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Le samedi 23 avril 2022

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L’économie sociale québécoise et la solidarité Nord-Sud : quel avenir en 2011 ?

L’auteur invité est René Lachapelle, président du GESQ. L’entrevue est réalisée par Louis Favreau.

Le Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) organisait une importante rencontre internationale au Québec en 2001. C’était il y a dix ans. Et cette rencontre était la seconde après la rencontre fondatrice de 1997 organisée par des Péruviens à Lima. René Lachapelle était au Pérou en 1997, a été un des principaux artisans de la rencontre de 2001, secrétaire exécutif du GESQ jusqu’à 2009, et président depuis. Il est donc bien placé pour faire un retour sur la dynamique Nord-Sud de l’économie sociale et solidaire québécoise à l’aube d’un rendez-vous international important qu’il organise avec la Caisse d’économie solidaire Desjardins et Fondaction le 17 octobre prochain à Montréal.

Louis Favreau. Comme militant et animateur du GESQ depuis sa naissance en 1999, sur le plan international, tu as un parcours de véritable combattant si on part de Lima, Pérou (1997), en passant par Québec (2001), le Brésil du Forum social mondial( en 2005 où l’ESS s’était déployée avec force), puis Dakar 2005 où les groupes de l’Afrique de l’Ouest (et de façon toute particulière le Sénégal) avaient reçu quelques 1200 personnes en provenance de 66 pays sur le thème global de l’ESS dans une perspective internationale Nord-Sud et aujourd’hui le travail du GESQ avec d’autres organisations en direction de Rio 2012, après avoir coordonné une délégation québécoise à Dakar au Forum social mondial en février dernier. Tu es donc bien placé pour faire un bilan de cette décennie de renouvellement de la solidarité Nord-Sud dans le registre des entreprises collectives : qu’est-ce qui la caractérise et surtout que retenir des forces et des faiblesses de l’ESS par delà le discours optimiste qui circule ?

René Lachapelle. L’expérience du GESQ, de Québec 2001 à Luxembourg 2009, est celle d’un passage de l’antimondialisation à l’altermondialisation, de l’action citoyenne de résistance à la construction d’alternatives (Fall et alii, 2004). Les actions du GESQ ont été inspirées et ont alimenté la promotion d’une économie sociale et solidaire favorisant la mise en réseaux d’activités économiques contrôlées par les populations marginalisées, de rapports proximité et de réciprocité entre les initiatives du Nord et du Sud et la réclamation de politiques qui soutiennent une approche de solidarité sociale. Au terme de cette décennie, où en sommes-nous ?

Les initiatives d’économie sociale et solidaire ont connu une mise en lumière significative. Au-delà des débats d’école et de la multiplicité des définitions, il est manifeste qu’il y a maintenant plus de place pour des innovations économiques à caractère collectif et démocratique plutôt que privé et gestionnaire. Pendant que l’échec du libéralisme devient chaque jour plus manifeste, l’émergence, au cours des dernières décennies, de nouvelles coopératives et d’entreprises associatives s’est accompagnée d’une préoccupation de l’économie sociale historique pour raviver la participation de ses membres (Favreau, 2010). Pourtant, le discours dominant n’éprouve aucune gêne à véhiculer ses mythes, il jouit même d’une large audience médiatique alors que l’économie solidaire est présentée comme une alternative pour les pauvres, donc une pauvre alternative.

Les liaisons entre l’ESS et les mouvements se sont affaiblies

Aujourd’hui, les liaisons dynamiques de l’ESS avec des mouvements sociaux qui avaient favorisé son renouvellement sont moins évidentes. Sans faire toutes les nuances qui s’imposent, on peut énoncer quelques constats. Le mouvement des femmes qui a été à l’origine de la remise en valeur au Québec de l’économie sociale durant les années 1990, s’est placé en retrait de la dynamique actuelle. Le mouvement syndical continue à être actif dans les fonds de travailleurs et dans les caisses d’économie, mais il demeure en retrait des coopératives émergentes et ne participe plus aux initiatives de développement local ni à un mouvement de mobilisation. Sa contribution sur ce plan a pourtant été déterminante durant les années 1990. Quant au mouvement coopératif, avec une nuance pour la conférence organisée par le CQCM à Lévis à l’automne 2010, sa discrétion se fait exemplaire sur le terrain politique et dans le débat sur la crise.

L’action communautaire autonome qui a eu une part active dans l’émergence des entreprises associatives est aux prises, pour sa part, avec des exigences de gestion découlant de la politique de reconnaissance acquise au tournant de la décennie (2001) : précarité des emplois en contexte de rareté de la main-d’œuvre, professionnalisation de l’activité et recul de la mobilisation des membres, multiplication des concertations et des approches « intersectorielles » qui sursollicitent les intervenants, etc. L’arrivée marquée des sociétés de gestion créées par la Fondation Lucie-et-André-Chagnon, en partenariat avec l’État québécois, représente un apport financier bienvenu pour certains, mais basé sur le financement de projets plutôt que le financement de base. Cela entraîne une dérive accaparant les organismes dans des processus gestionnaires et suscite la compétition autour de la répartition des ressources. Bref l’idéologie de l’efficacité et ses suites technocratiques ont plus d’importance que la mobilisation autour d’enjeux collectifs.

L’économie sociale associative aussi est aux prises avec les impératifs de gestion des appareils qu’elle a créés. On en vient à docilement tolérer des politiques pourtant destructrices pour l’économie des territoires, comme c’est le cas dans le secteur minier par exemple. La dépendance d’un financement largement public favorise des rapports à l’État de type sollicitation pour les intérêts de l’organisme plutôt que de revendication pour l’intérêt collectif.

