Les auteurs invités sont Yvan Allaire, président du conseil de l’IGOPP (Institut sur la gouvernance des institutions privées et publiques) et Mihaela Firsirotu, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
On comprend facilement pourquoi la fin de la guerre froide a fait du marché libre, mondialisé et omniprésent, le seul repaire idéologique des pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS.
Les affres du socialisme-communisme, les pénuries chroniques et cruelles de biens essentiels que ce système engendra, l’oppression politique des citoyens par un État policier omniprésent qui en était la marque de commerce, l’interdiction brutale pour le citoyen de quitter le pays pour trouver refuge ailleurs, tout dans ce système conduit à une répulsion pour l’État, une aversion envers tout ce qui émane de l’État. Ce sentiment est fort répandu dans les pays libérés du joug socialiste depuis la chute du mur de Berlin.
Toutefois, l’exemple fourni par l’État gluant et glauque des régimes socialistes a bien servi la promotion d’une idéologie des marchés, connue sous le nom de néolibéralisme.
Mais cette idéologie néolibérale, dont le credo est composé de déréglementation des marchés, de privatisation des services publics, de partenariats publics-privés, de libre-échange planétaire, est aussi porteuse de graves problèmes sociaux et économiques.
Second souffle pour le néolibéralisme
La déréglementation des marchés financiers, apothéose du néolibéralisme triomphant, a conduit directement à la crise financière de 2007-2008, laquelle faillit faire basculer l’économie mondiale dans une profonde dépression économique. Les suites de cette crise sont encore manifestes dans l’économie anémique de la plupart des pays développés ainsi que dans la crise de confiance que vit le système financier et bancaire européen.
La crise financière aurait dû faire en sorte que le néolibéralisme soit jeté aux poubelles de l’histoire. Pourtant, après une brève pause, ironie des ironies, cette idéologie a trouvé son deuxième souffle dans les programmes d’austérité adoptés par bon nombre d’États. Parce que la crise financière, dont le néolibéralisme est le principal architecte, a forcé les États à assumer des déficits accrus et une dette amplifiée pour composer avec la récession économique provoquée par cette crise financière, le néolibéralisme a refait surface, camouflé sous le péril de l’endettement des États.
Le vent froid du néolibéralisme souffle à nouveau sur les États et leur population. L’objectif avoué des néolibéraux est de discréditer l’État, d’en arriver à un État rapetissé, à une prise en charge par le secteur privé de nombreuses activités naguère du ressort exclusif de l’État. Pour un néolibéral pur et dur, il ne suffit pas qu’il y ait un marché: il faut qu’il n’y ait rien d’autre que le marché.
Conséquences du néolibéralisme
Dans cet État squelettique dont rêvent les néolibéraux, dans cet État où le secteur privé assume plusieurs fonctions de l’État, dans cet État ouvert au capital étranger et aux importations de tout bien et service, qu’advient-il en pratique? Les marchés «libres» ne le restent pas longtemps puisque, sans surveillance efficace, la collusion, la monopolisation, la manipulation des marchés domestiques (construction, voirie, etc.) deviennent monnaie courante et infligent d’importants coûts aux citoyens.
Sans les effectifs nécessaires, en nombre et en qualité, pour surveiller les agissements du secteur privé auquel l’État a sous-traité ses responsabilités, les services publics «privatisés» deviennent des lieux de maximisation des profits à court terme, de cupidité, sans contrepoids.
Toute déréglementation ou tout affaiblissement de la surveillance dans le secteur financier deviennent une incitation à l’«innovation de produits financiers», une occasion pour les spéculateurs-traders-magouilleurs; la frénésie de l’appât du gain au sein de cette gent ne connaît pas de bornes, ne comporte aucun cran d’arrêt… jusqu’à ce que le système s’effondre.
Instances de régulation affectées
L’affaiblissement des syndicats et la libéralisation des lois du travail dans le secteur privé, et plus récemment dans le secteur public, mènent à une stagnation des salaires et des gages, à une plus grande insécurité d’emploi et à une montée en flèche de l’inégalité des revenus.
Une dilapidation du capital social de confiance, de loyauté et de réciprocité sous l’influence d’une cupidité insidieuse infectant toutes les activités économiques. Le plus grave, c’est que, une fois que les valeurs d’intégrité et de responsabilité sont détruites ou abandonnées, l’appât du gain et la corruption en viennent à infecter les instances mêmes de régulation, les gardiens et les gendarmes des marchés.
Dans le cours normal de la vie démocratique, un parti politique et un gouvernement faisant la promotion et proposant la mise en place de politiques néolibérales seraient rejetés par la majorité des citoyens en raison justement des effets nocifs de ces politiques pour la grande majorité de la population.
