L’auteur invité, Louis Favreau, est titulaire de la Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) depuis 1996 à l’UQO (extraits).
Hervé Kempf, journaliste du Monde vient tout juste de produire un excellent petit essai sur l’écologie de la planète et la manière de s’en sortir. L’intitulé fort à propos est Pour sauver la planète, sortir du capitalisme. De son côté, l’économiste de gauche et député vert au parlement européen, Alain Lipietz, vient de lancer son livre Face à la crise : l’urgence écologique lequel s’accorde aussi à dire qu’il faut sortir du capitalisme. Ce n’est pas la chose la plus évidente au monde ! Comme le Forum social québécois approche puisqu’il en est à sa deuxième grande rencontre après celle de 2007, les 9,10 et 11 octobre prochains, il nous apparaît opportun de relancer le débat sur quelques points que sous-tend cette question dans la plupart des débats qu’on retrouve dans ce type d événement : peut-on sortir du capitalisme ? Si oui, avec quelle (s) alternative (s) ?
Sortir du capitalisme ?
« Tout semble indiquer la fin du néolibéralisme » disent certains. Et même la fin du capitalisme comme le dit l’éminent sociologue Immanuel Wallerstein : « Le capitalisme touche à sa fin ». Article paru dans Le Monde du 12 octobre 2008. Tout çà ne relève pas de l’évidence d’autant qu’il n’y a pas de direction unique du capitalisme. […]
Ensuite, il n’y a véritablement aucun projet de société nouveau à l’horizon. N’y a-t-il plutôt des projets de société en gestation et des capitalismes ? On peut par ailleurs ajouter que ceux qui ont remis en question « fondamentalement » la propriété et le contrôle privée des moyens de production…nous ont conduit nulle part ou plutôt vers un étatisme caractérisé par les uns d’« autoritaire » comme ce fut le cas dans les pays du Sud et par d’autres de « totalitaire » comme ce fut le cas dans les pays de l’Est. La propriété collective des moyens de production par le monopole d’entreprises publiques adossée au contrôle du parti unique !? Une caricature de sortie du capitalisme.
Quant au projet autogestionnaire des années 60-70, c’était une idée fort intéressante auquel nous avons longtemps souscrit. Mais qu’a-t-on à offrir de ce côté-là après 40 ou 50 ans de luttes de groupes qui portaient ce projet ? Peu de choses ! À une dirigeante d’un mouvement, branchée sur l’espoir du « modèle vénézuélien », qui disait lors d’un récent colloque international : « Je ne crois pas à un capitalisme à visage humain », quelqu’un lui a répondu du tac au tac : « Et le socialisme à visage humain, vous avez vu çà quelque part !? ». Et la réponse vénézuélienne assez faible ! En d’autres termes, l’horizon des différentes gauches de par le monde demeure encore relativement flou et la mondialisation en cours rend les choses plus complexes à saisir et la situation plus difficile à changer. Il y a cependant le Forum social mondial (FSM) et ses mobilisations depuis presque 10 ans déjà….Un espoir réinventé disait si bien le directeur de rédaction de la revue française Politis. Mais quelques questions de fond sont encore loin d’être résolues. En voici trois !
Première question : d’abord y a-t-il un capitalisme au singulier ou des capitalismes ?
Nombre de mouvements sociaux et le mouvement altermondialiste à sa suite tiennent sur le capitalisme un discours au singulier. Est-ce la bonne manière de raisonner et d’analyser la chose ? N’y a-t-il pas là matière à débat quand on voit des différences économiques et sociales notables d’une société à l’autre. Non, il n’y a pas un seul capitalisme mais des capitalismes affirme d’entrée de jeu le politologue Généreux (1999). […]
Une grande partie de l’économie monétaire de nos sociétés échappe donc à la stricte logique marchande (près de la moitié dans le cas du Québec). Et en dépit du discours néolibéral, la part des impôts progressent partout dans les pays de l’OCDE, c’est-à-dire le non-marchand : ces prélèvements obligatoires ont passé en moyenne de 31% à 37.3% du PIB entre 1975 et 2000. Malheureusement, dans les pays du Sud, on ne peut en dire autant car celle-ci régresse dans la même période, pour les pays à moyens et bas revenus, de 20,1% à 18,9%. Certes l’État se désengage mais il le fait surtout au plan économique (privatisations d’entreprises publiques par exemple). Au plan social, il n’a de cesse, dans les pays du Nord, d’élargir ces champs d’intervention.
Deuxième question : doit-on parler d’une Alternative ou d’alternatives ?
Autre débat très présent dans nombre de mouvements à travers le monde à gauche : quelle alternative au capitalisme ? Si on admet, en premier lieu, qu’il n’y a pas un seul capitalisme mais des capitalismes parce qu’il y a des différences sociales, économiques et politiques notables entre un pays comme le Danemark ou un pays comme les États-Unis, entre le Togo (sous dictature militaire depuis 40 ans) et le Mali (en régime démocratique et pluraliste depuis près de 20 ans), entre le Chili (pays fortement inégalitaire) et Costa-Rica (pays où une certaine protection sociale existe)… Si, en second lieu, on considère que le seul projet qui se soit présenté comme l’Alternative, le modèle communiste et la centralité de la collectivisation des moyens de production doublé d’un monopole du parti (le Parti communiste) sur l’ensemble de la société, a échoué en URSS comme en Chine, à Cuba, au Vietnam ou en Corée du Nord et que personne ne prétend plus s’y référer sérieusement pour concevoir le renouvellement du développement et de la démocratie d’une société, on en conclue qu’il n’y a pas une Alternative mais bien des alternatives. La logique du « tout ou rien », du capitalisme unique ou de l’Alternative au capitalisme (avec un grand A), est erronée au plan du diagnostic. […]
Y a-t-il des forces sociales capables de refaire le monde à l’échelle de la planète ?
Pour changer le monde, parlez uniquement et sans plus « des gens de la base », comme certaines organisations le font, est nettement insuffisant. Il faut, nous semble-t-il, parler plus largement et plus explicitement de mouvements sociaux porteurs de transformations sociales, non seulement à l’échelle locale mais aussi à l’échelle internationale, et de l’état des lieux de l’organisation de ces mouvements aujourd’hui, état des lieux qui n’est plus le même qu’il y a 20 ans par exemple : émergence de nouveaux réseaux transnationaux pour un mais aussi transformation de grands mouvements internationaux qui ont une histoire longue derrière eux comme le mouvement des travailleurs (avec la Centrale syndicale internationale, la CSI), le mouvement coopératif (avec l’Alliance coopérative internationale, l’ACI) et le mouvement des paysans et des agriculteurs (avec la Fédération internationale de producteurs agricoles, la FIPA)… ; montée d’un mouvement citoyen international avec le Forum social mondial (FSM)…. Autrement dit la critique de la mondialisation néolibérale ne suffit pas ni l’évocation d’une sortie du capitalisme. Il nous faut aussi des repères sur ce qui tente de refaire présentement le monde et pas uniquement sur ce qui défait le monde.
Pour lire l’article complet de Louis Favreau, allez sur son blogue (carnet).
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