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Le samedi 23 avril 2022

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Deux scénarios de crise financière catastrophique

Les auteurs invités sont Frédérique Lordon, , et Jacques Attali.

Ce billet combine deux billets du blogueur d’Alternatives Economiques, Gilles Raveaud : l’un sur le scénario de Frédéric Lordon (qui suit immédiatement), l’autre sur celui de Jacques Attali.

Commençons par l’analyse de Frédéric Lordon :

Maintenant que sont bruyamment signifiées, à propos du cas a priori le plus favorable, l’impossibilité de le régler dans un horizon de moyen terme et l’injonction sans appel d’aller se jeter dans l’impasse de l’austérité, la certitude de la catastrophe finale commence à se profiler. C’est sous cette perspective qu’il est plus judicieux de reformuler le problème général de la dette – mais évidemment en de tout autres termes : la mondialisation néolibérale va périr par la dette parce que, à l’encontre de l’idée reçue qui le présente comme la raison économique même, le néolibéralisme est fondamentalement le régime économique du surendettement généralisé.

Dette des ménages, dette des institutions financières, dettes des Etats : la dette globale a monstrueusement explosé en vingt ans de mondialisation dans la plupart des pays : de 220 à 500 points de PIB pour le Royaume-Uni entre 1990 et 2010, de 130 à 370 points de PIB pour l’Espagne, de 200 à 350 points de PIB pour la France, de 200 à 280 points de PIB pour les Etats-Unis…

La dette des ménages explose parce que seul le crédit leur permet de rester à flot pour leur consommation courante quand leur revenu est sous compression constante, du fait de la concurrence par les coûts du libre-échange et de la pression actionnariale à la rentabilité financière. La dette des institutions financière explose pour mobiliser l’effet levier et propulser les ROE (Return on Equity, rendement des capitaux propres).

La dette des Etats explose sous l’effet du choc récessionniste occasionné par la crise financière, expression parfaite des désordres mêmes du néolibéralisme, mais surtout, en moyenne période, sous l’effet de la contre-révolution fiscale, un autre de ses produits typiques, qui réduit la contribution du capital et des plus fortunés. Vient forcément un moment où cette divergence proportionnelle n’est plus soutenable et où il n’y a plus d’autre solution que des annulations massives – nous en sommes là.

[Il] s’agirait de ne pas perdre de vue que, dans le paysage de la finance en implosion, la cause majeure demeure l’imbroglio européen. Dès l’origine, on pouvait identifier la malfaçon constitutive de l’EFSF (European Financial Stability Facility, le fonds de secours européen), qui consiste à fabriquer des surendettés futurs pour sauver les surendettés présents, quitte à croire aux propriétés magiques du bootstrapping à l’image du baron de Münchausen imaginant se sortir de la vase en tirant sur ses propres cheveux. Le vice congénital pouvait passer inaperçu tant qu’il s’agissait de secourir un petit nombre de « petits » pays et que la dilution de la contribution sur l’ensemble des participants à l’ESFS demeurait tolérable.

Mais d’abord, le nombre des petits pays a crû, certains comme la Grèce réclamant même un deuxième service, de sorte que le cumul des sommes à mobiliser a commencé à grossir. Et voilà surtout que s’annoncent deux sérieux candidats au bureau des pleurs : l’Espagne et l’Italie. Il est à craindre que le coup soit fatal pour l’EFSF qui enregistrera le choc des deux côtés de son bilan.

D’abord du côté de ses emplois, car le volume des opérations change d’un coup singulièrement de format. L’Espagne affiche un encours de dette souveraine de 638 milliards d’euros, et l’Italie de 1 840 milliards d’euros (données Eurostat, fin 2010), à comparer aux 328 milliards de la Grèce, 148 milliards de l’Irlande et 160 milliards du Portugal… et venant s’y ajouter !

Sachant que les plans « Grèce (1 et 2) », « Portugal » et « Irlande », représentent un engagement total de l’EFSF de 236 milliards d’euros, l’extrapolation à l’Espagne et à l’Italie du coefficient Concours EFSF / Dette publique calculé pour les trois précédents aboutit à l’estimation (tout à fait grossière) d’un total d’engagement de l’EFSF de 1 150 milliards d’euros…

The Economist, qui propose un autre calcul sur la base d’une hypothèse où l’EFSF aurait à couvrir les deux tiers des dettes maturant à l’échéance de 2015, arrive à une estimation d’environ 800 milliards d’euros – toutes estimations à comparer à la capacité actuelle de l’EFSF de 250 milliards d’euros et à sa capacité rehaussée de 440 milliards d’euros (laquelle ne sera active que lorsqu’aura été satisfaite la condition de validation par tous les Etats-membres des décisions du sommet européen du 21 juillet 2011). […]

