Les industries de la finance et des énergies fossiles ont concentré entre leurs mains un pouvoir financier, économique et politique extrêmement dangereux pour la démocratie et pour la survie de la planète, du moins telle que nous la connaissons aujourd’hui. En 2008, sur le bord du précipice vers lequel la folie des spéculateurs financiers allait nous jeter, les États avaient agit rapidement pour reprendre l’initiative de l’action publique dans l’intérêt général. Ils avaient alors imaginé un audacieux plan pour renouveler la régulation des marchés financiers. Mais les lobbies de la finance ont veillé au grain. Partout, nous constatons que les pouvoirs publics ont reculé et ont eux-mêmes créé les conditions pour le ralentissement actuel.

La même chose se produit dans le domaine de l’environnement. Alors que nous épuisons notre capital de ressources naturelles, favorisant ainsi l’émergence d’une crise environnementale majeure, et que le réchauffement climatique de la planète provoque des événements climatiques extrêmes en série, les lobbies des énergies fossiles empêchent les États de la communauté internationale d’agir. Malgré l’urgence d’agir, on s’apprête à accorder à l’industrie des sables bitumineux de l’Alberta les autorisations de pipelines qui permettront de doubler ou de tripler sa production. Pourtant, selon Joe Romm, l’industrie des sables bitumineux représente le plus grand crime environnemental du monde contemporain. Le climatologiste de la NASA, James Hensen, signale pour sa part qu’un feu vert donné à ces projets de pipelines signifierait pratiquement la fin de la lutte contre les changements climatiques.

Les lobbies de la finance et du pétrole représentent les plus grands dangers actuels pour l’humanité, non seulement en raison des impacts des pratiques actuelles de ces deux industries, mais parce que leur pouvoir financier est tout simplement inacceptable, hors de toute proportion. Par exemple, la fortune des frères Koch, principaux commanditaires du Tea Party, aurait atteint 50 milliards $ en 2011, une augmentation de 800 % en 10 ans. Quel énorme pouvoir de nuisance peuvent jouer ces individus, c’est inimaginable. Sans cet appui financier, et la visibilité que leur donne les médias populistes de droite comme le réseau Fox, le Tea Party n’aurait jamais eu cette influence, tellement néfaste, sur l’électorat étatsunien.

On suppose, par exemple, que la raison pour laquelle le président Obama s’est entouré de plusieurs conseillers provenant des grandes firmes de Wall Street ne doit pas être, non plus, étrangère au financement de sa campagne à la présidence en 2008. Or, on apprend que le candidat républicain qui était jusqu’à récemment le mieux placé pour représenter son parti à la présidence, Mitt Romney, lui-même co-fondateur du fonds de placement privé Bain Capital, est maintenant le candidat favori de la finance. Le quart des fonds recueillis pour sa campagne de 2012 provienne de la finance, contre 4,4 % des fonds amassé par Obama. Les cinq grandes banques des États-Unis dominent largement le palmarès des 20 plus grands souscripteurs de Romney.

Autre exemple, le travail médiatique et de lobbying en faveur de l’autorisation du projet de pipeline Keystone XL, dont j’ai parlé à quelques reprises sur OikosBlogue. L’industrie du pétrole aurait engagé un ancien conseiller d’Hilary Clinton comme principal lobbyiste pour défendre le projet de pipeline. Wikileaks aurait aussi dévoilé des documents montrant la collusion de l’industrie avec les médias visant à donner une couverture médiatique plus favorable au sable bitumineux. L’industrie a créé de toute pièce des organisations supposément indépendantes pour faire la promotion de ce projet, comme par exemple le Iowa Energy Forum, qui fait la promotion de la sécurité énergétique des États-Unis. Dans la réalité, ce forum est financé par l’American Petroleum Institute, une association regroupant les Chevron, ExxonMobil, BP, Transcanada, Shell Oil et autres poids lourds des énergies sales.

On trouve sur le site français Rue89 un texte de Julien Landfried, porte-parole de l’homme politique de gauche Jean-Pierre Chevènement, qui nous propose cinq mesures pour soustraire le pouvoir politique des lobbies financiers. Deux des cinq propositions consistent à réduire le poids de la finance : d’une part en « nationalisant » la dette publique – par l’appel direct à l’épargne nationale –, d’autre part par une diminution des dépenses publiques favorisant ce secteur – dont l’éducation. Deux autres mesures consisteraient à diminuer le pouvoir politique du secteur : en écartant systématiquement des postes publics les professionnels provenant de la finance privée et en remplaçant les dirigeants actuels des institutions financières par des professionnels provenant des secteurs non financiers. La cinquième et dernière mesure proposée est de cesser toute référence aux firmes de notation.

« Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on fait cesser la fièvre, nous dit Julien Landfried. Mais ceux qui fournissent le thermomètre ne sont pas des médecins appliquant le principe ‘d’abord, ne pas nuire’ (primum non nocere) mais les bandits des temps modernes ne perdant jamais une occasion de se servir sur la bête. »

Ces propositions ne sont pas inintéressantes. Mais leurs applications ne sont pas évidentes ! Que peut-on faire au Québec contre ces lobbies ? On abordera cette question dans un prochain texte.