L’auteur invité est Michael C. Behrent, historien spécialisé dans l’histoire de l’Europe contemporaine et surtout dans la philosophie politique française.
« Nous, on va toujours plus loin ! » — c’est, dirait-on, le mot d’ordre du parti républicain depuis une décennie environ. En 2000, il présente au monde un certain George W. Bush. Son bilan est impressionnant : guerres illégales, la chasse aux « états voyous », Guantanamo, la torture, écoutes téléphoniques officieuses, réductions d’impôts massives sur les grands revenus, privatisation (évoquée) de la sécurité sociale. Mais nous, on va toujours plus loin ! Ainsi, en 2011, le parti républicain nous sort … Rick Perry ! C’est le successeur de Bush au poste de gouverneur du Texas, mais un héritier qui trouve son prédécesseur trop … modéré. Le dernier président républicain, n’a-t-il pas – humanitaire bien intentionné qu’il est – étendu les acquis sociaux en permettant aux seniors de se faire rembourser certains médicaments couteux ? N’avait-il pas envisagé de régulariser la situation des immigrés clandestins ? N’a-t-il pas eu, en fin de compte, ce pauvre George, un gout un peu trop prononcé pour l’État ? Mais voilà qu’arrive sur scène Rick Perry. C’est fini la récréation ! Sécurité sociale ? Une escroquerie, pure et simple. Immigration illégale ? Allez, une barrière de 3000 km sur la frontière mexicaine ! Réductions fiscales ? Finissons avec les enfantillages. Pourquoi réduire l’impôt fédéral sur le revenu quand on peut l’abolir tout bêtement ? Il a fallu un amendement constitutionnel pour l’autoriser, alors supprimons-le tout simplement, comme on l’a fait pour la prohibition. Voilà un conservateur, un vrai !
Celui qui douterait encore de l’évolution extrémiste du parti républicain n’a qu’à regarder le débat qui a eu lieu entre les huit principaux candidats à l’investiture de leur parti le mercredi 7 septembre à la bibliothèque présidentielle de Ronald Reagan (à Simi Valley en Californie), grand temple des conservateurs américains (consultez la transcription du débat ici). Si des soucis électoralistes et des querelles de bilan contraignent les prétendants à s’entre-attaquer, le fonds idéologique qu’ils partagent est pourtant frappant. Dans leur discours, tout n’est que procès de l’État, condamnation de l’impôt, foi magique dans le marché, et nationalisme éhonté.
Considérez ces perles :
Commençons par le gouverneur texan lui-même. Un journaliste lui demande s’il croit toujours que la sécurité sociale (aux États-Unis, le système d’assurance-vieillesse crée sous Franklin Roosevelt) est une « chaine de Ponzi », comme il l’a soutenu dans un livre publié l’année dernière. Le gouverneur persiste et signe : « C’est une chaine de Ponzi de dire à nos gosses qui ont aujourd’hui 25 ou 30 ans que vous cotisez pour une caisse qui sera là [à leur retraite]. Tous ceux qui soutiennent aujourd’hui le statu quo de la sécurité sociale sont impliqués dans un mensonge monstrueux à l’égard de nos enfants, et c’est pas juste ». En somme, pour Rick Perry, rien ne sépare le principe du régime par répartition des pratiques frauduleuses d’un Bernard Madoff. L’évolution démographique a évidemment des conséquences graves pour ce genre de système. Il est bien connu que, dans son état actuel, la sécurité sociale ne pourra plus financer des retraites à taux plein d’ici 2036. Mais le système peut parfaitement se réformer, fait qu’aucun économiste sérieux ne conteste. D’ailleurs, un pareil problème de financement fut évité par une réforme en 1983 … à l’initiative d’un président que chacun des candidats républicains s’empressait à louer : un certain Ronald Reagan …
Mais Rick Perry, lui, va plus loin. Notamment lorsqu’on aborde les questions écologiques. Croyez-vous, lui demande-t-on, que le changement climatique est la conséquence de l’activité humaine ? « Je crois, répond-il, que là-dessus, la science n’a pas encore tranché ». Il en rajoute : ce n’est pas parce que « un groupe de scientifiques se met debout pour dire ‘voici un fait’ » que c’est vrai pour autant. Après tout, « Galilée fut battu aux voix pendant un moment ». Ah, oui, Galilée, cette figure emblématique du négationnisme du réchauffement climatique ! Mais à moins que je ne me trompe, le cardinal Bellarmin (« les » voix en question) ne fut pas exactement un homme de science. N’est-il pas plutôt l’exemple type d’un défenseur de la pensée orthodoxe et des pouvoirs établis contre les vérités qui dérangent ? C’est d’autant plus drôle que ce champion texan de Galilée souhaite que l’école enseigne le « dessein intelligent » pour présenter une alternative à cette théorie douteuse qu’est …. l’évolution. E pur si muove …
Que pensent nos candidats de la réforme de la santé accomplie par le président actuel – réforme qu’ils surnomment systématiquement « Obamacare » ? Là, on ne se retient plus. A l’instar de Michele Bachmann : « Je voyage à travers le pays et que je parle à des petits entrepreneurs, des hommes et des femmes, qui me disent qu’Obamacare les contraint à ne plus créer des emplois. J’ai passé trois semaines à visiter des restaurants, et j’ai parlé à des propriétaires, qui racontent qu’ils embauchent d’habitude 60 personnes, mais que là ils sont forcés d’en lâcher dix ». Les conséquences de la réforme pour l’emploi fait l’objet d’un débat entre économistes, mais Michele Bachmann néglige au moins le fait que la loi épargne les PME de certaines sanctions qui peuvent échoir aux grands employeurs, tout en leur offrant des subventions permettant à leurs employés d’acquérir une couverture médicale. Et de quoi s’inquiète Michele Bachmann en particulier ? Que la réforme découragerait l’embauche des enfants ! « Je suis maman. J’ai élevé cinq gosses biologiques et 23 gosses adoptifs [« foster kids »]. Une chose que je sais, c’est que les gosses ont besoin de jobs ». Michele Bachmann, candidate pour le retour du travail des enfants. Cela fait parti sans doute de ses convictions religieuses….
