L’auteure invitée est Clotilde de Gastines, de Metis correspondances européennes du travail.
Des slogans aux accents historiques tels que « Nous sommes le peuple » (Wir sind das Volk! en écho aux manifestations de Leipzig de 1989) ou pragmatiques « Cherchez-vous d’autres électeurs » (Sucht euch ein anderes Volk!) animaient depuis plusieurs mois une contestation exceptionnelle autour du chantier de la gare de Stuttgart et une mobilisation plus récente contre le nucléaire. Le 27 mars dernier, les urnes ont rendu leur verdict.
La CDU qui régnait depuis 57 ans sur le Bade-Wurtemberg, 3ème Land le plus riche d’Allemagne, a obtenu 39% des voix lors des élections régionales. Trop peu pour résister à la coalition verts/sociaux-démocrates qui a réunit 47,3% des suffrages (Verts (24,2%)- SPD (23,1%)). « Le Japon a transformé radicalement l’issue du scrutin » reconnaissait Angela Merkel au lendemain de la défaite de son parti, qui a perdu 5 points par rapport aux élections de 2006, tandis que le SPD a plongé de 10 points ! Les Verts en ont gagné 13, signe que l’écologie politique a de l’avenir, face au spectacle quotidien de l’impuissance technologique mais aussi de la défaillance démocratique au Japon.
Les Allemands (à 83% contre le nucléaire, selon les derniers sondages !) ont peu apprécié le revirement de la chancelière dont le gouvernement libéral/conservateur avait décidé de prolonger la vie de 17 centrales en 2009, alors que le gouvernement social-démocrate/écologiste de Gerhard Schröder (1998-2005) avait voté l’arrêt progressif du nucléaire pour 2030. Face à la catastrophe japonaise, alors que l’opérateur Tepco tentait de reprendre le contrôle des réacteurs nucléaires de Fukushima, environ 60 000 Allemands ont formé une chaîne humaine sur 45 km, entre la vieille centrale nucléaire de Neckarwestheim et la ville de Stuttgart pour réclamer sa fermeture immédiate. La chancelière a cédé. Trop tard.
Le Vert Winfried Kretschmann devient ainsi le premier « ministre-président » écologiste d’un Land. Il devra prouver que son parti peut conduire une politique de conversion écologique et durable de l’économie dans un bastion automobile et chimique. Les 36 députés verts devront cependant composer avec 132 élus. Le parlement du Land devra aussi prendre en compte la longue mobilisation citoyenne autour du projet de modernisation de la gare de Stuttgart.
La saga Stuttgart 21
Depuis neuf mois, Stuttgart vit au rythme des manifestations. Tous les lundis vers 18h30, sept à huit mille personnes manifestent contre le projet « Stuttgart 21 » : la gare centrale doit être enterrée pour s’adapter aux trains à grande vitesse. Consciente de l’enjeu électoral, Angela Merkel avait déclaré que les élections du 27 mars tiendraient lieu de référendum. Deux jours après, Die Bahn [ex Deutsche Bahn, ancienne compagnie nationale allemande] a annoncé l’arrêt temporaire du chantier jusqu’en mai, date de formation du nouveau gouvernement régional.
Ce chantier monumental consiste à creuser plusieurs dizaines de kilomètres de tunnels sous la ville. Toute une partie de la gare (au Nord du bâtiment classé au patrimoine) a déjà été démolie et 300 arbres centenaires ont été tronçonnés dans le parc contigu. Est-il trop tard pour renoncer ? C’est ce qu’affirme le ministre des transports allemand Peter Ramsauer qui a mis en garde le nouveau président du Land : s’il retarde le projet décidé en 1994, les subventions fédérales iront à d’autres. Les travaux ont débuté en février 2010, et doivent s’achever en 2019.