Seule une banque centrale, en tant qu’elle est capable de mobiliser des moyens par définition illimités, est capable d’intimider la spéculation qui sait dès le départ qu’elle n’en verra pas le bout. Le retard à intervenir, le contrecœur manifeste avec lequel elle le fait, et pour finir l’annonce de son retrait programmé : tout concourt à miner le rempart indécis élevé par la BCE pour protéger l’Espagne et l’Italie, comme si personne ne semblait avoir conscience parmi les décideurs européens que nous sommes pour ainsi dire à la dernière station avant l’autoroute – soit en parcourant de l’aval à l’amont les enchaînements prévisibles du désastre : que l’Italie et l’Espagne sautent et tout saute ; que la spéculation contre leurs dettes souveraines ait pris tant soit peu d’ampleur et elle sera inarrêtable ; que les « autorités européennes » ne fassent pas tout pour tuer la spéculation naissante et elle passera le seuil critique…

Mais l’essentiel est ailleurs : il est dans le fait que jamais un groupe d’intérêt aussi puissant que celui qui s’est constitué autour de la finance lato sensu ne renoncera de lui-même au moindre de ses privilèges, et que seuls peuvent le mettre à bas la force d’un mouvement insurrectionnel – puisqu’il est bien clair par ailleurs qu’aucun des partis de gouvernement nulle part n’a le réel désir de l’attaquer –, ou bien la puissance dévastatrice d’une catastrophe que son système aura lui-même engendré.

A l’évidence, c’est cette dernière hypothèse qui tient la corde, et puisqu’elle déploie maintenant ses effets avec la force de fatalité du tsunami évoqué en ouverture, il ne reste plus qu’à attendre qu’elle accomplisse pleinement ses virtualités… pour en tirer le meilleur parti : reconstruire les institutions de la création monétaire souveraine, avec tout ce qu’elle suppose et de possibilités rouvertes et aussi de rigoureux encadrements ; réinventer des structures bancaires qui à la fois échappent aux prises d’otage de la banque privée et dépassent la forme « nationalisation » vers un système socialisé du crédit ; réduire au minimum la structure des marchés de capitaux pour lui ôter tout pouvoir de nuisance et d’usurpation. Soit, sur les ruines, enfin tout rebâtir.

Maintenant, voyons le ‘déroulement’ du scénario-catastrophe de la crise imaginé par Jacques Attali :

Il serait temps, en France, de se préparer au double choc à venir de la crise bancaire et de la crise des finances publiques. Il vient. Il sera là bientôt. Et personne ne réfléchit assez au scénario du pire ; comme s’il suffisait, pour le conjurer, de ne pas y penser.

Voici ce que serait son déroulement, en dix étapes :

1. La Grèce, n’ayant plus les moyens de financer ses déficits, arrête de rembourser ses créanciers, de servir une partie de ses retraites, de payer une partie de ses fonctionnaires. Toutes les banques lui ayant prêté et toutes les entreprises qui lui vendent des armes et autres produits de première nécessité subissent des pertes. La Grèce ne sort pas alors pour autant de la zone euro : aucun traité ne l’y contraint, ni même ne le rend possible ; de plus, nul ne peut forcer les Grecs à convertir les euros qu’ils détiennent en une drachme de moindre valeur.

2. Pour renflouer ce pays, l’Eurozone refuse alors d’utiliser les maigres ressources du Fonds de Stabilisation Européen, et de créer des eurobonds (qui n’ont de sens qu’avec une fiscalité européenne, pour les rembourser, et un contrôle européen des déficits des budgets nationaux, pour éviter d’en faire un mauvais usage).

[Pour une proposition concrète d’euro-obligations, voir ce billet de Christian Chavagneux]

3. Faute d’instruments financiers européens suffisants, les autres pays de l’Union abandonnent la Grèce à son sort.

4. Les marchés, c’est-à-dire pour l’essentiel les préteurs d’Asie et du Moyen-Orient, s’inquiètent de cet abandon et font payer de plus en plus cher leurs capitaux au Portugal, à l’Espagne, à l’Italie.

5. La crise s’étend à la France, quand on réalise que sa situation financière n’est même pas aussi bonne que celle de l’Italie (dont le budget, hors service de la dette [c’est-à-dire versement des intérêts], est en excédent, à la différence de celui de la France), et quand on mesure que ses banques et compagnies d’assurances portent une large part de la dette publique des pays périphériques et détiennent encore massivement des actifs toxiques, sans valeur aujourd’hui.

6. Pour éviter l’effondrement de ces banques, on cherche des actionnaires, privés ou publics. En vain : il faut trouver, pour les seules banques françaises, l’équivalent de 7% du PIB.

7. En panique, la Banque Centrale Européenne consent alors un financement massif à ces banques, réglant une nouvelle fois un problème de solvabilité en fournissant de la liquidité.

8. Horrifiée de ce laxisme, l’Allemagne sort alors de l’euro et crée un « euro+ », selon un plan déjà bien préparé qui, selon une banque suisse, coûte à chaque citoyen allemand entre 6 000 et 8 000 euros la 1ère année, puis 3 500 à 4 500 euros annuels.

9. L’explosion de l’Euro révèle alors aux marchés que les banques anglo-saxonnes ne vont pas mieux, parce qu’elles ne se sont pas débarrassées, elles non plus, de leurs produits toxiques et parce que la bulle immobilière n’est plus là pour faire illusion.

10. C’est alors l’effondrement du système financier occidental, une grande dépression, un chômage généralisé, et à terme, la remise en cause, même, de la démocratie.

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