Si une nouvelle administration républicaine abrogeait « Obamacare », que mettrait-elle à sa place ? La réponse de Rick Perry brille par sa simplicité : rien du tout. Autrement dit, suivre l’exemple du Texas, où, comme le rappelait un des journalistes qui le questionnait au cours du débat, un quart de la population n’a pas d’assurance médicale. S’il y a de non-assurés, Rick Perry réplique, c’est la faute … au gouvernement: « Ma femme est infirmière. Et je vous assure, nous comprenons que si nous libérons le business du gouvernement fédéral dans les États, en ce qui concerne les soins médicaux, nous trouverons le moyen d’offrir davantage des soins médicaux à davantage de gens, à un prix bien inférieur à ce qui est requis par le gouvernement fédéral, avec toutes ses conditions ». Les marchés n’ont rien à perdre que leurs chaînes ; il y a va de notre santé…
Dans le parti républicain actuel, Rick Perry et Michele Bachmann représentent quand même la norme. Mais nous, on va toujours plus loin ! La preuve : Ron Paul, ce gourou libertarien, avec son noyau dur de fidèles dispersés un peu partout dans le pays, qui brigue l’investiture républicaine pour la deuxième élection consécutive. Rick Perry et Michele Bachmann nous effrayent bien, nous autres démocrates. Mais on a l’impression que même à ces deux là, le docteur Paul donne un peu les boules. Son programme : être élu président pour abolir le gouvernement fédéral. La liste de politiques et d’agences fédéraux dont il a demandé, au cours du débat, la suppression impressionne par son exhaustivité: les régulations financières (vivement la banqueroute !) ; le salaire minimum (ça sera mieux pour les pauvres) ; l’inoculation contre les maladies sexuellement transmis (une « mauvaise politique sociale ») ; les contrôles de sécurité dans les aéroports (laisser les compagnies de vol protéger leurs passagers comme les banques protègent leur liquide [!] – et puis, de toute façon, les agents de sécurité sont tous des obsédés sexuels…). Ne voit-il pas au moins du mérite dans le Food and Drug Administration, l’agence qui contrôle le commerce des médicaments ? Non, non, et non. « Qui est-ce qui finit par faire les régulations des médicaments ? Ils nous font autant de mal que du bon. Ils ne prennent pas soin de nous », car les régulations sont rédigés par des bureaucrates, qui sont eux-mêmes soumis aux pressions des lobbies de l’industrie pharmaceutique … Allons, privatisons tout ça, ça sera plus simple !
Doit-on s’en réjouir ? Ces interventions ne sont-elles pas tellement farfelues que Barack Obama devrait nécessairement en profiter, même avec un taux de chômage bloqué à 9% ? Hélas, non. A force de s’empresser à être plus outrancier les uns que les autres, il y a un candidat qui pourrait bien en profiter : l’ancien gouverneur Mitt Romney. Il entend lui aussi abroger « Obamacare » ; mais l’on sait qu’il a fait adopter un plan semblable au Massachusetts. Il n’affole pas les seniors en s’attaquant à la sécurité sociale, bien qu’il estime que la dérégulation est le moyen le plus sur pour créer des emplois. Dans tout autre contexte, le programme de Mitt Romney représenterait un coup de barre à droite (malgré le fait que l’homme fut, en tant que gouverneur du Massachusetts, relativement modéré). Mais grâce aux lubies de Rick Perry, Michele Bachmann, et autres Ron Paul, il pourrait, s’il décroche l’investiture, se présenter comme la voix de la raison, tout en véhiculant un programme ultralibéral. Le Tea Party pourrait d’ici là bloquer son ascension, certes – mais, pour Barack Obama, c’est Mitt Romney qui représente pour le moment la menace le plus gravissime.
Pour lire le texte complet, on va sur le blogue de l’auteur sur le site d’Alternatives Economiques
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