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Le samedi 23 avril 2022

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Comment en finir avec l’oligarchie

Les auteurs invités sont Eva Joly et Hervé Kempf. Propos receuillis par Agnès Rousseaux, de Basta !, l’agence d’informations sur les luttes environnementales et sociales.

Eva Joly, candidate aux primaires écologistes, et Hervé Kempf, journaliste et essayiste, dressent le même constat : une oligarchie gouverne la France et l’Europe. De « la bande du Fouquet’s » aux banquiers, des dirigeants des grands médias au lobby nucléaire, ils servent d’abord leurs intérêts particuliers. Comment en finir avec cette domination ? Faut-il d’abord nationaliser les banques ou instaurer un tribunal pénal pour les crimes écologiques ? Faut-il instaurer un revenu maximal, ouvrir davantage les grandes écoles ? Réponses.

Basta : Qu’est-ce que l’oligarchie ? Qui fait partie de cette oligarchie que vous dénoncez ?

Hervé Kempf : L’oligarchie, d’un point de vue sociologique, c’est l’actuelle classe dirigeante, qui mêle pouvoir économique, pouvoir politique, hauts fonctionnaires, dirigeants de grands médias. L’autre façon d’envisager l’oligarchie, c’est comme un système de gouvernement dans lequel un petit nombre de personnes va imposer ses décisions à l’ensemble de la société. Il y a une confusion des intérêts et un va-et-vient permanent des personnes entre les différents cercles. Cette situation n’est pas spécifiquement française.

Eva Joly : Ce qui caractérise l’oligarchie française, c’est cette porosité entre les secteurs de la banque, de la politique, de l’industrie, des médias. Les membres de l’oligarchie sont cooptés. C’est un milieu difficile d’accès, plus fermé en France qu’en Allemagne ou dans les pays scandinaves. Ici, le recrutement de l’oligarchie est beaucoup assuré par les grandes écoles. En Allemagne, comme dans les pays scandinaves, vous pouvez diriger une entreprise en ayant commencé au bas de l’échelle.

Hervé Kempf : Aux Etats-Unis, on est plus proche du modèle français. Le nouveau directeur de cabinet de Barack Obama, William H. Daley, vient de l’une des plus grandes banques, J. P. Morgan. Idem en Europe : le futur dirigeant de la Banque centrale européenne (BCE) sera sans doute l’italien Mario Draghi, qui a travaillé pour Goldman Sachs. La BCE devrait être indépendante des grands opérateurs financiers qui nous ont conduit à la crise financière de 2008, et en particulier de ceux comme Goldman Sachs qui ont eu une attitude absolument inacceptable, aboutissant par exemple à la crise de la Grèce. Et il est probable que cet homme devienne directeur de la BCE !

Eva Joly : Ce sont très souvent les grandes banques comme Goldman Sachs qui fournissent les cadres de l’administration, les cadres de la Réserve fédérale aux Etats-Unis, que ce soit sous Bush ou sous Obama. C’est le même recrutement, voilà pourquoi cela ne change pas. Qu’est-il arrivé à ceux qui étaient responsables de la crise financière de 2008 ? AIG, la compagnie d’assurance américaine, a été renflouée par le contribuable américain à hauteur de 180 milliards de dollars. Un de ses dirigeants, Joseph Cassano, considéré comme un « génie » de la finance, a inventé le « credit default swaps » (CDS), une garantie contre la défaillance d’un débiteur. Quand les gens sont venus demander des comptes après septembre 2008, ils ont découvert qu’il n’y avait pas de provisions : ce n’était pas véritablement un contrat d’assurance mais un produit financier. Et 46 % de ces CDS étaient des bonus distribués à ceux qui les avaient conçus. A ma connaissance, il n’y a pas eu de poursuites pour escroquerie. Et lorsque les contribuables américains ont décidé de renflouer les banques, dont AIG, ils ont aussi renfloué les produits spéculatifs.

Cette situation d’impunité de l’oligarchie est-elle nouvelle ? Pourquoi la puissance publique ne reprend-elle pas le contrôle ?

Hervé Kempf : Il y a eu d’autres périodes où régnait l’oligarchie. La particularité de la situation actuelle, c’est que cette oligarchie n’a pour but essentiel que de maintenir son système de privilèges complètement démesurés. On a évité de justesse le passage de la crise financière à une crise économique, qui aurait été catastrophique, grâce à l’intervention de la puissance publique, grâce au soutien de l’épargne publique. On aurait dû remettre en cause tout le système qui avait conduit à cette situation. Et deux ans après, tout se remet en place. On retrouve à nouveau des bonus extravagants. Les patrons des grandes entreprises américaines gagnent plus qu’en 2007 ! 9,6 millions de dollars en moyenne pour les dirigeants des 200 plus grandes entreprises. Cette oligarchie ne prétend pas gouverner mieux que les autres : elle a pour objectif de maintenir une répartition des richesses absolument injuste, et dont le moteur est la destruction de l’environnement.

