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Le samedi 23 avril 2022

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La tempête approche

L’auteur invité est Michel Rocard, ancien premier ministre français et ancien dirigeant du parti socialiste.

La crise financière de type 2007-2008 peut-elle se reproduire ?

J’ai eu souvent l’occasion, y compris dans ces colonnes [de Project Syndicate], de dire mon inquiétude sur l’insuffisance des conclusions, et par conséquent des décisions consécutives aux trois réunions du G20. On a quelque peu intensifié les ratios de sécurité, mais pour les banques seulement, et on ne les a pas étendus aux autres opérateurs sur les marchés. Rien ne borne, toujours, le champ illimité des marchés « virtuels » c’est à dire des marchés de produits dérivés déconnectés de tous contrats d’économie réelle, et rien n’est fait non plus pour limiter la propension des grandes banques [centrales], surtout la FED américaine, à inonder le monde d’un volume hallucinant de liquidités créées pour la spéculation et totalement étrangères à toute orientation vers l’investissement. Il n’y a donc aucun frein à ce que se reproduisent des bulles financières de même nature que celle qui explosa en 2007-2008. Les paradis fiscaux n’ont guère perdu de leur ampleur ni naturellement de leur anarchique volatilité. Le léger renforcement des autorités de contrôle ou de régulation bancaires qui est tout de même intervenu n’est en rien à la hauteur des enjeux. Et surtout les gouvernements ont refusé de rétablir la séparation absolue entre banques de dépôts et banques gérant des risques, qui serait la seule mesure capable de nous prémunir assez largement contre le déferlement de billions de dollars dans un tsunami financier que pourrait provoquer n’importe quelle explosion d’une bulle sectorielle.

Autre chose s’est ajouté. On a en 2008 empêché la transformation d’un krach boursier en dépression grâce à la transformation partielle de la dette privée menacée en dette publique. Ce coup génial a réussi, mais il n’est en aucun cas refaisable, et il est en partie à l’origine de la nouvelle crise qui menace, celle de la dette publique. Le traitement par nos États de la crise n’est, de loin, pas le seul élément qui ait contribué à l’émergence de cette crise de la dette publique. Depuis plus de vingt ans en effet la dominance nouvelle du capitalisme financier sur les économies contemporaines a mis les États en situation de devoir emprunter massivement. Une des règles du nouveau jeu établie un peu partout dès les décennies 70 et 80, fut l’interdiction faite aux banques centrales d’émettre la monnaie. Cette idée dangereuse, émise en France par Jacques Rueff dès 1958, généralisée en Europe dans les 20 ans qui suivirent, avait pour objet de limiter la propension des économies capitalistes à patiquer l’inflation dès qu’elles étaient en plein emploi. Mais elle eut surtout ce résultat terrifiant d’obliger les États à emprunter aux taux du marché de la monnaie émise par les banques privées pour assurer leur trésorerie, créant ainsi un puissant freinage à l’investissement public, un énorme flot de dépense publique nouvelle et irrépressible et une gigantesque rente de situation pour l’appareil bancaire privé. Aucune société d’économie de marché n’a trouvé, ni n’a même cherché à définir le volume relatif nécessaire de l’Etat dans le PIB pour assurer un niveau satisfaisant de services publics, sauf peut être les quatre nations scandinaves. C’est ainsi qu’on est arrivés, avant la crise de 2008, à une dette publique comprise entre 50 et 100 % du PIB en Europe et dépassant 100 % aux USA. Le traitement de la crise de 2008 a tout aggravé.

En outre, 17 pays d’Europe se sont donnés une monnaie commune, l’Euro. Ils ne peuvent donc plus dévaluer chacun de leur côté. C’est un progrès collectif important, mais qui suppose que l’Euro soit géré comme une vraie monnaie commune, c’est à dire avec une totale solidarité. Imagine t-on, avant l’Euro, que la France ait pu renvoyer la Seine-Saint-Denis ou la Corse devant les marchés financiers pour solder leur dette internationale?

Sur la Grèce, membre de l’Euro, on en est là. Si elle fait défaut, une immense spéculation est possible. Les marchés ne feront pas la différence entre la dette grecque et celle des autres économies lourdement endettées: Portugal, Irlande, Espagne et Italie, la plus récemment attaquée. Il pourrait s’agir d’un tsunami financier à centaines de milliards de dollars. On comprend l’énergie que déploient la BCE et son Président Jean-Claude Trichet pour tenter d’éviter cela. La Grande- Bretagne et même la France ont aussi un niveau de dettes qui ne laisse pas espérer les voir échapper à un tel drame.

Enfin, les Etats-Unis ne peuvent faire face à leur prochaine échéance de dette publique que si, à ma connaissance pour la l1ème fois depuis l’élection de George W. Bush, le Congrès autorise l’Etat à relever le plafond de cette dette. Ce n’est pas encore fait au jour où j’écris. C’est aussi un danger considérable.

Il est encore possible de parer à tout cela. Les techniques financières sont brutales mais connues. Mais il n’est plus possible de le faire dans le respect des exigences nationales souveraines de chacun. Les Etats-Unis devront renoncer à l’impérialisme du dollar, l’Allemagne doit renoncer au rêve de voir l’Euro géré comme si les 16 autres pays de la zone avaient la même histoire et la même culture qu’elle. La tempête qui s’annonce comportera de grands bouleversements.

Copyright: Project Syndicate, 2011.
www.project-syndicate.org

Pour lire le texte, on va sur le site de Project Syndicate

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