Les peuples accepteront-ils longtemps de servir de chair à canon du monde bancaire, de cobayes pour leurs «innovations financières», de gogos dans les jeux truqués de la finance mondialisée? Certains croient que non, que la grogne sociale s’intensifie, que les gouvernements sont en perte de leur légitimité, signes avant-coureurs de graves troubles sociaux.
Des citoyens encore ouverts
Pourquoi alors les citoyens sont-ils encore réceptifs aux prescriptions néolibérales? Pour trois raisons.
Des rôles multiples
- Le citoyen assume plusieurs rôles: consommateurs de biens et services privés, ce que nous sommes tous; payeurs de taxe, ce que nous sommes presque tous; investisseurs, directement ou indirectement par le truchement de caisses de retraite; travailleurs et de plus en plus retraités; consommateurs de biens et services publics; et occasionnellement électeurs.
Les politiques néolibérales favorisent les consommateurs de biens et services privés par l’ouverture des marchés aux importations provenant de pays en voie de développement; elles cherchent à réduire au minimum l’État et donc favorisent les payeurs de taxe; la libre circulation des capitaux avantage les investisseurs; ces avantages sont payés par le citoyen dans son rôle de travailleur par l’affaiblissement de ses protections et de son pouvoir de négociation; le citoyen dans son rôle de consommateur de biens et services publics paie également la note puisque les néolibéraux proposent de limiter ces services et investissements publics et autant que possible les transformer en biens et services privés dont les utilisateurs devront payer le coût.
Or, les changements démographiques ont une influence sur l’importance de ces différents rôles. Sans souscrire à l’idéologie néolibérale, une population plus âgée maintenant à la retraite sera favorable à des gouvernements et des politiques qui mènent à des biens et services privés à faible prix, à des réductions d’impôts et à un contexte favorable à leurs placements. Le coût de ces politiques en matière de sécurité d’emploi, de salaires stagnants et de sous-investissement dans les services publics pourra leur sembler bien tolérable, pourvu que les programmes de sécurité de la vieillesse et de soins de santé ne soient pas visés.
Les néolibéraux, dans leur enthousiasme idéologique, font toujours l’erreur de sembler vouloir s’attaquer à ces programmes. Tant aux États-Unis qu’ailleurs, le soutien pour les politiques néolibérales chute précipitamment dès que l’on s’aventure sur ce terrain.
Gouvernements ineptes?
- Les néolibéraux partagent une haine de l’État, de ses œuvres et de ses pompes; tous les gouvernements sont incompétents ou corrompus, ou les deux à la fois. Force est d’admettre que certains gouvernements leur donnent raison. Or, soumis aux attaques néolibérales, souvent affligés d’incompétence et de corruption, résultante des prescriptions néolibérales en faveur d’un État émacié, les gouvernements en viennent à être perçus par la population comme ineptes, incapables de résoudre les problèmes, prodigues et gaspilleurs des fonds publics.
Alors, les prescriptions néolibérales de remettre au secteur privé, si efficace, si intègre, la prestation de services publics, de privatiser des activités de l’État deviennent attrayantes, voire réconfortantes.
Injustice et aide sociale
- Les néolibéraux sont convaincus que les gens qui sont pauvres sont en grande partie responsables de leur sort. Leurs mauvaises habitudes, leur manque de planification, leurs errances de jugement expliquent leur condition misérable. L’État ne devrait pas intervenir. Les programmes d’aide sociale et autres sont injustes en ce qu’ils prélèvent de l’argent durement gagné chez ceux qui sont diligents et prudents pour financer les mauvaises habitudes de gens qui manquent de discipline et de retenue.
Or, les sombres scénarios démographiques menant à un État surendetté, incapable éventuellement de financer ses programmes de sécurité sociale et de santé ont semé dans la population une bonne dose d’anxiété et de crainte de l’avenir. Dans ce contexte, les prescriptions néolibérales d’austérité dans les finances publiques, de coupes dans les programmes de soutien aux défavorisés, de réduction de la taille de l’État deviennent raisonnables, inévitables même.
Ainsi se façonnent les sympathies pour les prescriptions néolibérales chez des gens sans appartenance idéologique. Ne laissons jamais oublier aux néolibéraux et à ceux qui s’entichent de leurs prescriptions que cette idéologie porte une immense culpabilité, une terrible responsabilité pour la crise financière qui faillit engloutir le système financier mondial et dont les effets perdurent encore.
Soyons bien conscients que la réduction de la taille de l’État peut provoquer des effets pervers en limitant sa capacité d’agir comme surveillant des intérêts publics, comme gardien de l’intégrité des marchés privés.
Pour lire le texte au complet, on va sur le site du Devoir
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