Eva Joly : En France, Baudouin Prot, directeur général de PNB Paribas, vient d’annoncer une rémunération fixe de près d’un million d’euros, et plus 5 millions de bonus. C’est un scandale ! L’Union européenne a voulu réguler le montant de cette « rémunération variable », qui est à l’origine de la crise financière, car les banquiers ont pris des risques insensés pour toucher ces bonus. Une directive européenne a été votée : les bonus doivent être « en équilibre » avec la rémunération fixe. La France a décidé de ne pas respecter cette directive. Dans sa transcription, ils ont oublié le mot « équilibre » ! Ce n’est pas un hasard. C’est une décision de Christine Lagarde, sans doute sur instruction directe de Sarkozy. Les dirigeants des banques l’ont convaincu d’agir ainsi, sous prétexte de garder en France les meilleurs traders et dirigeants de banques. C’est inadmissible. Rien ne justifie qu’un être humain touche 6 millions d’euros de revenus annuels.

En plus ces banques sont responsables du fait que les pays occidentaux ont tous augmenté leur endettement d’environ 20 points de PIB. Tant que nous n’avons pas rattrapé ces 20 points, nous ne devrions distribuer aucun dividende ou bonus ! Et j’affirme que les comptes de ces banques sont faux. Car les banques françaises sont exposées à hauteur de 200 milliards d’euros dans les pays en difficulté : Grèce, Espagne, Portugal, Irlande. Si la Grèce fait défaut, ces banques vont perdre une partie de leurs actifs. Les banques françaises sont, par exemple, exposées à hauteur de 60 milliards d’euros en Grèce. Or la Grèce va sans doute rééchelonner une partie de son endettement, ce qui aura un impact sur la valeur des titres. Est-ce que cet impact a été provisionné dans les comptes des banques françaises ? Probablement pas. Ces banques n’auraient donc jamais dû distribuer de dividendes ou payer de bonus.

Hervé Kempf : D’autant que la BNP continue ses activités dans les paradis fiscaux et organise la fraude fiscale. J’ai deux questions, Eva Joly : êtes-vous en faveur du revenu maximal admissible ? Est-ce que vous pensez qu’il faut nationaliser certaines banques ?

Eva Joly : Je suis en faveur du revenu maximal. Dans notre programme pour les élections européennes, on a fixé ce revenu à 40 fois le revenu médian. Soit 500 000 euros de revenu par an, ce qui est déjà énorme. Au-delà de ce montant, une fiscalité très forte. C’est une mesure de justice sociale fondamentale. Qui peut croire que les décisions prises par un directeur de banque justifient un tel accaparement de la richesse nationale ? Qu’est-ce qui distingue au fond un directeur de banque d’un expert-comptable, d’un commissaire aux comptes ? Il y a des centaines de milliers de personnes qui peuvent remplir cette fonction à la tête d’une banque.

Sur la nationalisation des banques, c’est plus compliqué. Nous aurions pu nationaliser la BNP en 2008, plutôt que lui prêter de l’argent. Aujourd’hui nationaliser les banques comporte un coût, et les finances publiques ne le supporteraient pas. Cependant, nous pouvons règlementer l’usage que les banques peuvent faire de l’épargne. Et l’épargne française représente 5 000 milliards d’euros, gérés par les banques. C’est la matière première des banques. Sans cette épargne, elles ne sont rien. Le résultat ne sera pas aussi fort qu’une nationalisation, mais sera très positif pour l’économie réelle.

Comment expliquez-vous que toute notion d’« intérêt général » ait disparu ?

Eva Joly : La perte du sens du « bien public » n’est pas récente. Dans l’enquête que j’ai faite sur Elf, j’ai vu un décalage entre certains hauts fonctionnaires qui pensaient réellement servir « l’intérêt énergétique » français, et les générations ultérieures, qui avaient clairement pour objectif de s’enrichir. Dans un procès-verbal du dossier, une des personnes mises en examen décrit une fête, organisée lorsque Loïc Le Floch Prigent est nommé à la tête d’Elf. Les participants voyaient Elf comme une source d’enrichissement personnel. Ce n’est pas une exception. Cela est possible parce que la seule valeur commune partagée aujourd’hui, c’est la fascination envers l’argent. C’est le moteur.

Hervé Kempf : Il faut replacer cette évolution dans l’histoire. Il y a une « poussée oligarchique » au début du 20e siècle, avec un capitalisme fou, qui a conduit à l’horreur de la guerre de 1914-18. Puis les années 1920 ont connu une période d’expansion, avec un désir d’enrichissement effréné et à nouveau une dérive oligarchique. Cela a conduit à la crise de 1929. A partir du New Deal et Roosevelt dans les années 1930, on observe un retour d’une politique fondée sur la recherche de l’intérêt général, et qui s’est généralisé dans les pays occidentaux après la IIe guerre mondiale. C’est par exemple en France la période de la mise en œuvre de la Sécurité sociale et des propositions du Conseil national de la Résistance. Jusqu’aux années 1970, la vie démocratique est intense. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et Ronald Reagan qui marque à partir des années 1980 la remontée de la pensée néo-capitaliste. Sans frein, sans opposition, le capitalisme est devenu fou. Et l’on se retrouve dans une situation structurellement inégalitaire, fondé sur un système de valeurs individualistes, privilégiant la recherche de l’enrichissement matériel et la marchandisation généralisée […].

Pour lire le texte au complet, dont une discussion sur la délinquance financière et les crimes écologiques, on va sur le site de Basta !

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