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Le samedi 23 avril 2022

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Comment réguler le prix de l’essence ?

L’auteur invité est Gilles Raveaud, maître de conférences en économie à l’Institut d’Etudes Européennes de l’université Paris 8 Saint-Denis.

L’essence est un bien nécessaire à beaucoup d’entre nous, et bien sûr à certains plus que d’autres, à commencer par celles et ceux qui ne peuvent pas prendre leurs pieds, le vélo, le bus ou le métro pour aller travailler, mais qui doivent s’y rendre en voiture. Pour ces personnes là tout particulièrement, la forte hausse du prix de l’essence est problématique.

Mais cette hausse, nous le savons, est nécessaire afin de préserver notre bien le plus précieux, notre environnement naturel. Dans ce cas, que faire ? Organiser une hausse régulière et prévisible du prix de l’essence à la pompe.

Le marché a échoué, encore une fois

Le prix de l’essence à la pompe ne cesse de fluctuer, suivant une tendance à la hausse […].

Cependant, on remarquera que http://www.prixcarburant.com/post/2007/05/11/Valeur-reelle-des-prix-du-carburant-en-France-depuis-1970 le coût réel de l’essence, rapporté au salaire, n’augmente pas, lui, mais diminue : un salarié rémunéré au SMIC devait travailler pendant 20 minutes pour pouvoir acheter un litre d’essence en 1970 ; il ne lui en fallait moins de 10 en 2005 :

Nous supposons ici que ce prix reflète le prix réel du pétrole, et que ce prix est lui-même fixé par l’offre et la demande. Autrement dit, nous faisons deux hypothèses très fortes : d’une part nous supposons que les compagnies pétrolières comme Total répercutent les variations de prix à la hausse et à la baisse sur le prix de vente au détail ; et d’autre part nous éliminons le rôle de la spéculation comme déterminant du prix du baril de pétrole (un baril mesure 159 litres).

Bien entendu, ces deux simplifications sont fausses : Total et cie répercutent plus vite les hausses que les baisses, et la spéculation joue un rôle non négligeable dans les évolutions du prix du baril. Cependant, il faut remarquer que même si cela n’était pas le cas, demeurerait le problème essentiel, qui est que le prix du pétrole varie en permanence (ce que l’on appelle la “volatilité”). Il faut remarquer que cette grande variabilité est une propriété que les libéraux considèrent désirable, et même essentielle : pour eux, il faut que le prix du baril du pétrole soit libre, afin qu’il puisse refléter les évolutions de l’offre et de la demande (le prix baisse lorsque de nouvelles réserves sont découvertes, car l’offre augmente ; il augmente lorsque la croissance économique est forte, car la demande s’accroît ; etc.).

Or cette logique oublie un facteur essentiel : pour pouvoir calculer, les acteurs économiques ont besoin de prévisibilité. Le calcul économique ne peut s’appuyer sur les sables mouvants des prix qui fluctuent sans cesse. L’industriel comme le consommateur ont besoin de savoir combien l’essence leur coûtera, aujourd’hui, demain, et, si possible, dans 5 ans. En effet, en fonction de ce prix, ce sont non seulement des petites décisions qui sont prises (vais-je pouvoir partir en week-end ?), mais aussi des grandes (dois-je changer de voiture ?), voire des très grandes (dois-je changer de travail, pour en trouver un plus près de chez moi ? Dois-je déménager ?).

Laisser le “marché” fixer le prix du pétrole empêche donc les individus de calculer. Cette situation est très étrange, du point de vue même de l’efficacité économique, pourtant obsession affichée des libéraux : comment l’économie pourrait-elle bien fonctionner si les individus qui la composent sont placés dans une situation d’incertitude telle qu’ils ne peuvent savoir comment effectuer leurs choix économiques de consommation, d’épargne, de travail, de lieu de logement, etc. ?

La correction du marché, exercice vain

Face à cette situation, ce sont toujours les mêmes propositions qui sont avancées : faire payer une (toute petite) taxe aux compagnies pétrolières ; verser des aides aux ménages les plus touchés ; demander à l’Etat de réduire les impôts qu’il prélève sur le prix de l’essence, et qui en représentent en effet une part très importante (60% au total, lorsque l’on ajoute la Taxe Intérieure sur les Prix Pétroliers (TIPP) et la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA)).

