la complémentarité et la collaboration qui font que la communauté profite des compétences de tous et de chacun. C’est cette détermination qui permettra de mettre en relief nos différences, nos particularités, nos richesses.
Mille et une façons de vivre
Pour répondre pleinement aux besoins, valeurs et aspirations des collectivités en considérant à la fois leurs fonctions sociales, culturelles, environnementales et économiques, nous ne devons plus regarder nos milieux de vie d’une façon cloisonnée et sectorielle. La spécialisation du territoire comporte des avantages, mais aussi des limites. Plutôt que d’avoir une vision fragmentée de notre territoire, apprenons à en connaître les caractéristiques et à apprécier les particularités des gens qui l’habitent. La différence et la préservation des spécificités locales, tant urbaines que rurales, sont des richesses à partir desquelles peut se construire un projet de société inclusif pour toutes les régions, misant sur leur interdépendance et leur personnalité propre pour répondre aux aspirations variées de nos concitoyens. Pour assurer l’avenir de la société québécoise, il est essentiel de se connaître, de s’apprivoiser et de se faire confiance, car il y a mille et une façons de vivre.
Oublions les solutions mur à mur. Plutôt que de cultiver l’opposition entre les villes et les villages, développons leur complémentarité en reconnaissant leur différence. L’évolution démographique, le contexte de lutte au réchauffement climatique, les mutations profondes de l’économie et la vitalité sociale des communautés représentent les grands défis de notre temps. Pour les relever, le Québec peut compter sur des atouts qui caractérisent sa culture et les potentiels dont regorgent ses territoires. Nous devons nous approprier nos territoires, les habiter, les développer et les desservir afin de créer des milieux de vie dynamiques où les citoyens évoluent dans la dignité.
Solidarité rurale du Québec a toujours défendu le droit du monde rural à la prospérité et son droit à la différence. Ce travail conforte aujourd’hui les visionnaires fondateurs de notre coalition. Leur devise « Tant vaut le village, tant vaut le pays » trouve plus que jamais un écho plus large : « Pour un Québec fort de ses communautés! ».
On peut lire le texte au complet en allant sur le site de la revue Développement social, volume 11, numéro 2, novembre 2010.
Discussion
Pas de commentaire pour “Pour un Québec fort de ses communautés! Une complémentarité essentielle”