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Le samedi 23 avril 2022

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A la recherche de l’alternative perdue

L’auteur invité est Philippe Frémeaux, éditorialiste au magazine Alternatives Economiques.

Dans son nouvel ouvrage, Philippe Frémeaux analyse dans quelle mesure et à quelles conditions l’économie sociale et solidaire peut contribuer à transformer notre société. Extrait.

Jamais aucun congrès ou réunion d’acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) ne se déroule sans qu’un intervenant se désole de sa faible visibilité dans le champ social. Et du faible intérêt porté à son existence par le monde intellectuel. De fait, l’opinion publique comprend toujours aussi mal ce que signifie concrètement ce terme d’économie sociale et solidaire. Tandis que la grande majorité des économistes, des sociologues, des politologues et des philosophes considèrent qu’il s’agit d’un non-sujet. En fait, si l’ESS peine à faire parler d’elle, c’est qu’elle est profondément insérée dans notre société et qu’elle en subit les contingences.

La loi du marché en partage

Observons tout d’abord qu’il est trop simple d’opposer un secteur privé qui serait nuisible par nature, parce que mû par le profit, à un monde de l’économie sociale et solidaire qui poursuivrait, quant à lui, des fins d’intérêt général. En pratique, si le secteur privé est bien mû par le profit, les biens et les services qu’il produit ne sont pas nécessairement moins utiles à la société que ceux produits par les organisations de l’ESS insérées dans le marché. Le boulanger qui, chaque matin, se lève tôt pour faire son pain, a une utilité sociale incontestable. L’économie sociale et solidaire n’a donc pas le monopole de l’utilité ! […]

Les entrepreneurs sociaux et solidaires préfèrent produire des biens qui conservent leur valeur quand chacun les possède. Leur idéal est même de produire surtout des biens et des services dont la valeur est d’autant plus grande que chacun en bénéficie : assurance auto, soins de santé, éducation. Mais dans un monde caractérisé par le chômage et la précarité, les organisations de l’ESS situées sur le marché se trouvent contraintes de s’adapter aux évolutions de la structure de la demande. Certaines grandes mutuelles, en assurance dommages comme en complémentaires santé, ont ainsi été conduites à diversifier leur offre, au prix parfois de vifs débats internes, en proposant des contrats moins complets, mais accessibles à une clientèle, notamment jeune, qui ne dispose pas du pouvoir d’achat des salariés installés dans l’emploi qui constituaient jusque-là la grande masse de leurs adhérents ou sociétaires.

On mesure ici combien la solidarité mutualiste ne joue pleinement qu’au sein de groupes aux revenus et au statut relativement homogènes. Elle peut prétendre à l’universalité en situation de plein-emploi, mais trouve vite ses limites quand le chômage de masse s’installe. Cela n’empêche pas les mutuelles d’adopter souvent des comportements plus solidaires que leurs concurrentes capitalistes, parce qu’elles n’ont pas d’actionnaires à rémunérer. Mais cela ne suffit pas à les différencier radicalement, ni à apporter de réponse au défi que représente le chômage de masse pour ceux qui en sont victimes.

Une régulation identique pour tous

La faible différenciation entre l’offre de biens et de services émanant des sociétés de capitaux et celle des entreprises de l’économie sociale et solidaire opérant sur le marché est renforcée par un autre facteur. Le marché n’est pas seulement un lieu mythique où se rencontreraient une offre et une demande libres. C’est aussi un ensemble de règles et de conventions qui relèvent soit du consensus social, soit de la norme publique. Les marchés concrets sont donc toujours profondément encastrés dans la société, dans la démocratie : il n’y a pas d’économie sans société, sans État. Cela peut jouer dans un sens favorable : en accordant un avantage fiscal spécifique aux complémentaires/santé qui s’interdisaient de sélectionner leurs clients en fonction de leurs antécédents médicaux, les pouvoirs publics ont ainsi incité les assureurs privés à s’aligner sur le comportement des mutuelles et des institutions de prévoyance pour ne pas perdre en compétitivité. Dans cet exemple, la vertu de l’ESS s’est diffusée pour le meilleur, mais l’effet a été de banaliser son offre aux yeux du public.

La norme publique peut aussi pousser à un alignement vers le bas : l’insuffisance des normes imposées au secteur agro-industriel se traduit par les mêmes effets désastreux sur l’environnement, que le transformateur de la production des agriculteurs soit une entreprise privée ou une coopérative.