Ces solutions pourraient peut-être avoir du sens dans le cas d’un bien de consommation standard, qui s’avèrerait être lourdement taxé par l’Etat. Mais elles ne fonctionnent pas dans le cas du pétrole, pour lequel la forte taxation a précisément pour raison d’être de limiter la consommation. On a déjà oublié la “chasse au gaspillage” des années 1970, et les consommations délirantes des voitures de l’époque, qui demandaient largement plus de 10 litres pour parcourir 100 kilomètres, les constructeurs automobiles de l’époque devant jurer, j’imagine, qu’il était impossible de faire autrement. Mais du fait de la forte hausse du prix du pétrole, tout le monde s’est adapté, consommateurs comme constructeurs : on a fait plus attention, les moteurs sont mieux réglés, les pneus mieux gonflés, les voitures consomment moins, etc.

Réduire fortement la consommation de pétrole et autre sources d’énergie dont la combustion dégage du dioxyde de carbone est une priorité absolue. Dans les villes, la pollution entraîne des milliers de morts chaque année. Partout, la planète se dégrade à une vitesse considérable. Nous n’avons pas le choix. Il n’est donc pas raisonnable de demander à l’Etat de contribuer à réduire les taxes sur l’essence, surtout quand la hausse du prix du pétrole entraîne dans le même temps des super-profits pour les compagnies pétrolières privées.

Les solutions : nationalisation et contrôle des prix

Que faire ? D’abord, nationaliser les compagnies pétrolières. L’énergie est une question bien trop importante pour être laissée aux mains de quelques décideurs libres de faire ce qu’ils veulent. Comment accepter que la décision d’exploiter tel ou tel gisement soit laissée aux seuls dirigeants de Total ? N’est-ce pas une décision qui engage l’ensemble de la collectivité humaine ? Ne devrait-elle pas être débattue publiquement ?
Ensuite, lorsque les compagnies sont publiques, cela signifie que leurs profits reviennent à l’Etat, qui peut alors les utiliser pour investir dans les énergies renouvelables, dans la recherche de technologies de dépollution, dans la construction d’infrastructures de transport collectif permettant de réduire l’usage de la voiture, etc.

Enfin et surtout, il faut revenir à la détermination par l’Etat du prix de l’essence. Ce prix devrait être le même partout, afin d’éviter les longs trajets effectués par certains pour se rendre à la pompe la moins chère, ce qui constitue un gaspillage. De plus, rendre le prix de l’essence identique sur tout le territoire permettrait de rendre à nouveau rentables certaines pompes qui ont disparu, ce qui créerait des emplois et recréerait un peu d’activité dans certaines zones économiques délaissées.

Mais ce n’est pas tout. Afin de préparer chacun à la transition énergétique, il faut que l’Etat annonce quel sera le prix de l’essence dans les années à venir. Ce prix n’a pas besoin d’être précis au centime près. Il peut être annoncé sous forme de fourchette, par exemple : en 2012, le prix de l’essence sera compris entre 1,6 € et 1,7 €. Le montant de ce prix serait décidé collectivement, par consultation des spécialistes de l’énergie, des associations de protection de l’environnement, des professions concernées (transporteurs routiers), etc. Il demeurerait fixe pendant un an. Afin de lui donner une valeur symbolique, il pourrait être adopté par le Parlement.[…]

A propos du prix de l’essence, il existe deux facteurs essentiels de perturbation pour chacun d’entre nous : d’une part nous ne savons pas si le prix ne va faire qu’augmenter, ou s’il peut redescendre, comme chacun l’espère nécessairement ; et d’autre part nous ne savons pas à quel rythme il va augmenter.

Si l’Etat fixait le prix de l’essence, ces deux problèmes seraient réglés : nous saurions avec certitude que ce prix ne baissera plus, car cela est nécessaire pour la planète, et donc pour nous-mêmes ; d’autre part, nous connaîtrions les hausses auxquelles nous attendre, à une échéance de 1 ans, 2 ans, 5 ans, voire 10 ans. Ainsi, nous saurons comment nous adapter, et quelles décisions, individuelles et collectives, nous devons prendre.

On peut lire le texte au complet en allant sur le site du magazine Alternative Economiques.

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