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Le samedi 23 avril 2022

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Les rapports entre l’économie sociale et les politiques publiques

L’auteure invitée est Marie-Joëlle Brassard, directrice du Service de recherche du conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM). Source : extraits d’un entretien tiré du volume « Économie et société, pistes de sortie de crise » de Louis Favreau et Ernesto Molina à paraître aux Presses de l’Université du Québec (sortie en librairie et en ligne le 18 août)

Le thème est central mais galvaudé : quels sont les rapports entre l’économie sociale et les politiques publiques ? «Co-production», «co-construction» de politiques publiques et «partenariat»s sont les fins mots de la chose. Mais qu’en est-il au juste ? Présentation de trois dossiers chauds que la famille coopérative de l’économie sociale tente de négocier depuis 5 ans avec le gouvernement actuel. Dans le présent contexte de crise et d’un gouvernement qui navigue à vue sur nombre de dossiers, la logique de collaboration avec les pouvoirs publics peut devenir une logique à sens unique. C’est le cas aujourd’hui dans quelques dossiers majeurs, notamment ceux des coopératives de santé, des coopératives d’énergies renouvelables et de l’agriculture. La question qui tue : comment alors faire en sorte que l’État québécois renoue avec des politiques d’intérêt général? Mme Brassard n’a pas la réponse! Mais le diagnostic qu’elle avance soulève la question des formes de mobilisation socio-politique à mettre en œuvre pour éviter de faire du surplace.

L’agriculture

L’agriculture québécoise est en pleine transformation. Le mouvement coopératif est très engagé dans ce secteur depuis des décennies. Mais depuis 20 ans, vos plus récentes recherches au CQCM démontrent que les grandes coopératives agricoles ont affaibli le lien avec leurs membres, les agriculteurs. Ce serait, à vos dires, un problème structurel lié aux législations en cours. À l’occasion de la Commission sur l’agriculture en 2007, la Commission Pronovost, vous avez logé des demandes de modification. Où le dossier en est-il rendu? En outre, le CQCM est sensible à l’autre agriculture, une agriculture émergente, de niche, plus territoriale et plus biologique. Comment êtes-vous engagés sur cette question?

Les enjeux liés à l’agriculture se jouent à trois échelles de territoires. La première est locale et réside dans le renouvellement de l’engagement des membres à leur coopérative. La deuxième est mondiale, là où se fait sentir durement la crise alimentaire. Entre les deux, évidemment, le palier fédéral canadien est un intervenant de première ligne auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) alors que le gouvernement du Québec influence par ses législations, notamment pour la gestion de l’offre. La position du Conseil à la Commission Pronovost décrit les effets pernicieux de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, laquelle établit les règles permettant d’organiser la production et la mise en marché agricole. L’objectif visant à assurer des revenus décents aux producteurs agricoles ne fait pas problème. Cependant depuis 1990, avec cette loi, chaque coopérative doit s’adresser à un syndicat agricole plutôt qu’à ses membres pour s’approvisionner. Le syndicat agricole est alors devenu un intermédiaire faisant ainsi perdre le lien d’usage membres-coopérative. À partir de là, le seul lien entre le membre et sa coopérative devient la ristourne, soit le lien d’affaires. Pour résoudre l’impasse, le Conseil recommandait, dans son mémoire, la réhabilitation du lien d’usage du producteur agricole à sa coopérative en proposant au gouvernement d’autoriser la création de Filières de solidarité coopérative qui, en plus d’assurer une production 100% COOP, permettrait à la coopérative de s’approvisionner auprès de ses membres à la hauteur de ses besoins, notamment pour la transformation. Perspective : préserver la solidarité entre les membres et l’ouvrir à de nouveaux membres sur la base d’une production accrue.

Quant à l’international, l’enjeu se présente autrement. Les 100 coopératives agricoles rassemblées au sein de la Coop fédérée ont dû revoir tout leur fonctionnement dans le cadre des nouvelles contraintes liées aux marchés mondiaux. Alors que pour les grandes entreprises privées, les capitaux sont mobiles, pour la coopérative, l’ancrage local et la participation des membres aux décisions sont cruciaux. On parle ici des deux tiers des producteurs agricoles concernés par ces décisions. Pour diminuer les coûts de production et abaisser le coût des services offerts aux membres, la Coop fédérée initiait le projet Chrysalide en 2008, une révision intégrée de ses structures permettant de renforcer sa capacité à mobiliser ses membres dans la prise de décision. La Coop fédérée a aussi demandé au gouvernement fédéral de retirer la question agricole des règles du jeu de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’alimentation ne peut être laissée au marché. Il faut donc créer des alliances avec d’autres organisations dans le monde entier et adopter des positions communes afin d’assurer une régulation internationale des prix qui soit équitable pour tous.