Pas de monopole du sens

Par ailleurs, les organisations de l’économie sociale et solidaire ne sont pas les seules à donner du sens. Aussi bien du point de vue du consommateur que de leurs salariés. On peut bien entendu ironiser sur la portée réelle des engagements souscrits par les grandes sociétés de capitaux en matière de responsabilité sociale et environnementale. Ce souci est affirmé surtout par les entreprises médiatiques, opérant sur les marchés grand public, et concerne bien souvent une part limitée de leurs activités. Bien des grands groupes s’achètent une conscience en médiatisant quelques actes de bienfaisance, tout en développant des stratégies contestables par ailleurs. Il n’empêche, de plus en plus d’entreprises communiquent non seulement sur la qualité de leurs produits et le niveau de leurs résultats, mais aussi sur les services rendus à la  » communauté « .

Dans ce contexte, l’ESS apparaît parfois à la remorque des entreprises capitalistes quand elle communique sur des activités relevant du  » supplément d’âme  » – fondations et autres – et non sur le caractère différent de son offre.

Côté salariés, constatons que les entreprises du secteur capitaliste cherchent aussi, parfois, à donner du sens au travail. Car la motivation des salariés ne peut être obtenue uniquement par le versement d’un salaire à la fin du mois et par la peur du licenciement. Mobiliser des salariés dans une économie de la connaissance post-tayloriste n’est possible que s’ils tirent des satisfactions de leur travail : on travaille bien plus efficacement quand on partage avec ses collègues le sentiment de produire des biens et des services de qualité et dont l’utilité est reconnue par ceux qui les achètent. Les organisations de l’économie sociale et solidaire ne sont pas les seules à donner du sens au travail.

Imbriquée dans la sphère publique

Venons-en maintenant aux organisations de l’ESS qui produisent des biens et des services placés en partie ou en totalité hors du marché. Ces activités assurent les gros bataillons de l’emploi de cette économie. Elles entretiennent des rapports très étroits avec la puissance publique au point que cela ne fait guère sens d’opposer les pouvoirs publics à cette  » société civile  » composée pour l’essentiel de grandes associations gestionnaires, comme s’il s’agissait de deux acteurs bien distincts. Non seulement les pouvoirs publics financent en totalité ou en partie l’activité de ces structures, mais ils l’encadrent étroitement.

Ce jeu d’influence n’est pas à sens unique. L’État démocratique moderne est tout sauf monolithique. Les agents des administrations en charge du social, au sein de l’État et des collectivités territoriales, sont ainsi en étroite relation avec le milieu associatif, et certains en sont issus. Ils se montrent souvent sensibles à ses demandes et les relaient auprès des services en charge des budgets. Ce qui ne les empêche pas, quand l’heure est à l’austérité budgétaire, d’imposer des coupes claires dans les financements comme c’est le cas aujourd’hui.

Face aux pouvoirs publics, certaines associations du secteur social se contentent de gérer le service qui leur a été délégué et apparaissent comme de simples pseudopodes de l’action publique. D’abord soucieuses d’assurer leur pérennité, elles s’efforcent d’épouser les attentes de leurs financeurs publics : État, collectivités territoriales, régimes de sécurité sociale.

D’autres structures, bien que tout aussi dépendantes sur le plan économique, parviennent en revanche à défendre leur autonomie stratégique ; elles mènent un travail de lobbying efficace auprès des pouvoirs publics aussi bien pour pointer les nouveaux besoins sociaux que pour réclamer les financements nécessaires à l’exercice de leurs missions. Ainsi du collectif Alerte, qui rassemble les principales associations qui agissent dans le secteur de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans le domaine de l’éducation populaire, les fédérations disposent également d’une réelle autorité politique…

Néanmoins, dans tous les cas, les associations gestionnaires entretiennent des rapports très étroits avec les pouvoirs publics. C’est pourquoi l’opinion, et les usagers des services, ont tendance à les considérer avec raison comme une sorte d’extension de la sphère publique.

Civiliser l’économie

L’économie sociale et solidaire est un élément majeur du processus permanent de réforme et de régulation à l’oeuvre dans notre société. Ses structures se situent entre le privé et le public, parfois totalement insérées dans le marché tout en portant des valeurs de coopération et de solidarité, parfois étroitement liées à l’Etat ou aux collectivités territoriales qui financent les missions de service public qu’elles assurent.

Elles contribuent à civiliser l’économie et à la démocratiser, ne serait-ce qu’en introduisant du pluralisme dans les formes d’organisation productive. Elles rappellent que l’entreprise privée capitaliste n’est pas la seule forme possible. Elles témoignent du fait que l’enrichissement personnel n’est pas le seul motif qui peut donner envie d’entreprendre et que la démocratie ne s’arrête pas à la porte des organisations qui produisent efficacement des biens et des services. Elles peinent néanmoins à se distinguer des autres acteurs économiques et sociaux : soit qu’insérées dans le marché, elles en subissent les contingences, soit qu’elles sont étroitement imbriquées dans le fonctionnement de l’État.

Pour lire le texte au complet on va sur le site d’Alternatives Economiques, numéro de juin 2011

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