L’auteur invité est Jean-François Lisée, directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), Jean-François Lisée a été conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard de 1994 à 1999.
Mon billet du 27 février démontrant que 99% des Québécois ont un niveau de vie supérieur à 99% des Américains – lorsqu’on retire de l’équation les super-super riches — a causé beaucoup de chagrin à droite. On comprend pourquoi, car de François Legault au Conseil du patronat, le principal argument anti-modèle québécois est d’affirmer que le “niveau de vie” des Américains est de 21% supérieur à celui “des Québécois”. (Legault dit même 45% !)
Le Québécois normalement constitué comprend que l’Américain ordinaire a donc, dans ses poches, la capacité d’acheter pour 21 ou 45% de plus de biens et services que lui! Grâce aux calculs de l’économiste Pierre Fortin, nous avons pu démontrer combien cet argument était trompeur.
Depuis bientôt un mois, Pierre et moi avons fourni, à sa demande, à l’Institut économique de Montréal les calculs soutenant notre conclusion, en les affinant au passage pour leur donner encore plus de rigueur.
Ce jeudi, le PDG de l’IEDM, Michel Kelly-Gagnon, a publié sur son site une réplique, affirmant que « 90% des Américains travaillent plus et sont plus riches que 90% des Québécois ». J’en publie l’intégrale plus bas, avec sa permission. Et il me fait plaisir de reprendre ses arguments un à un.
Chômage ou travail forcé ?
Michel conteste notre décision d’avoir pris en compte le temps de travail pour évaluer la richesse. Les Québécois, rappelons-le, travaillent davantage d’heures par année que la majorité des Européens, mais moins que les Américains qui, eux, travaillent désormais davantage que les Japonais.
Nous estimons que la décision des Québécois d’utiliser une part plus grande de leur temps pour les loisirs et la famille est une forme de richesse, principalement choisie. Nous illustrons la différence comme suit :
Dans mon billet, je précisais : Nous savons que nos amis de droite vont contester notre ajustement pour le temps de travail. Mais même sans lui, le revenu de 90% des Américains ne serait que de 1,4% plus élevé que celui des Québécois. On est loin des 21% dont on nous rebat les oreilles !
Le président de l’IEDM écrit comme prévu : l’estimation repose en particulier sur le jugement qu’en travaillant moins, les gens sont plus riches en temps libre passé auprès de leur famille et de leurs amis. Si on pousse ce raisonnement jusqu’au bout, il faudrait conclure que le chômage et le travail à temps partiel involontaire rendent les gens plus riches!
Michel Kelly-Gagnon propose donc de ne jamais ajuster pour le temps de travail. Il y aurait une norme de richesse, celle du travail maximal, en deçà de laquelle aucun temps passé à l’extérieur de l’usine ou du bureau n’est un choix rationnel de la part des citoyens. Je vais me contenter de constater cette différence d’approche entre lui, de la droite, et moi, de la gauche efficace.
Il ajoute cependant un argument chiffré : En consultant les données quant à la proportion de travailleurs québécois qui travaillent à temps partiel alors qu’ils souhaiteraient plutôt travailler à temps plein, soit 25% d’entre eux, on constate que plusieurs n’ont pas vraiment choisi de favoriser leur temps de loisir. De même, les travailleurs aux États-Unis pourraient choisir de travailler moins mais, puisqu’ils ne font pas ce choix, qui serions-nous pour juger qu’ils prennent une mauvaise décision?
Un argument sérieux. Il est indubitable qu’une partie de l’écart entre le temps de travail québécois et américain est volontaire et qu’une partie est involontaire. Pierre Fortin, en comparant l’évolution dans le temps, estime que la part volontaire est la plus importante et en croissance. C’est un vrai débat. Cependant je suis déçu que Michel tienne pour acquis que les travailleurs aux États-Unis eux, « pourraient choisir de travailler moins » mais « ne font pas ce choix ».
Au contraire, nous savons que le tiers du temps supplémentaire travaillé aux États-Unis est subi – les salariés auraient préféré rentrer chez eux, pour jouir de cette « richesse » qu’est la famille. On sait aussi qu’une proportion minime (moins de 10%) des salariées américaines ont droit à un congé de maternité rémunéré. S’ils avaient droit, comme leurs consoeurs du Québec et du reste de l’Occident, à un tel congé, ils le prendraient. On sait aussi que la loi américaine ne prévoit pas de temps minimal de congé annuel pour les salariés, dont le taux de syndicalisation est trop faible pour imposer, comme chez nous, un temps d’arrêt conséquent.