Il faut éviter de jeter la pierre à ceux qui au quotidien portent ces choix, car il n’y a aucune évidence stratégique dans le contexte politique actuel. Les actions collectives telles la vive réaction populaire contre la prospection et l’exploitation des gaz de schiste, les manifestations contre les choix budgétaires favorisant la tarification, les réactions à la privatisation des services publics, etc. sont des formes de résistance. Mais l’absence d’organisations capables de maintenir le souffle et de structurer l’action est un indice clair d’un recul du rapport de force.

Les acteurs progressistes de la société civile québécoise non seulement n’arrivent pas à imposer leurs choix, mais ils en sont réduits à limiter les dégâts face à l’absence manifeste de volonté de les entendre de la part de gouvernements conservateurs à Québec aussi bien qu’à Ottawa. Non seulement le temps n’est plus à la coconstruction de politiques progressistes, mais même l’imagination semble ne plus être au rendez-vous. Dans un tel contexte, il est urgent de débattre et d’établir des alliances pour rétablir un rapport de force et rallier les troupes. Le premier impératif est de sortir du « chacun-pour-son-organisation ». C’est une des raisons de notre rencontre du 17 octobre au Centre Saint-Pierre à Montréal.

Sur le terrain international, l’hégémonie du néolibéralisme est aussi manifeste. Le Canada et le Québec sont des États promoteurs du libre-échange, une stratégie dont l’effet est dramatique pour les économies qui n’ont pas les moyens de contrôler les règles des échanges comme c’est le cas dans la majeure partie des pays du Sud. L’Amérique latine se distingue par une majorité de régimes plutôt progressistes, mais toutes les économies du Nord sont aux prises avec une gestion de la crise qui renforce le caractère inégalitaire de la répartition des ressources.

La difficile réciprocité dans la solidarité Nord-Sud

La richesse est au Nord et les moyens des organisations de l’ÉSS aussi. Le GESQ est préoccupé par les fortes inégalités d’accès à la scène internationale entre le Nord et le Sud. Produire des documents et les distribuer, envoyer des délégations à des réunions et des manifestations, avoir accès aux médias et aux gouvernements sont des activités qui exigent des ressources souvent inaccessibles pour la majorité des organisations de l’ÉSS du Sud. Cela menace le caractère démocratique de réseaux internationaux comme le RIPESS.

Lorsque ceux qui ont les ressources prennent le contrôle des opérations au nom de leur capacité d’action, c’est la vitalité démocratique qui en souffre. Les organisations du Sud souffrent des nouvelles règles de l’aide publique internationale qui les privent de moyens essentiels pour agir en parité. Cela pose le défi de mutualiser nos ressources en misant davantage sur la réciprocité dans nos coopérations. Il ne faudrait pas que le leadership revienne uniquement aux organisations capables d’assumer les factures, alors que nous avons besoin d’une solidarité ouverte. À cet égard, nous estimons que le principe d’alternance Nord-Sud doit demeurer déterminant dans la dynamique d’organisation des rendez-vous tenus par des réseaux d’ÉSS. Nous devons assurer une participation équitable des organisations du Sud et une place qui corresponde à leur réalité et non à leurs moyens dans les réseaux de promotion de l’ÉSS.

Louis Favreau. La crise qui traverse cette décennie a un caractère radical (2008 notamment et elle continue comme on l’a vu en cet été 2011). Quelle analyse en faites-vous au GESQ ? Par ailleurs, si la crise n’a pas empêché de très nombreuses initiatives socio-économiques inédites de surgir au Nord comme au Sud, initiatives qui, tout en étant très locales, cherchent à s’internationaliser, en même temps, le rapport de force est très inégal. Comment définir la période qui vient ? Quelles perspectives pour cette deuxième décennie ? Y a-t-il une place pour des liens forts avec d’autres mouvements ou va-t-on continuer d’être centré surtout sur la capacité de lobbying pour produire de nouvelles politiques publiques ? En outre, l’urgence écologique et la crise alimentaire adossées à de nouvelles formes de mobilisation sociopolitique de ces acteurs surtout économiques ne sont-elles pas au cœur de l’influence à bâtir pour peser sur les politiques publiques, ce qu’on imaginait pas il y a à peine 5 ou 6 ans ?

René Lachapelle. La crise du capitalisme mondialisé se présente comme une accumulation de crises qui menacent l’équilibre climatique de la planète et donc les conditions de vie de millions de personnes. La financiarisation de l’économie et le laisser-faire déstabilisent l’économie réelle, bouleversent les sociétés et acculent les populations à de sévères privations. Les inégalités sociales se creusent dans tous les pays et entre les pays du Nord et ceux du Sud. La recherche de la maximisation des profits détruit les systèmes de production alimentaire au point où 1,1 milliards de personnes souffrent de la faim. Voilà pourquoi nous avons tenu une université d’été en 2010 sur cette crise et sur la souveraineté alimentaire. Le diagnostic de cette université d’été d’Orford a été clair : cette crise désorganise la production au point où des millions de personnes se retrouvent sans travail décent, elle stimule la surconsommation, le pillage des ressources et le gaspillage énergétique pour se maintenir. De plus les objectifs de développement convenus à l’échelle internationale ne se concrétisent que partiellement.[…]

Pour lire le texte au complet avec ses références, allez sur le blogue de Louis Favreau.

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