L’auteure invitée est Catherine Dorion, auteure, slammeuse et militante souverainiste.
Réformer le fédéralisme, êtes-vous sérieux? Va-t-on vraiment, encore une fois, voir le débat public se noyer dans l’idée qui a le plus contribué à l’immobilisme, au cynisme et au désengagement de la nation québécoise? Les bras m’en tombent autant que lorsque mon chum recommence à fumer après des semaines d’efforts héroïques pour se débarrasser de la cigarette. Encore! Va-t-on vraiment reprendre cette sempiternelle ritournelle sous prétexte qu’il ne serait pas moralement gentil de faire la souveraineté, comme si nous n’avions pas déjà assez accumulé de bonnes raisons de la faire au fil de notre histoire conflictuelle avec le Canada?
Vraiment? Retourner pour la millième fois dans notre histoire récente pleine de murs ce beau risque de René Lévesque qui crut, lui aussi, que le fédéralisme était réformable, et qui le reçut dans la gueule lorsqu’il se réveilla le lendemain de «la nuit des longs couteaux» avec une Constitution qui avait été signée sans lui et qui ne prévoyait plus, comme il l’avait négocié, ce fameux droit de retrait des programmes fédéraux avec compensation financière? Ce René Lévesque qui l’eut dans la gueule lorsqu’il se rendit compte qu’en plus d’avoir été littéralement tassé parce qu’on ne voulait pas des chichis du Québec dans le ROC, on lui imposait sans son consentement une nouvelle Charte des droits qui allait petit à petit vider la loi 101 de son essence?
Promesse molle et opportuniste
Allons-nous retourner nager une millième fois dans l’histoire de cet humiliant soufflet du lac Meech, cette entente qui promettait au Québec une reconnaissance comme société distincte en plus de ce fameux droit de retrait des programmes fédéraux, et qui fut cavalièrement rejetée par le Canada anglais? Faut-il, en plus, mentionner que Brian Mulroney, l’homme à l’origine de cette tentative de réconciliation, avait été élu principalement sur une promesse claire de ramener le Québec dans la famille canadienne et de lui faire signer la Constitution dans l’honneur et l’enthousiasme — une promesse un million de fois plus claire, plus compromettante et plus sincère que celle, toute molle et relativement opportuniste, de Jack Layton à la fin de la dernière campagne?
Et vous osez mentionner le rapport Allaire et la loi 150 de Bourassa, qui proposaient que le Canada fasse une offre satisfaisante au Québec, sans quoi le Parti libéral du Québec (oui, oui, lui) ferait un référendum sur la souveraineté — une espèce de police d’assurance… Vous osez soutenir que tel devrait être, aujourd’hui, le point consensuel de la classe politique québécoise! Comme si cette idée de «souverainisme de conclusion», de «donnez-nous ça ou bedon on s’en va», n’avait pas été bafouée à grandes claques lorsque ce même rapport Allaire et cette même loi 150 ont été littéralement tassés et vidés de leur substance, causant à l’intérieur du parti lui-même et dans toute la société québécoise un véritable sentiment d’abandon par le PLQ qui s’était fait le porte-étendard de ce souverainisme de conclusion et qui avait ensuite noyé le poisson! Vos exemples sont bien mal choisis, monsieur Seymour, et il est beaucoup trop facile de les citer sans mentionner la triste fin qu’ils ont connue.
L’éléphant au milieu de la pièce
Mais vous persistez. «En appuyant le NPD, dites-vous, les Québécois disent qu’ils veulent à nouveau chercher un arrangement à l’intérieur du Canada.» Supposons que cela fût vrai pour une partie d’entre eux. Pourquoi, maintenant que les jeux sont faits, faites-vous mine de ne pas voir l’éléphant au milieu de la pièce? Pourquoi faites-vous comme si les Québécois, qui ont voté NPD en bloc contre les conservateurs et qui se retrouvent avec un gouvernement conservateur majoritaire, n’étaient pas en train d’en venir à cette trop évidente conclusion qu’ils avaient été encore une fois un peu fous de croire qu’il était possible de faire quelque chose de cool avec le Canada? Pourquoi faites-vous comme si les Québécois n’étaient pas en train de se dire, sur tous les réseaux sociaux et à travers une foule de médias, que la solution évidente, sensée, tout indiquée, celle qui revient à l’esprit au galop, c’est la souveraineté?