La santé

Le Québec des communautés locales est aujourd’hui coincé entre deux feux : d’un côté, un secteur public qui occupe le plus gros de l’espace mais avec des déficits majeurs d’accessibilité en matière de services de proximité, davantage encore depuis la fusion des CLSC avec les grands établissements (hôpitaux, centres d’accueil…); de l’autre le risque d’une marchandisation de services à partir d’un modèle privé de type grande surface avec intégration de plusieurs créneaux : supermarché, grande pharmacie, clinique de santé… et ce suite au déclin des cliniques sous gérance privée de médecins. Quel est l’état des lieux de ces alternatives que sont les coopératives de santé?

Levons tout de suite l’ambigüité, souvent entretenue, de la privatisation de la santé par les coopératives. Les coopératives de santé sont des infrastructures d’accueil, un acteur collectif, pour assurer la proximité du service et son maintien dans la communauté. L’accessibilité du service de santé, pour sa part, est inscrite dans la loi fédérale et dépend de la disponibilité des médecins, ce sur quoi une communauté n’a pas de contrôle. Un autre préjugé tenace est la croyance qu’elles sont localisées dans les régions et les villages éloignés. Une étude détaillée a révélé qu’elles se situent là où le taux de médecins par 1000 habitants est le plus bas, donc là ou la pénurie se fait sentir plus durement (Brassard et alii, 2009). Elles sont dans les municipalités péri-urbaines. Par leur seule présence, ces coopératives changent la répartition des effectifs médicaux dans les territoires. Elles entrent alors en opposition avec le contrôle du gouvernement habitué de « placer » les services de santé en fonction d’une rationalité différente. Le gouvernement n’est pas sourd aux signaux des communautés. Il est plutôt en déphasage parce que les logiques diffèrent. D’un côté, le gouvernement tentait, à partir de 2004, une régionalisation de la gestion de certains services de santé, après l’adoption de la Loi 25 de 2003, qui consacra l’approche populationnelle. Avec celle-ci, l’échelle territoriale planifiée réfère désormais à un découpage en 95 centres de services sociaux et de santé. En même temps, la restructuration prévoyait la mise en place de Groupes de médecine familiale (GMF) répartis entre ces 95 territoires, permettant une contribution financière additionnelle. Ainsi, les GMF visent une organisation du travail « en équipe » pour optimiser les ressources professionnelles, principalement entre infirmières et médecins. La mise en place de tels GMF suppose la fixation d’un nombre minimal de ressources professionnelles, ce qui est plutôt difficile pour les coopératives de santé qui ont un nombre restreint de médecins. De plus, dans le cas des coopératives, la logique première est celle de la mobilisation citoyenne avec comme point d’appui le milieu de vie. Pour les communautés qui se mobilisent, le service de santé réfère alors à un projet d’avenir. Un service de santé représente ainsi, dans un ensemble coopératif plus large, l’assurance de pouvoir attirer les jeunes, de garder les personnes âgées dans leur milieu, de maintenir une école ouverte, d’avoir suffisamment de citoyens pour créer une vie dynamique. De même, l’État, par son bras régional, vise à offrir une desserte de services uniquement centrée sur le secteur de la santé, alors que les coopératives de santé ont plutôt tendance à se déployer dans un éventail plus large de services, notamment en matière de prévention. Réunies au sein de la Fédération des coopératives de services à domicile et de santé depuis 2009, elles font face aujourd’hui à plusieurs défis. En 2006, le Conseil déposait un mémoire à la commission parlementaire des Affaires sociales et recommandait, entre autres, que le gouvernement transmette des signaux clairs aux instances publiques de santé pour favoriser un arrimage entre CSSS et coopératives de santé, notamment: a) soutenir leur mise en place par des mesures fiscales locales; b) permettre aux municipalités de jouer un rôle actif en s’inspirant de l’exemple français des Sociétés coopératives à intérêts collectifs (SCIC). Dans le même ordre d’idées, l’Italie qui a créée en 1993 une loi à cet effet va encore plus loin. La municipalité et la coopérative y développent des partenariats non seulement en matière de santé mais dans des secteurs à caractère social (insertion sociale et socio-professionnelle, etc.).