Un mouvement d’initiative populaire discutait dès 1996 d’un projet alternatif : moins couteux et moins futuriste. Réunit sous le nom de Kopfbahnhof 21 (K21), architectes, ingénieurs, élus ont multiplié les pétitions, les critiques, et communiqué par des clips diffusés dans les cinémas de Stuttgart. « Le 30 septembre 2010, alors que des bûcherons devaient faire tomber les arbres, des manifestants s’y étaient ligotés. La police est intervenue avec force, faisant une centaine de blessés, raconte Jana Werner-Scholtz, opposante très active, qui travaille et habite à Tübingen, au Sud de Stuttgart. Le 8 octobre, 100 000 personnes sous le choc ont manifesté contre la violence des policiers. Ça a été une véritable prise de conscience ». Depuis, les défenseurs du parc replantent des arbres « de la résistance ».
Le parlement régional a mené une médiation publique sous la responsabilité d’un expert indépendant courant novembre. Les consultations sont retransmises en direct à la télévision sur la chaîne publique Phoenix : huit sessions d’une durée totale de soixante heures. Le médiateur concède quelques modifications, mais encourage la poursuite du chantier rebaptisé Stuttgart 21 plus. Seule satisfaction : les surfaces libérées dans le centre de Stuttgart seront protégées de la spéculation immobilière, et d’un urbanisme anarchique à la berlinoise.
République constructive
« À Stuttgart, on assiste à une vaste renaissance de la démocratie à la base, observait Heribert Prantl dans la Süddeutsche Zeitung en décembre dernier. Les débats organisés ont en effet montré que les habitants de Stuttgart n’étaient pas seulement prêts à manifester, mais qu’ils s’intéressaient de près aux questions techniques, ils ont posé les bonnes questions et proposé de véritables alternatives. Les politiques devront à l’avenir procéder différemment avec leurs citoyens. Gauche et droite, ça ne veut plus dire grand-chose. Il est temps que la politique change. Comme les communes sortent dé¬sargentées de la crise économique, il est temps d’introduire le budget participatif dans la vie des collectivités comme à Porto Alegre. Les gens ont le sentiment d’être pris au sérieux, car l’argent va là où il est nécessaire. Et les décisions politiques sont mieux acceptées.
Aujourd’hui, les arguments contre le projet pointent avant tout le coût de l’opération : 4,1 milliards. Ils dénoncent les coûts cachés et la répartition factice entre Die Bahn, l’État, le Land et les régions dans un petit film en Une du site K21. Le Land est riche (369 milliards € de PIB, soit l’équivalent du PIB de l’Autriche), mais la ville de Stuttgart est très endettée : elle apporterait 2,8 milliards (11 fois la somme officielle) et le Land 3 fois la somme indiquée dans les comptes. Les arguments écologiques viennent en second lieu : le creusement des tunnels va générer du bruit, de la poussière pendant des années. Ces tunnels risquent de fragiliser certaines constructions. En 2009, à Cologne, le bâtiment qui abritait des archives médiévales s’est effondré, car l’entreprise qui creusait le tunnel ne respectait pas les normes de sécurité pour économiser du matériel.
« Ce que nous a appris Stuttgart – et continue de nous apprendre – c’est que la démocratie est une affaire passionnante quand on la sort du Parlement et de négociations menées par des tribuns uniformisés, continuait le journaliste Heribert Prantl dans son analyse. Cette expérience a généré un modèle. La démocratie, cela implique de tenir compte des citoyens, même lorsqu’il n’y a pas d’élections ».
« Des mouvements de contestation à Berlin, et ailleurs en Allemagne prennent exemple sur nous, nous encourage et nous remercie », se réjouit Jana Werner-Scholtz. Dans son livre Protest!, la journaliste Kirsten Brodde recense ces nouveaux modes de contestation. Elle emploie le terme de « république cons¬tructive » [par opposition à la Dagegen-Republik, la république contestataire], parce que les citoyens sont en train de façonner une vision vivante et concrète de la politique – et de la politique conservatrice aussi. Ce que le nouveau Ministre-président Vert Winfried Kretschmann revendique lors de sa première conférence de presse : « les Verts sont conservateurs. Notre ambition est de préserver la planète. Notre programme d’énergies renouvelables (éolien et organique) est une révolution industrielle. Nous voulons faire de notre pays le modèle d’une modernisation basée sur le développement durable ».
Pour lire le texte de référence, on va sur le site de Metis, correspondances européennes du travail.
Discussion
Pas de commentaire pour “Allemagne : leçon de démocratie et d’écologie politique”