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Le samedi 23 avril 2022

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Dette américaine : la double crise

L’auteur invité est Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie politique.

La dégradation de la qualité de la dette publique américaine est le résultat d’une double crise : celle de la notation et celle de la droitisation de la vie politique aux Etats-Unis. Mais sûrement pas une crise de l’hégémonie américaine, bien au contraire.

En dégradant la note de la dette publique des Etats-Unis de AAA à AA+, Standard and Poors fait passer la note du pays de « 20/20 à 19/20 » pour reprendre l’expression de Carol Sirou, son représentant pour la France dans Libération du 8 août. Pas de quoi s’affoler, suggère ainsi l’agence qui veut minimiser les conséquences de sa décision.

Or elle a bel et bien envoyé un message qui va au-delà de cette petite baisse de note : les Etats-Unis pourraient demain avoir des difficultés à rembourser leur dette publique. Qui peut croire à un tel message ? Qui peut croire que les Etats-Unis pourraient ne pas disposer des dollars leur permettant de payer les intérêts de leur dette ? Il ne s’agit pas, comme les pays pauvres ou émergents, d’une économie qui doit se procurer des devises étrangères pour rembourser ses créditeurs. Ni, comme la Grèce ou le Portugal, de pays en manque de compétitivité. Ni, comme l’Irlande, d’un paradis fiscal qui vit uniquement de l’excroissance de son secteur financier. Bref, si, compte tenu du vieillissement de sa population et de la piètre qualité de son système de santé, les Etats-Unis auront des soucis budgétaires dans vingt ans et plus, leur capacité à rembourser leur dette d’ici à dix ans reste intacte.

Une crise de la notation et comment y remédier

En notant sans risque les produits financiers toxiques qui ont amené à la crise, les agences de notation ont montré leur incompétence (très mauvaise évaluation du risque) et leur appât du gain (je note donc je touche, pas la peine d’investir dans la qualité de l’analyse). En dégradant la note des Etats-Unis, après celle du Canada ou du Japon qui ont pourtant toujours payé leur dette, S&P démontre une nouvelle fois la fragilité de la fiabilité de ses avis. Comme dans le cas de la Grèce hier, les agences de notation ne sont pas le thermomètre de la crise: elles en sont devenues l’un des virus qui fait monter la fièvre.

Cela n’a pas toujours été le cas. Au cours des années 1920, Poors et le Standard Statistics Bureau (qui fusionneront en 1941 pour donner S&P) alertaient de la montée de la spéculation et de la crise qui venait. A l’époque, et jusqu’aux années 1980, les agences de notation étaient assimilables à des bureaux d’études où l’on faisait pratiquement un travail universitaire. Depuis, la course aux profits a remplacé l’étude sérieuse, la prime à la note a succédé aux véritables analyses de risque, opérées désormais à partir de modèles opaques et, surtout, en toute irresponsabilité. Les avis des agences sont considérés comme de simples opinions, au même titre qu’un blog d’aujourd’hui !

Pour réguler le travail des agences, il faut donc commencer par les rendre responsables de leurs actes : il faut qu’elles soient obligées de justifier de leurs avis devant la justice américaine si un client se sent lésé. Cela les inciterait fortement à améliorer la qualité de leurs analyses. Seconde piste : les agences ont pris de l’importance dans la notation des dettes souveraines à partir des années 1980 lorsque les investisseurs (banquiers d’affaires, fonds spéculatifs…) leur ont délégué les analyses de risques pays que les banquiers réalisaient jusque-là. Mais, comme l’explique le financier George Hugeux, ce ne sont pas les financiers qui ont payé pour avoir les notes mais les Etats ! Aujourd’hui, les Etats-Unis paient S&P pour les mettre dans le maelstrom des effets de sa notation ! La centralisation des analyses de dettes souveraines aux mains de trois agences qui courent après les profits en toute irresponsabilité doit cesser. Il est temps de redemander aux investisseurs de refaire leurs propres analyses.

La droitisation des Etats-Unis et la déception Obama

S&P justifie en partie sa décision de dégradation par la mauvaise qualité de la « gouvernance » américaine, comprenez la gabegie qu’est devenue la vie politique américaine entre un Président mou et droitisé et une opposition portée par ses éléments les plus idéologues et les plus réactionnaires (Tea party). Si la conclusion qu’en tire l’agence sur la capacité de remboursement des Etats-Unis est erronée, les prémisses sont justes.

S&P explique qu’à ses yeux un consensus semble s’être noué entre Obama et les républicains pour ne pas remettre en cause les baisses d’impôts désastreuses de Bush qui privent le budget de recettes importantes. C’est juste. Obama s’est révélé très en dessous de ce que l’on attendait de lui. Il a mis en œuvre un plan de relance insuffisant pour améliorer la situation de l’emploi, une régulation de la finance allant dans le bon sens mais qui reste molle, et il a montré une volonté incompréhensible de négocier et de ne pas affronter des républicains aux propositions sans fondement économique sérieux, comme le démontre régulièrement, arguments à l’appui, Paul Krugman sur son blog. Il a même été jusqu’à accepter le principe d’une remise en cause de la sécurité sociale pour complaire à la droite de la droite américaine. Quel gâchis, pour ce Président que l’on voyait en nouveau Roosevelt et qui se révèle en héritier de Hoover. Le résultat en est un blocage de la prise de décision budgétaire aux Etats-Unis et des atermoiements qui pèsent sur l’emploi et la croissance aux Etats-Unis et dans le reste du monde.

La fin de l’hégémonie américaine ?

Pourtant, cet épisode ne marque sûrement pas la fin de la domination des Etats-Unis. C’est même tout l’inverse : dans quel autre pays, les batailles et les décisions politiques locales ont-elles autant d’influence sur les événements du reste du monde ? Dans quel autre pays une crise du marché immobilier à destination des plus pauvres se traduit-il en crise mondiale ?

Si l’Etat américain a perdu, comme tous les autres Etats du monde, du pouvoir par rapport aux acteurs privés, l’empire américain au sens large, c’est-à-dire les décisions prises par l’ensemble des acteurs américains, continuent d’influencer prioritairement le cours du monde. L’agence de notation chinoise la plus importante, Dagong, a dégradé la note américaine depuis longtemps. Sans aucune conséquence. Il a fallu qu’une agence américaine se positionne pour que le reste de la planète s’en préoccupe…

Pour lire le texte, on va sur le site d’Alternatives Economiques

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