L’auteur invité est Marcel Mazoyer, ingénieur agronome et professeur à AgriParisTech, ancien président du Comité des programmes de la FAO.
Merci beaucoup, Madame la Présidente. Tout d’abord, la crise alimentaire, dont on parle couramment et quotidiennement depuis quelques temps, n’a pas commencé il y a quelques mois. Elle dure depuis la seconde guerre mondiale et dans des proportions qui n’ont pas changé. En valeur absolue, elle n’a pas changé depuis 25 ans. Premièrement, en 50 ans, la deuxième moitié du XXème siècle, la population mondiale a été multipliée par 2,4 et, la production agricole et alimentaire, par 2,6 en pleine explosion démographique. L’opinion malthusienne est donc fausse. On peut développer la production plus vite que la population, même en pleine explosion. C’est bien de le redire et cela fait du bien de l’entendre parfois.
Deuxièmement, cette augmentation de la production a néanmoins été très insuffisante, on va le voir, et, surtout, beaucoup trop inégale pour subvenir aux besoins de toute l’humanité.
Pour preuve, la pauvreté. C’est-à-dire l’absence de moyens de se procurer le nécessaire, qui, en dernière analyse, devient égale à la sous-alimentation, puisque c’est la dernière chose dont on peut se priver -une fois que l’on s’est privé de cela, on ne se prive plus de rien, car on est mort. La pauvreté empêche à peu près la moitié de l’humanité de se nourrir à la hauteur jugée concevable que sont à peu près les 2900 calories suffisamment diversifiées pour ne souffrir d’aucune carence, d’après ce que les spécialistes ont démontré.
Trois milliards de personnes ont moins de 2 € pour vivre par jour. Celles-là se privent de nourriture.
Et il y en a 2 milliards qui se privent tellement de nourriture qu’ils souffrent de maladies dues à des insuffisances en nutriments tels que le fer, l’iode, les vitamines… Cela s’appelle la malnutrition par carences alimentaires ou nutritionnelles. Là-dedans, il y a l’anémie, le poids du corps… Ne croyez pas que ce sont des paroles verbales. Ce sont des maladies, généralement mal ou pas soignées. Le premier soin que l’on pourrait apporter à ces personnes, ce serait de leur permettre de se nourrir correctement.
Un bon milliard et demi de personnes a moins de 1 € par jour et se prive encore plus et souffre alors de maladies dues à des insuffisances, non pas en micronutriments, mais en calories, avec moins de 2 150 à 2 400 calories par jour. Ces personnes souffrent de carences en sucre ou amidon, en graisses et, souvent, encore beaucoup plus en protéines.
C’est environ 850 millions, à 50 millions près. Le chiffre n’est pas bien connu, mais la variation inter annuelle est assez bien mesurée, puisque l’on pratique la même méthode d’année en année. Il avait baissé d’à peu près 100 millions entre 1970 et 1996, premier sommet de l’alimentation et, de 1996 à 2004, d’après le dernier chiffre connu, publié il y a trois jours, on est passé à 264 millions. Le chiffre a donc augmenté d’au moins de 4 millions par an et, si 9 millions de personnes dont 6 millions d’enfants n’étaient pas mortes de faim depuis cette époque, il aurait augmenté de 130 millions.
Dire que l’on se rapproche des objectifs du millénaire, car la population augmente plus vite que les autres n’en meurent, soit, mais le pourcentage n’est pas très intéressant. Ce qui l’est, c’est combien il y a de personnes qui souffrent de malnutrition, qui ont faim et en meurent. Et cela ne s’arrangera pas.
Alors, la production agricole alimentaire est très insuffisante. On peut le mesurer d’un chiffre, puisque la quantité de nourriture qui serait nécessaire pour combler cette insuffisance alimentaire de 2 milliards de personnes, c’est à peu près 30 % de ce que l’on produit et consomme. Cela a été calculé avec soin, pour le dernier sommet mondial de l’alimentation, c’est-à-dire le deuxième, en 2002.
La demande solvable de ceux qui ont les moyens de se procurer de la nourriture est donc inférieure de 30 % aux besoins. Dans tout autre domaine que l’alimentation, je ne sais pas si l’on peut parler de besoin. En matière de chapeau ou de Mercedes, je ne sais pas, mais, les besoins, c’est la demande solvable et, par rapport à la matière agricole et alimentaire, la demande solvable est inférieure d’au moins de 30 % aux besoins et, du coup, l’offre qui équilibre la demande solvable est inférieure de 30 % à la production nécessaire pour subvenir à ces besoins jugés convenables de 2900 calories pour tout le monde.