Les Québécois ne veulent pas poser un geste «moralement condamnable», dites-vous? Ce qui serait moralement condamnable, ça ne serait pas de faire la souveraineté du Québec sans offrir au préalable encore une dernière chance au Canada anglais, ça serait d’empêcher que le Québec sorte de cette ronde absurde de négociations constitutionnelles ratées d’avance, ça serait d’empêcher qu’il naisse enfin au monde comme viennent de le faire les quelque quarante nouveaux États qui ont obtenu leur siège à l’ONU depuis le référendum de 1980.
Le Québec est à la hauteur
Vous dites que le Québec a rejeté le Bloc parce qu’il n’avait pas envie d’être replongé dans un débat sur la question nationale. Je doute de la véracité de cette affirmation, mais imaginons tout de même que cela soit vrai — avant le 2 mai. Les résultats de l’élection ne peuvent que donner au Québec l’envie de faire resurgir ce débat avec force, et la teneur même de votre article en est un indice. On a tellement répété aux souverainistes qu’il fallait passer à autre chose. Mais on se rend compte aujourd’hui qu’il n’y a pas mille façons de passer à autre chose.
Il faut sortir de cette espèce de supplice de Sisyphe collectif dans lequel des arguments comme le vôtre nous gardent. L’État du Québec, plus populeux que 120 des pays qui siègent aujourd’hui à l’ONU, d’une étendue territoriale et d’une économie qui surpassent ceux d’environ 90 % des États dans le monde, doté d’une des populations les plus scolarisées de la planète, possédant des ressources naturelles qui en font, du point de vue de l’eau douce (de plus en plus rare) et de l’énergie propre, l’Arabie saoudite de demain, est clairement à la hauteur de ses velléités d’indépendance politique.
Il pourrait, au lieu d’être pogné dans un rapport de force inutile avec un gouvernement qui ne le représente pas, se gouverner lui-même selon ses propres valeurs, sa propre culture, ses propres lois et surtout selon ses propres intérêts. Mais l’économie! L’économie! direz-vous. N’ayez plus peur: l’économie n’appartient plus au Canada. Elle appartient au monde entier. Elle ne dépend plus d’une vieille union fédérale faite pour un autre siècle, elle dépend d’une mondialisation économique à laquelle notre bien commun québécois commande aujourd’hui que nous participions.
Un nouvel État accueillant
Le 2 mai, le vent a tourné, monsieur Seymour. Ce sont les souverainistes qui ont, à partir d’aujourd’hui, en plus du rêve, la force du pragmatisme et du réalisme. Il est dans notre plus pur intérêt d’accéder à l’état de pays, et il me semble étrangement déraisonné, presque passionnel, de vouloir demeurer, comme par un attachement atavique, bizarre et nostalgique, à cet autre pays, le Canada, qui ne nous a donné par le passé (ni ne nous donne dans le présent) aucune bonne raison de ne pas faire notre chemin sans lui.
Je termine avec une pensée particulière pour tous ces Canadiens du ROC qui ont voté contre Harper et qui doivent très mal dormir ces jours-ci. Ce sera bien sûr une très maigre consolation pour eux, mais je tiens tout de même à les rassurer: il risque d’y avoir bientôt à leurs portes un nouvel État accueillant, aux antipodes de ce que le Canada est en train de fabriquer et de devenir, et dans lequel ils seront plus que bienvenus.
On peut lire le texte au complet en allant sur le site du quotidien Le Devoir.
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