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Le samedi 23 avril 2022

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La finance facteur d’inégalités

L’auteur invité est Olivier Godechot, sociologue, chargé de recherche CNRS au Centre Maurice Halbwachs et au Laboratoire de Sociologie Quantitative.

Cette étude montre que, contrairement aux idées reçues, les PDG et des superstars du sport ou du divertissement ne sont pas les premiers responsables de l’accroissement des inégalités. C’est l’évolution des rémunérations des cadres de la finance qui a en fait le plus contribué à ce phénomène.

La montée des inégalités aux États-Unis est désormais presque un fait de connaissance commune. Ce phénomène ne se limite plus à ce seul pays, mais est bien plus général et international. Les travaux de Camille Landais montrent qu’en France, les inégalités ont aussi recommencé à augmenter, à un rythme soutenu, mais ceci seulement depuis la fin des années 1990La description analytique et l’interprétation de cette évolution ne font que commencer. Un facteur, largement commenté, est la hausse considérable des rémunérations des PDG au cours des trente dernières années. Un autre facteur tient à l’augmentation des rémunérations dans l’industrie du divertissement pour les superstars du sport et des arts. Toutefois, il n’est pas certain que ce soient ces élites visibles qui contribuent le plus à la montée des inégalités. Plus récemment, en partie en raison de la crise financière et de l’indignation suscitée par les bonus, l’importance des salaires dans la finance a été étudiée. Bell et Van Reenen estiment ainsi que 70% de l’augmentation récente de la part du centile supérieur dans la masse salariale au Royaume-Uni a été capturée par des salariés de l’industrie financière.

Le but de cette contribution est d’étudier la transformation des inégalités en France. Nous nous appuyons pour cela sur les données DADS (1976-2007), les données salariales de sécurité sociale française pour le secteur privé. Ces données nous permettent de poser des questions sur l’évolution des inégalités salariales en France. Tout d’abord, quelle est la fiabilité de la montée des inégalités découvertes par Landais sur la base de sources fiscales autodéclarées ? Si cette tendance est robuste, alors quels sont les groupes qui y ont le plus contribué ? Les PDG, les managers, les experts, les superstars du divertissement ? La finance parisienne, moins opulente que celle de Londres ou de Wall Street, a-t-elle pour autant contribué à cette montée des inégalités ?

L’évolution des salaires en France

Afin d’analyser l’évolution des inégalités, nous calculons les fractiles en haut de la distribution des salaires. Le graphique 1 montre l’évolution des salaires pour les différents fractiles. Nous constatons une augmentation globale des salaires, mais à des taux différents pour chaque fractile. F0-90 croît assez lentement. Dans l’ensemble, les salariés les plus favorisés (F90-95, F95-99 et F99-99.9) semblent augmenter régulièrement et au même taux. F99.9-99.99 et F99.99-100 croissent plus rapidement, en particulier au cours des dix dernières années. En 2007, le dix-millime supérieur, soit les 0.01% les mieux payés dans le secteur privé (1692 personnes), touchaient au minimum 867 000 €, et en moyenne 1 682 000 € par an, alors que les 90% les moins payés touchaient entre 7 600 € et 46 700 € de salaire brut annuel et gagnaient en moyenne 22 400 €.

Les conséquences de cette tendance sont les suivantes. La part de la majorité dans la masse salariale est globalement en baisse, perdant 2 points en 30 ans. La part des « classes moyennes » reste globalement stable ou augmente à un rythme lent. Cependant, lorsque nous passons au millime supérieur, nous pouvons voir une forte augmentation de leur part à partir de 1996, celle-ci passant de 1,2% de la masse salariale à 2,0% en 2007. La moitié de cette hausse de 0,8 point est revenue au top 0,01% et l’autre moitié alimente le reste.