Usant de démagogie, Michel Kelly-Gagnon veut nous faire dire que « le chômage rend riche ». Je n’oserai pas rétorquer que, pour lui, le travail forcé rend riche.
Bref, au-delà des traits culturels – des Québécois plus hédonistes, c’est leur droit, des Américains à l’éthique protestante du travail plus forte, c’est leur droit – il y a des deux côtés de l’équation un part de volontaire et d’involontaire dans l’écart de temps de travail. Nous sommes donc pleinement justifiés d’en tenir pleinement compte.
Le choix des hypothèses et le refus du réel
Le chef du think-tank de droite s’attaque ensuite à une de nos hypothèses de calcul et son argument est extrêmement révélateur de la technique très largement utilisée dans la droite québécoise pour minimiser, voire escamoter, les succès économiques québécois.
Les résultats obtenus par le professeur Pierre Fortin et présentés par Jean-François Lisée reposent sur de nombreuses hypothèses. En changeant l’une d’entre elles, par exemple la méthode de calcul du taux de change, le résultat oscille entre 1,4% et 15,1% de revenus de plus pour les Américains que pour les Québécois. Lequel de ces résultats est le bon? Cela dépend de l’hypothèse que l’on choisit.
De quoi s’agit-il ? Lorsque toutes les organisations internationales, le FMI, l’OMC, l’OCDE, comparent l’économie des États, ils ajustent pour le taux de change en utilisant la Parité de pouvoir d’achat. Sachant, eux, que la richesse est la capacité d’acheter des biens et des services, ils tiennent compte de la variation des prix et des services dans chaque État.
Lorsque le Québec sera souverain, l’OCDE appliquera cette méthode au Québec, montrant que les coûts du bâtiment, de l’énergie, etc, font en sorte qu’un dollar achète davantage de choses à Montréal qu’à Toronto. Ce n’est pas une « hypothèse », c’est une réalité.
En économiste responsable voulant donner une mesure plus proche de la réalité, Pierre Fortin introduit cette donnée – ce qui devrait être fait, à mon humble avis, par tous les économistes québécois dans tous leurs travaux comparatifs. Si la réalité les intéresse.
Mais la réalité n’intéresse pas l’IEDM. Allez savoir pourquoi.
Les super-riches méritent leur super-richesse
Michel n’est pas content que nous ayons décidé de comparer 99% des Québécois à 99% des Américains ou 90% avec 90%.
Retirer le 10% d’individus les plus riches d’une société à des fins de comparaison repose sur la présomption fausse que ce 10% « captent une portion absolument disproportionnée de la richesse produite », dans les mots de M. Lisée. Cette conception laisse croire que la richesse produite tombe du ciel comme une manne miraculeuse et que les riches l’accaparent au détriment de tous les autres. Selon cette logique, il faudrait expulser sur le champ Guy Laliberté et Jean Coutu du Québec, comme s’ils « captaient » la richesse des autres, au lieu de reconnaître qu’ils génèrent eux-mêmes une activité économique précieuse.
D’abord je ferai à Michel l’amitié de ne même pas commenter sa suggestion selon laquelle Pierre Fortin et moi voudrions « expulser » Laliberté et Coutu. Notre analyse ne sert qu’à faire crever le mensonge selon lequel « les Américains » sont 21% ou 44% plus riches que « les Québécois ». Nous répondons : quels Américains et quels Québécois? Cela dérange énormément, nous le constatons. Avec joie.
Mais puisque le PDG de l’IEDM aborde la question, allons-y. De la seconde guerre mondiale jusqu’aux années 70, les super-riches (1%) captaient 8% du revenu total aux États-Unis. Aujourd’hui ils en captent trois fois plus, soit 24%. Les super-riches actuels sont-ils des génies, alors que ceux qui ont présidé aux trente années de plus forte croissance de l’histoire, de 1945 à 1975, étaient des cancres ? Et, si oui, Michel a-t-il en tête un seuil de captation de richesse qui serait excessif pour les 1% les plus riches ? 33% ? 50% ? 66% ?
Mais rien ne le fera changer d’avis. Et c’est avec entrain qu’il reprend la rengaine du palmarès des provinces et États nord-américains où « les Québécois » sont derniers de classe face « aux Américains ». Et d’où il découle que les habitants de Louisiane ou du Mississipi sont « plus riches » que « les Québécois ».
J’ai l’outrecuidance de corriger. Les super-riches de Louisiane et du Mississipi sont plus riches que les super-riches du Québec. Pour le 99% qui restent, et qui m’intéressent davantage, le contraire est vrai.
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Voici le texte intégral de Michel Kelly-Gagnon:
On peut lire le texte au complet en allant sur le blogue de Jean-François Lisée.
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