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Les répercussions de la loi antisyndicale du Wisconsin

L’auteur invité est Sid Ahmed Soussi, professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal.

Une loi antisyndicale a été adoptée le 10 mars 2011 par le Wisconsin à l’initiative de son gouverneur républicain, Scott Walker. Elle ne fait pas que transformer de fond en comble les relations du travail dans la fonction publique. Au-delà des dispositions augmentant considérablement les contributions des employés aux régimes de retraite et d’assurance maladie, cette loi vide de sa substance le droit à la négociation collective. Elle supprime le prélèvement automatique des cotisations syndicales (notre formule Rand) et conditionne l’adhésion syndicale à un vote annuel obligatoire.

Dernier verrou à la représentation collective: à défaut de ne pouvoir légalement abolir le droit à la négociation salariale, la nouvelle loi balise strictement cette dernière par l’obligation de subordonner tout dépassement de l’indice du coût de la vie à la tenue d’un référendum.

Comment expliquer une telle initiative, dans cet État, aujourd’hui ? Est-ce seulement parce qu’il est passé récemment, en novembre 2010, aux mains des républicains ? Est-ce une question de rééquilibrage des dépenses publiques qui grèvent le budget de l’État ou un enjeu politique ?

Quelles en sont les implications ailleurs aux États-Unis, au Canada et au Québec plus particulièrement, où la législation et le Code du travail doivent plusieurs de leurs principales dispositions précisément à cet acte fondateur qu’est le Wagner Act ?

Un enjeu politique ?

La presse américaine a largement commenté le financement de la campagne électorale de S. Walker par les frères David et Charles Koch, ces riches hommes d’affaires fervents partisans des think tanks conservateurs — Heritage Foundation et le Cato Institute qu’ils ont fondés — et du mouvement Tea Party. Pour un observateur averti comme Paul Krugman, il s’agit d’un enjeu politique, car le déficit n’est qu’un écran de fumée derrière lequel se cachent les conservateurs du Parti républicain et du Tea Party.

La syndicalisation du secteur public est substantielle dans 18 États: 1,4 million d’employés en Californie, 400 000 en Illinois et 1,1 million à New York. L’objectif des républicains, qui se sont imposés aux élections de novembre 2010 dans quatre États (Ohio, Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin), serait de fragiliser les bases sociales traditionnelles du Parti démocrate en s’attaquant aux organisations syndicales par la suppression de leurs fondements institutionnels et par le tarissement de leurs sources de financement.

Aux États-Unis, le taux de syndicalisation du secteur privé a dégringolé ces dernières années, de 33 % à 15 %, alors que dans le secteur public il s’est globalement maintenu à 36 % — une fausse moyenne dans la mesure où ce taux varie considérablement d’un État à l’autre. C’est ce qui fait de ce secteur le point d’impact des attaques dont il fait l’objet. Pour Krugman, « si les États-Unis sont devenus de plus en plus oligarchiques et de moins en moins démocratiques au cours des trente dernières années, c’est en grande partie dû au déclin du mouvement syndical dans le secteur privé ».

Une crise annoncée

La crise de 2008 aux États-Unis a placé les pouvoirs publics devant un dilemme dont les conséquences à long terme ne cessent de se faire ressentir. Soit venir en aide aux institutions financières et aux grandes organisations industrielles pour relancer leurs activités. Soit faire face aux immanquables contrecoups socioéconomiques de cette crise, c’est-à-dire à la déliquescence prévisible qui affecterait durablement des pans entiers de la vie économique. Cela, dans le contexte d’un tissu social déjà sérieusement fragilisé par la longue agonie du secteur automobile — largement attribuable aux stratégies de gestion archaïques, parce que tournant le dos aux nouvelles réalités technologiques, sociales et commerciales de la mondialisation, des dirigeants de ces grandes organisations.

Les dépenses publiques gigantesques (plus de 900 milliards de dollars) en faveur des plus grandes organisations financières et industrielles privées sont ainsi à l’origine des sérieuses difficultés budgétaires dans lesquelles sont plongées les finances publiques fédérales et locales aux États-Unis.

Des leçons à tirer ?

Aux États-Unis, sous le couvert d’une remise en question de la représentation syndicale, présentée comme un acteur rétrograde dont l’action serait un obstacle à une saine gestion des deniers publics, cette initiative s’attaque en fait au dernier rempart du système des relations industrielles hérité du New Deal. C’est le coeur même du mode d’encadrement juridique des relations du travail à l’échelle nationale qui fait l’objet d’une entreprise méthodique de disqualification.

Au Québec, le taux de présence syndicale apparaît plus important, mais il n’en reste pas moins que, malgré des négociations relativement réussies dans le secteur public, le mouvement syndical est régulièrement stigmatisé, autant dans certains discours politiques (Réseau Liberté-Québec, Institut économique de Montréal, le Conseil du patronat du Québec et autres «lucides») qu’à l’occasion de conflits du travail hautement emblématiques de cette tension et dont l’issue n’a fait qu’accentuer sa vulnérabilité (Journal de Montréal, Electrolux, Shell). Cela, même si, sur le plan de la question nationale, le mouvement syndical bénéficie au Québec d’un certain consensus politique en raison de l’assise sociale et organisationnelle qu’il constitue pour la mouvance souverainiste.

Certes, une juge du Wisconsin a ordonné, le 18 mars 2011, la non-publication et la suspension temporaire de la mise en application de la loi Walker, mais tout indique que la judiciarisation de cet enjeu ne peut se substituer à sa prise en charge politique par l’ensemble des acteurs sociaux et politiques, à commencer par le mouvement syndical et les alliés naturels dont il dispose dans la société civile.

Encore faut-il pour ce faire prendre conscience de l’importance croissante, dans cet espace, des forces conservatrices qui, aux États-Unis comme au Canada et au Québec, en ont fait leur champ politique de prédilection, après avoir, depuis la première vague néolibérale de Thatcher et de Reagan, substantiellement neutralisé la fonction régulatrice de l’État.

Les gouverneurs des États de la Floride, du New Jersey, de l’Indiana, de l’Ohio et de la Pennsylvanie n’ont pas hésité à faire écho au discours du Tea Party en manifestant leur intention d’emboîter le pas au gouverneur du Wisconsin: serait-ce là un indicateur clair de cette deuxième vague néolibérale ? Qu’en sera-t-il alors du gouvernement Harper que la nature minoritaire de son mandat avait jusque-là bridé ?

Pour accéder au texte de référence, on va sur le site du Devoir

Discussion

Commentaire pour “Les répercussions de la loi antisyndicale du Wisconsin”

  1. « Dernier verrou à la représentation collective: à défaut de ne pouvoir légalement abolir le droit à la négociation salariale, la nouvelle loi balise strictement cette dernière par l’obligation de subordonner tout dépassement de l’indice du coût de la vie à la tenue d’un référendum. »

    Depuis quand la démocratie est un verrou? Enferme les gens? Ça vous fait ben peur coudon que les gens aient plus de contrôle sur comment est dépensé leur argent et que tout ne se règle plus derrière des portes closes?

    Écrit par Dominique Dumas | septembre 6, 2011, 22 h 20 min

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