Le rôle de la finance

Une approche sectorielle nous permet de décrire plus précisément le type de salariés qui ont le plus contribué à l’accroissement des inégalités. Certains secteurs comme l’industrie, le commerce et les restaurants, les transports et la communication sont aujourd’hui beaucoup moins représentés au sommet de la hiérarchie des salaires qu’ils ne l’étaient il y a 30 ans. Par exemple, 38% du millime supérieur travaillaient dans l’industrie en 1976, alors que seulement 14% le font en 2007. D’autre part, les services aux entreprises, la finance et dans une moindre mesure, le divertissement et les autres services ont augmenté parmi les salariés les mieux rémunérés. En 1976, 10% du millime supérieur travaillaient dans les services aux entreprises et 6% dans la finance. En 2007, ils étaient respectivement 26% et 24%. En outre, l’augmentation et la diminution des différents secteurs au sein de l’élite salariale doivent être rapportées à leur évolution au sein du secteur privé dans son ensemble. Ainsi, les services aux entreprises sont un secteur dans lequel l’effectif a augmenté très rapidement au cours du dernier quart de siècle, alors que le nombre de salariés de la finance est resté une proportion assez stable du secteur privé (environ 3% des salariés du secteur privé). Au début des années 1980, les salariés de la finance étaient deux fois plus présents dans le millime supérieur qu’ils ne l’étaient au dessous de ce seuil. Ce ratio a augmenté faiblement dans les années 1980 et très fortement dans les années 1990. En 2001, il culmine à 10, en raison des primes considérables accordées après l’excellente année 2000 sur les marchés.

Par conséquent, nous pouvons essayer de quantifier la contribution de ce secteur à l’accroissement des inégalités entre 1996 et 2007. Nous suivons ici Bell et Van Reenen. Nous calculons la contribution de la finance, des services aux entreprises, du divertissement et d’autres secteurs à l’augmentation de 0,85 point de la part du millime supérieur dans la masse salariale. Nous constatons que la finance a contribué à 48% de cette hausse, tandis que les services aux entreprises et les autres secteurs ont chacun contribué à près de 23%, et enfin le divertissement à 8%.

Lorsque nous nous restreignons au dix-millime supérieur, nous constatons que la finance est responsable de 57% de la hausse. À la fin de la période, la finance constitue 37% de son effectif. Les financiers sont 19,4 fois plus représentés à ce niveau que dans les tranches inférieures. La surreprésentation de ce secteur dans ce fractile est beaucoup plus élevée que celle atteinte par les services aux entreprises ou le divertissement. Enfin, le graphique 4, qui compare l’évolution des salaires de quelques métiers de l’élite salariale, nous permet de résumer certaines de nos principales constatations. Dans le graphique, nous analysons l’évolution des salaires du top 100 des cadres de la finance, du top 100 des cadres hors finance (et hors divertissement), du top 100 des chefs d’entreprise, du top 25 des sportifs, et du top 20 des salariés du secteur cinéma, télévision et vidéo (dont la plupart sont des acteurs). Entre 1996 et 2007, les salaires ont augmenté de 1,5 dans ce dernier groupe, de 3,3 dans le sport et pour les PDG, de 3,6 pour les cadres hors finance, et de 8,7 pour le top 100 des cadres de la finance.

Par conséquent, les professions bien rémunérées les plus examinées, telles que les PDG et les superstars du divertissement, ne sont pas les principaux responsables de l’accroissement des inégalités par rapport aux cadres de la finance, en particulier parmi ceux-ci, au sein des salles de marché, les chefs d’équipe et les chefs de salle.

La France a connu une forte augmentation des inégalités au cours des 12 dernières années. La moitié de l’augmentation de la part du millime supérieur est due à une hausse des salaires des cadres de la finance. D’autre part, les PDG et les superstars du divertissement ne semblent pas jouer un rôle majeur dans l’accroissement des inégalités.

Implications politiques de cette étude

Une meilleure connaissance des hauts salaires est importante afin de mesurer la part des rentes et du talent dans la dynamique des inégalités. Elle a également des implications politiques évidentes, et ce d’autant plus que la fiscalité des salariés de la finance et la taxation des hauts revenus a reçu une réponse contradictoire dans le débat public. En France, au cours de la dernière décennie, comme dans de nombreux pays développés, on a diminué le taux d’imposition pour les revenus les plus élevés, en raison de considérations sur les effets positifs de ces élites sur l’activité globale. Dans le même temps, les PDG pendant toute la décennie, les salariés de la finance après 2007, et les sportifs, après la défaite en coupe du monde 2010, ont été largement critiqués. Tant le caractère méritocratique de leur salaire et l’utilité de leur rôle économique ont fait l’objet de débats. Il convient de noter que ces catégories ne sont pas marginales parmi les salaires les plus élevés en France. Dans la tranche des 0,01% des salaires les plus élevés pour 2007, nous trouvons près de 40% de salariés de la finance, 20% de chefs d’entreprise et 10% de sportifs. Imposer plus lourdement ce fractile de salaire serait une autre façon (peut-être plus facile à réaliser qu’une taxe sectorielle) de redistribuer ces salaires, que de plus en plus citoyens considèrent comme des rentes.

On peut lire le texte au complet, avec graphique, en allant sur le site de La vie des idées.

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