Les énergies renouvelables

La question énergétique en contexte de réchauffement climatique est devenue de plus en plus centrale. Le Conseil a été très innovateur en plongeant au cœur de cet enjeu, par suite d’initiatives de communautés et de régions qui ont démarré des projets de coopératives d’énergies renouvelables dont l’éolien est la face la plus visible. Comment se positionne le Conseil dans ce dossier écologique?

Une réflexion s’est amorcée en 2005 entre représentants de divers secteurs du mouvement coopératif, notamment la Coop Fédérée, le mouvement Desjardins et la Fédération des Coopératives de développement régional. Le lancement imminent d’un second appel d’offres de 2000MW d’énergie éolienne, s’ajoutant au premier 2000 MW, motivait les partenaires coopératifs. La Coop fédérée avait alors produit un mémoire sur le sujet. Un regroupement des forces coopératives était donc à l’ordre du jour. Le Conseil fut mandaté pour mettre en place les conditions favorisant le développement coopératif dans le secteur de l’éolien et des énergies renouvelables. Une expertise sur un modèle de financement pour soutenir leur démarrage et leur développement fut développée après deux années de recherche.

La stratégie énergétique du gouvernement pour 2006-2015, en plus de proposer 4 000 MW d’énergie éolienne branchée sur le réseau hydro-électrique, réservait 500 MW en énergie dite « communautaire », répartie entre les autochtones et les communautés. Pour définir «communautaire » et préciser les critères d’attribution, le ministère concerné invitait le Conseil à une table de concertation avec d’autres organismes, notamment le monde municipal et agricole (UPA).

L’inexistence de soutien concret aux communautés pour développer l’éolien, créneau fort coûteux par ailleurs, a rapidement été soulignée par les acteurs présents à la table de concertation. Une proposition fut transmise au sous-ministre d’alors, pour l’élaboration d’un programme d’achat garanti avec tarif fixe, prévoyant des critères précis pour l’acceptation des projets. Finalement, la proposition visait à identifier un tarif d’achat d’électricité fixe et connu d’avance inscrit dans un cahier de charge. Cette proposition s’inspirait des modèles développés en Allemagne, au Danemark et en Espagne. Il n’y a pas eu de réponse à la proposition transmise. Une autre demande visait à protéger la ressource pour les communautés en territoire habité en réservant la récupération des mégawatts non construits dans les premiers appels d’offre, soit 500 MW à ce jour. En l’absence de conditions adaptées à la situation des communautés, ces dernières se sont retrouvées en concurrence avec les grandes entreprises multinationales. Elles se tournèrent donc plutôt vers la diversification des énergies renouvelables.

En 2008, soit trois ans après la décision des acteurs coopératifs d’aller de l’avant, plus d’une dizaine de coopératives en énergies renouvelables étaient formées avec, en référence, plusieurs guides d’accompagnement. Les soutiens financiers provenaient essentiellement d’Agriculture Canada dans le cadre d’un programme sur les bioénergies. De leur côté, les coopératives forestières se sont mises en marche pour développer des projets de biomasse forestière. Les coopératives agroalimentaires, pour leur part, démarraient des projets en biocarburants ou en agro-énergie avec le soutien de la Coop fédérée. En 2009, le Conseil a mobilisé plus de 300 personnes dans un colloque sur cette question. Parallèlement, le Conseil a poursuivi le développement de l’expertise portant sur un projet de Fonds de démarrage et de développement en énergies renouvelables proposant un partenariat avec le gouvernement. L’intérêt était là mais n’a donné lieu à aucun engagement précis de ce dernier à ce jour. Un programme de micro-production annoncé dans la stratégie énergétique pourrait profiter aux communautés. Il est lui aussi toujours en attente.

Bref, le gouvernement tarde à agir dans le domaine des énergies renouvelables pour soutenir véritablement les régions. Seul un choix politique éclairé pourra assurer ce virage. On peut conclure que, pour répondre à la crise écologique, l’emphase sur la «biodiversité de notre économie» (expression de Felice Scalvini à la conférence de Lévis) pourrait ouvrir une voie aux coopératives. Les énergies renouvelables, la biomasse, l’agriculture en circuits courts, la forêt de proximité, le tourisme durable, les marchés publics coopératifs et bientôt des coopératives de solidarité pour assurer la pérennité des terres agricoles sont des créneaux porteurs d’avenir.

Pour accéder au texte complet, on va sur le blogue de Louis Favreau

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