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Le samedi 23 avril 2022

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L’Euro contre les salaires : que font les syndicats ?

L’auteure invitée est Anne Dufresne, sociologue à l’Université Catholique de Louvain.

Lentement, mais sûrement. La négociation salariale s’européanise. Alors que le « Pacte Euro-plus » adopté sous impulsion franco-allemande et sur fond de crise par les gouvernements européens prône la modération salariale, les syndicats de toute l’Europe pourraient justement décider de s’entendre sur le terrain glissant de la négociation salariale. Si tout se passe très vite depuis quelques mois, revenons tout de même un peu en arrière… Anne Dufresne publie l’ouvrage « Le salaire, un enjeu pour l’eurosyndicalisme ». Elle en déroule pour Metis les principaux points.

L’Union Économique et monétaire a dépolitisé le salaire. Depuis plus de trente ans, au sein de l’Europe, on constate une redistribution massive des revenus du salaire vers le capital. La part des salaires dans le revenu national a décliné de manière continue. La modération salariale – mesure économique visant le ralentissement de la croissance des salaires réels – s’est installée comme nouvelle norme en Europe. Et la récente crise ne fait qu’accentuer ce phénomène. Comment donc, malgré cette chute vertigineuse de la part salariale, la revendication salariale à l’échelle de l’Union européenne (UE) est-elle longtemps restée un point aveugle ?

Au niveau communautaire, c’est le refus de délibération politique autour des salaires qui domine les discours institutionnels. C’est tout à fait patent dans le discours de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui, depuis la création de la zone euro, en 1999, justifie la convergence européenne sur la modération salariale, Ainsi, tous les mois, dans ses bulletins, la BCE argumente pour modérer les revendications : elle parle de « nécessaire » modération salariale à obtenir par la « responsabilisation » des syndicats. Le salaire n’y est ici plus considéré comme faisant l’objet d’une délibération politique. Il se retrouve réduit à un indicateur de « coût du travail ». C’est ce que je nomme la dépolitisation du salaire, considéré comme une variable d’ajustement du système de l’Union économique et monétaire (UEM). Si le salaire est depuis Maastricht une variable d’ajustement économique, il est aussi une matière non légiférable à l’échelon de l’UE. Par l’article 153.5 du TFUE, il est explicitement exclu de la capacité législative communautaire (tout comme les droits d’association et de grève).

Pacte et paquet, lourds de la modération salariale à l’allemande

Pourtant aujourd’hui, et pour la première fois à cet échelon, les salaires sont désormais visés par le pacte Euro-plus. Ce dernier propose une surveillance macro-économique pilotée principalement par les institutions économiques (BCE, DG Ecofin, et ministres de l’économie et des finances) et introduit une coordination des salaires « à la baisse » sous le critère de la compétitivité. Cette nouvelle procédure implique que les salaires des pays signataires (22 pour le moment !) soient mis sous pression par la politique de modération salariale allemande (baisse de 4,5% du salaire réel entre 2000 et 2009), comme l’explique Bérèngère Dupuis dans l’article « La coordination des politiques économiques se renforcent et virent un peu plus à droite« , paru dans Démocratie en février dernier.

L’UE s’immisce ainsi dans les négociations nationales et donne sa recette pour une modération salariale réussie. Elle prescrit primo de « réexaminer les dispositifs de fixation des salaires » ce qui menace directement l’autonomie des interlocuteurs sociaux ; secundo de « réexaminer le degré de centralisation du processus de négociation », c’est-à-dire d’accentuer la tendance à la décentralisation de la négociation collective vers l’entreprise, limitant de facto les niveaux sectoriel et interprofessionnel, lieux de l’institution syndicale porteurs des valeurs de solidarité et de transformation sociale. Enfin, dernier ingrédient, il est aussi demandé aux gouvernements de presser les salaires dans le secteur public. Cette attaque frontale de l’UE contre les salaires et les organisations syndicales est un tournant symbolique important. Quels sont alors les perspectives et les euro-revendications envisageables ?

La construction transnationale de la revendication salariale

La CES a maintenant tout intérêt à placer le salaire au cœur de l’euro-syndicalisme. Au lieu de diviser, la question des salaires pourrait donc au contraire être l’objet d’une coordination accrue entre les différents syndicats. Faisons le parallèle avec l’expérience de Doorn. En 1996, la Belgique vote la « loi sur la sauvegarde de la compétitivité » imposant une norme salariale aux syndicats belges qui doivent confronter leurs performances salariales avec leurs principaux partenaires commerciaux : l’Allemagne (déjà !), les Pays-Bas, et la France. Cette intervention de l’Etat belge dans l’autonomie de la négociation collective entraine alors peu de temps après l’établissement d’une coordination avec les syndicats des pays concernés pour éviter le dumping salarial, appelée initiative de Doorn.

Aujourd’hui, on peut voir le « Mécanisme de supervision des écarts de compétitivité » du pacte euro-plus comme une « norme salariale européenne », elle aussi retirée des mains des interlocuteurs sociaux et, en outre, passible de sanctions. La réponse en matière de coordination syndicale pourrait-elle alors s’étendre à l’échelle des pays signataires ? Même si la tâche est immense et l’exercice complexe, il est important de connaître l’ampleur du travail syndical déjà accompli en la matière. En effet, depuis le début des années 1990, certains syndicats (et en particulier la Fédération européenne des métallurgistes) se sont déjà engagés dans de telles stratégies de coordination visant à lutter contre le dumping salarial (leur histoire est relatée dans l’ouvrage, ci-dessous).

Dans ces processus, se pose également la question du « salaire minimum européen ». Alors qu’en 2007 au dernier Congrès quadriannuel de la CES à Séville, la question s’était surtout posée dans les coulisses, elle sera certainement très discutée à Athènes lors du Congrès à venir. Ce sont bien les divergences entre syndicats nationaux, et en particulier le refus persistant des pays nordiques et de l’Italie ainsi que les modalités d’une telle revendication sur base des salaire minimums (légaux ou conventionnels) déjà mis en place dans 21 des 27 états membres de l’UE qui expliquent la difficile construction de cette revendication par la CES. A noter que les Allemands, en campagne sur le salaire minimum dans leur propre pays pour pallier leurs difficultés syndicales sont moteur pour pousser cette revendication européenne. Or, si le moteur politique franco-allemand vient tout juste d’imposer brutalement une spirale à la baisse des salaires, le moteur syndical franco-allemand, lui, n’a jusqu’à présent jamais fonctionné comme courroie d’entrainement d’une coopération syndicale transnationale.

En fin de compte, le pacte des gouvernements pourrait peut-être raviver la coordination des négociations collectives nationales ainsi que l’élaboration d’une règle européenne en matière de salaire minimum, gageant ainsi d’une capacité future de mobilisation européenne. C’est ce que nous dira le prochain Congrès de la CES qui aura lieu du 16 au 19 mai prochain !

Pour lire le texte au complet, avec les références, on va sur le site Metis, correspondances européennes du travail

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