L’auteur invité est James Zhan, directeur de la division de l’investissement et des entreprises au sein de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
On reparle ces temps-ci de politique industrielle. Certes, elle n’est jamais tombée dans l’oubli, même dans les pays qui adhérent formellement aux principes de l’économie de marché. Mais on va en parler davantage, car l’intervention de l’Etat dans l’économie a gagné en légitimité dans notre monde d’après-crise. De la même manière, le succès de la Chine et la tentation s’aligner sur son mode de développement a rendu la politique industrielle plus attractive, d’autant qu’il existe maintenant de meilleurs outils pour la mettre en oeuvre et que l’on a plus d’expérience dans ce domaine (un point de vue développé par Justin Lin de la Banque mondiale).
L’année dernière The Economist a organisé un débat sur le sujet en faisant appel aux professeurs Josh Lerner et Dani Rodrik de Harvard. Il s’est terminé par un vote au cours duquel 72% des participants ont exprimé leur confiance dans la politique industrielle. Les responsables politiques semblent du même avis – et pas seulement ceux des pays en développement – à en juger par le lancement de la stratégie phare Europe 2020 de l’UE l’année dernière et par la politique d’énergie verte des USA.
Mais les dangers classiques de la politique industrielle sont toujours présents pour les pays en développement. Tout d’abord les gouvernements se trompent souvent en choisissant les industries à soutenir et en appliquant des mécanismes de soutien. Ensuite ils ont tendance à se laisser manipuler par les représentants d’intérêts particuliers, notamment quand l’environnement politique est insuffisamment structuré, ce qui conduit au favoritisme, à l’inefficacité et au gaspillage.
Par ailleurs, comparé à l’âge d’or du développement industriel, il existe de nouveaux risques. Le premier est la tentation de suivre aveuglement la Chine. Les dirigeants politiques doivent reconnaître que le modèle chinois a des caractéristiques particulières liées à son entrée graduelle dans les mécanismes du marché, un mouvement dans la direction idéologique opposée à celle des nouveaux convertis à la politique industrielle.
Au cours des 20 dernières années, le taux de croissance de la Chine a été dopé par sa démographie et par le bonus que constituent ses ressources propres qui lui a permis de tirer un maximum de profit de la mondialisation. La plupart des autres pays en développement ne peuvent se contenter d’imiter telle quelle la méthode chinoise : ils doivent établir des projets adaptés à leurs propres richesses naturelles, à leurs institutions et aux caractéristiques de leur environnement d’affaires.
Le deuxième risque tient au caractère mondialisé des industries susceptibles de bénéficier de l’aide de l’Etat. Alors que l’idée initiale de la politique industrielle était de protéger un secteur industriel de la concurrence internationale, il s’agit maintenant d’intégrer l’appareil de production national dans des chaînes de valeur internationales. Cela suppose de l’exposer à la concurrence mondiale.
Le troisième risque est de mettre en place une politique industrielle qui contrevienne aux obligations et engagements internationaux. Il ne s’agit pas seulement de la réglementation de l’Organisation mondiale du commerce, mais aussi des accords commerciaux et financiers régionaux et bilatéraux qui prolifèrent. Ils limitent fortement les possibilités de choix d’une politique industrielle destinée à protéger ou à soutenir des secteurs industriels ou des entreprises.
Malgré ces risques supplémentaires, aucune des grandes institutions consacrées au développement multilatéral ne peut nier aujourd’hui que les pays en développement doivent donner la priorité à des secteurs industriels spécifiques pour encourager la croissance et les aider avec des mesures budgétaires, financières et réglementaires. Dans ces conditions, que doivent faire les dirigeants des pays en développement ?
Choisir les bons secteurs à encourager
Une politique industrielle judicieuse doit exploiter les atouts dont dispose le pays concerné et se construire à partir des possibilités d’intégration de certaines de ses industries ou de ses entreprises dans les chaînes de valeurs internationales (par exemple en approfondissant les liens avec les réseaux de production internationaux et les marchés extérieurs), tout en évitant de surinvestir dans des secteurs à la traîne sur le plan mondial.
Les dirigeants politiques doivent sélectionner les secteurs qui offrent le plus de perspective de développement et de rentabilité : des industries qui réussissent à l’exportation ne sont pas toujours celles qui ont le plus d’impact sur l’emploi et sur la valeur ajoutée. Il ne faut pas oublier les secteurs domestiques, y compris celui des services, qui représentent souvent plus de la moitié de la valeur ajoutée, même dans les pays en développement.
Savoir abandonner les secteurs qui ne marchent pas
Même les secteurs qui paraissent de toute évidence mériter un soutien – des secteurs gagnants à coup sûr – peuvent se révéler décevants dans le climat d’incertitude économique qui domine aujourd’hui. Un Etat doit savoir reconnaître ses erreurs et retirer s’il le faut son soutien avant qu’il ne soit trop difficile ou trop coûteux de faire machine arrière.
La stratégie d’investissement doit cibler tout aussi bien le développement purement intérieur que les investissements directs étrangers. Cela signifie qu’il faut nourrir la compétitivité sur le plan international en cherchant à accroitre la productivité industrielle au niveau global, et pas seulement en aidant les acteurs nationaux. De la même manière, la politique technologique doit favoriser simultanément le développement des entreprises domestiques et les transferts de technologie. La stratégie de développement des entreprises doit aussi tendre à renforcer les liens avec les entreprises multinationales. Aujourd’hui on peut atteindre des objectifs en matière de développement en stimulant la croissance industrielle sur un plan global, et non la seule croissance industrielle domestique.
Les régimes relatifs au commerce international et aux d’investissements donnant accès aux marchés et aux financements étrangers, ils constituent une condition préalable à toute politique industrielle. Même dans ces conditions, les gouvernements des pays en développement peuvent créer des marges de liberté au sein des nouveaux accords portant sur le commerce et les investissements. Ils doivent en même temps appliquer les mesures de politique industrielle qui risquent le moins d’aller à l’encontre de leurs obligations au niveau international : les facilités réglementaires plutôt que les restrictions, les investissements destinées aux infrastructures plutôt qu’à des secteurs économiques spécifiques et des incitations fiscales accessibles à tous.
Finalement, tous les dirigeants, qu’ils soient à la tête d’un pays en développement ou d’un pays développé, doivent reconnaître que les discussions sur la gouvernance économique mondiale ne doivent pas porter exclusivement sur des questions de politique monétaire et de taux de change. Les pays qui se dotent d’une politique industrielle étant de plus en plus nombreux, la concurrence et les conflits sont appelés à se multiplier. Echapper à une course mondiale à qui aura le moins de réglementation ou à qui soutiendra le plus son industrie ou éviter un retour au protectionnisme exige une meilleure coordination internationale.
Copyright: Project Syndicate, 2011.
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Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Pour lire le texte, on va sur le site de Project Syndicate
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