Par Denis Clerc, Alternatives Economiques
20 ans d’aveuglement. L’Europe au bord du gouffre, par Les économistes atterrés
Les liens qui libèrent, 2011, 176 p., 8,50 euros.
» Peut-on demander aux gens ordinaires (…) d’assumer la responsabilité de la faillite des banques privées ? « . La question, faussement naïve, était formulée par le président de la République islandaise fin 2010, après qu’une révolte populaire eut contraint les autorités du pays à renégocier l’accord aux termes duquel elles s’engageaient à rembourser aux Trésors britannique et néerlandais les sommes dépensées pour indemniser leurs épargnants clients de la banque islandaise (privée) en ligne Icesave. Le 9 avril dernier, un deuxième référendum rejetait (à 60 %) un nouvel accord.
La leçon est claire : en Islande, les » gens ordinaires » refusent de payer pour les banques coupables et les épargnants cupides. Mais dans les autres pays, ils n’ont pas eu le choix : les autorités nationales et internationales le leur ont imposé, la Commission européenne ayant joué un rôle particulièrement actif dans ce » jeu » dramatique.
Une stratégie imbécile
Ce n’est pas seulement injuste, avancent les » économistes atterrés « , c’est imbécile. Henri Sterdyniak explique de façon lumineuse pourquoi cette politique risque d’accentuer le problème au lieu de le régler. D’une part, parce que les incendiaires sont appelés, dans la zone euro, pour jouer les pompiers : les Etats qui se sont lourdement endettés pour sauver leurs banques et leur économie se trouvent désormais placés sous la coupe des marchés financiers. D’autre part, parce que l’austérité étouffe inévitablement toute possibilité de reprise économique sans pour autant permettre aux pays les plus fragiles de s’en sortir.
Au bout du compte, la zone euro devra soit se dissoudre, soit « modifier ses institutions pour assurer la garantie des dettes publiques » et augmenter les impôts sur les plus riches plutôt que de comprimer les dépenses. Elle est désormais placée au pied du mur : il lui faut choisir entre domination des marchés, éclatement ou solidarité.
Entre accord et désaccord
En choisissant cette dernière voie, Henri Sterdyniak exclut l’hypothèse d’un non-remboursement partiel des dettes publiques. Cela reviendrait à faire éclater la zone euro, alors que l’important est d’en transformer les modalités de fonctionnement, qui relèvent d’une orthodoxie coupable. Soucieux de maintenir les institutions européennes, il préfère transformer les règles qu’elles imposent.
Dominique Plihon estime, au contraire, les dettes publiques partiellement illégitimes : leur aggravation résulte d’une baisse de la pression fiscale au bénéfice des plus favorisés, mais aussi de la transformation de dettes privées (financières) en dettes publiques. Toutefois, il rejoint Sterdyniak pour proposer une transformation profonde de la Banque centrale européenne et des politiques communautaires.
Désaccord mineur ? Pas tant que cela, car les objectifs prioritaires ne sont alors pas les mêmes : transformer le fonctionnement communautaire si l’on suit la voie Sterdyniak, s’attaquer à la finance internationale si l’on suit la voie Plihon. Le livre ne cherche évidemment pas à trancher entre ces deux orientations, mettant plutôt l’accent sur les convergences que sur les divergences (que reconnaissent cependant les auteurs dans leur introduction). Ecrit de façon très pédagogique, ce livre éclaire des questions pourtant complexes et aide à comprendre les débats actuels, tout en apportant un éclairage inhabituel et bienvenu.
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