Tout le monde raconte que l’on produit assez et que l’on partage. C’est totalement faux. 30 % de ce que l’on consomme, c’est 60 à 70 % de ce que consomme le milliard et demi le plus nourri. Je ne dis pas le mieux nourri. Il s’agit de nous.
Comment vous faites pour redistribuer 70 % de ce que vous mangez à la moitié du monde qui ne mange pas à sa faim ? Cela n’a pas de sens.
La seule solution est de supprimer la pauvreté en même temps que la sous-production et la sous-consommation. Le partage ne se fera pas, même s’il faut en faire d’avantage, même si c’est nécessaire.
L’aide alimentaire, c’est à peine 1 % de la production et de la consommation mondiale et, quand les prix augmentent, l’aide alimentaire diminue, puisqu’elle est libellée en dollars. Le dollar baisse, les prix alimentaires augmentent et, donc, l’aide alimentaire se réduit dans cette double proportion.
Par une redistribution budgétaire mondiale, type keynesienne des années 50, pourrions-nous le faire ? Bien sûr que non. L’aide publique au développement, ce n’est même pas 100 milliards d’euros -, mais, par rapport au manque à gagner de 3 milliards de personnes dont nous parlons, faites le calcul, il faudrait que ces personnes aient au moins 3 € au lieu de 2 € par jour. Certains gagnent moins de 2 €, d’autres de 1 € et il y en a même qui disposent, par jour, de moins de 1 €. Calculez, cela représente plusieurs milliards de dollars par an.
Bien sûr qu’il faut accroître l’aide alimentaire, la redistribution des revenus ou, même le commerce international. Prenez n’importe quel tableau de chiffres de la FAO et regardez les tonnes. Vous verrez que, ce qui passe les frontières, c’est 10 % en volume de la production et de la consommation mondiale, c’est-à-dire 7 ou 8 % de ce qu’il faudrait produire et consommer, puisqu’il faut 30 %.
Il faut également savoir qu’à part depuis six mois, la très grande majorité -cela n’a pas changé pour autant, mais je prends cette référence, 75 % des sous rémunérés, des malnutris et des sous-alimentés sont des ruraux.
Il y a 51 % ou 52 % de population rurale dans le monde. Ce sont des ruraux parmi lesquels la très grande majorité, 66 % ou 67 %, sont des paysans et le dernier quart, les 25 % restant, sont des ex-ruraux ou ex-paysans la plupart du temps récemment condamnés à l’exode dans les camps de réfugiés et dans les bidonvilles où, bien entendu, toute création d’emplois industriels, commerciaux, toutes délocalisations confondues, le taux de chômage augmente sans cesse depuis 25 ans aux quatre coins du monde.
Autrement dit, il y a une pauvreté rurale qui alimente massivement une pauvreté urbaine et, la somme des deux, cela fait la sous-alimentation dont nous venons de parler.
Pourquoi et comment ? Il faut s’interroger un peu sur les causes. Regardez l’agriculture mondiale. Il faut absolument avoir ces chiffres toujours présents à l’esprit lorsque l’on parle de ces choses. Il y a encore 43 % d’agriculteurs. En valeur absolue, cela fait 2,7 milliards de personnes. Il n’y en a jamais eu autant. Le pourcentage diminue, puisqu’il y a 25 ans il s’élevait à 60 ou 70 % et, aujourd’hui, il est de 43 %. Cela fait 1,340 milliard d’actifs agricoles, soit un travailleur pour deux bouches à nourrir. Ce sont des actifs qui travaillent à plein temps ou pas et, parfois, deux fois plus que le temps légal.
Pour 1,340 milliards d’actifs, il faut savoir qu’il y a 28 millions de tracteurs dans le monde, 250 millions d’animaux de travail, et un milliard de paysans qui travaillent strictement avec des outils manuels tels que la hache, la machette, la houx, la faucille, le bâton fouisseur qui est de très loin l’outil le plus répandu du monde, etc.
Sur ce milliard de personnes qui travaille strictement à la main, déduction faites de ceux qui ont pu acheter des tracteurs ou des animaux de travail, une bonne moitié n’a même pas les moyens d’acheter des semences du commerce -tant décriées, mais tout de même parfois utiles- des engrais, des pesticides… Ces personnes cultivent au maximum un hectare et produisent au maximum 10 quintaux de céréales, l’équivalent d’une tonne de céréales à l’hectare. C’est cela le vrai tableau. […]
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