Depuis quelques années, plusieurs experts européens, de divers domaines mais avec un intérêt commun pour l’anticipation politique, se sont regroupés sous l’égide du Laboratoire européen d’anticipation politique (LEAP). Ils publient sur le web un bulletin, le GEAB (GlobalEurope Anticipation Bulletin), ainsi qu’une veille quotidienne de l’actualité. L’accès à leurs publications complètes exige un abonnement, mais ils mettent néanmoins en ligne gratuitement les grands faits saillants de leurs anticipations. Bien qu’à certains égards leurs analyses soient systématiquement colorées par un catastrophisme qui devient finalement assez prévisible, leurs réflexions n’en gardent pas moins un intérêt certain sur la dynamique irresponsable dans laquelle nous entrainent les décideurs actuels du monde.

Dans leur plus récent bulletin, le GEAB N°54 « Crise systémique globale : Automne 2011 – Budget/T-Bonds/Dollar, les trois crises américaines qui vont provoquer la Très Grande Panne du système économique, financier et monétaire mondial », les animateurs de LEAP2020 annonce finalement le début de la crise de l’économie-monde étatsunienne. Tout, en effet, semble bien agencé pour s’attendre à une telle crise : la Grande récession qui a fragilisé l’économie mondiale; l’oligarchie économique – essentiellement des secteurs de la finance et du pétrole – qui s’acharne, par tous les moyens, même par le recours à la réaction, à s’opposer aux nécessaires transformations sociales; notre incapacité d’agir contre le réchauffement, avec tout ce que cela implique en termes de coûts financiers, sociaux et humains.

C’est pourquoi lorsque le LEAP/E2020 se dit en mesure de confirmer que la prochaine étape de la crise sera bien la « Très Grande Panne du système économique, financier et monétaire mondial », je ne peux qu’être sensible à leur propos. Mais en nous disant que cette panne historique surviendra à l’Automne 2011, et « d’une ampleur historique [qui fera] paraître la crise de l’Automne 2008 comme ce qu’elle était réellement : un simple détonateur », ils perdent un peu de crédibilité. Évidemment, s’il advenait qu’une crise majeure se produise l’automne prochain, le LEAP deviendrait la coqueluche instantanée des médias peoples. Mais il serait malheureux que cette exagération vous empêche de prendre connaissance de leurs réflexions.

Notons par exemple que, pour eux, c’est le Royaume-Uni qui se trouve à être l’« homme malade de l’Europe ». La tentative selon eux ratée de l’électrochoc budgétaire du tandem Cameron/Clegg et l’aventure militaire libyenne devraient plutôt provoquer la rechute de l’économie britannique en récession et l’implosion de la coalition au pouvoir.

Plus fondamentalement, le processus que nous annoncent les experts du GEAB est celui de l’apurement de 20 000 milliards $ d’actifs-fantômes qui s’envoleraient en fumée à partir de l’automne 2011 sous l’effet conjugué des trois méga-crises US en gestation accélérée :
– la crise budgétaire, ou comment les Etats-Unis plongent de gré ou de force dans une austérité sans précédent et vont y entraîner des pans entiers de l’économie et de la finance mondiale ;
– la crise des Bons du Trésor US, ou comment la Réserve fédérale US atteint le « bout du chemin » entamé en 1913 et doit faire face à sa faillite quel que soit le camouflage comptable choisi ;
– la crise du Dollar américain, ou comment les soubresauts de la devise US qui vont caractériser l’arrêt du Quantative Easing 2 au second trimestre 2011 seront les prémisses d’une dévaluation massive (de l’ordre de 30% en quelques semaines).

Ça ressemble à un film catastrophe étatsunien, où on comprime en quelques heures des décennies de changements climatiques pour les fins d’un bon suspense qui va attirer le public. Faut que les gens aient peur !

Néanmoins, ils n’ont pas tout à fait tort lorsqu’ils nous disent que les trimestres à venir sont cruciaux : l’environnement spéculatif va devenir hautement imprévisible du fait que les trois crises potentielles sur le budget, la dette et le dollar des États-Unis sont prévisibles mais ne sont pas synchrones. Elles peuvent facilement dégénérer dans une dynamique tout à fait imprévisible étant donné que les décideurs politiques du monde n’ont pas eu le courage et la volonté de prendre les nécessaires mesures pour une nouvelle régulation du système économique mondial. Mais elle est surtout imprévisible parce que le système politique étatsunien actuel est à ce point déqualifié que tout peut arriver.