On le sait, Jean Charest rêve de se donner une image de grand bâtisseur du Québec, probablement pour cacher celle moins glorieuse (pour les Québécois du moins) de fossoyeur du projet national. Mais cette image semble s’effriter rapidement, ne devenir qu’un simple phantasme.
Comme le signale Le Devoir, la consultation publique qui se tenait à Montréal au début d’octobre, clôturant les deux mois de tournée provinciale du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), a clairement montré la fragilité du semblant de consensus qui avait émergé à la suite de cette campagne de marketing du gouvernement en faveur de ce Plan Nord. Alors que le Conseil patronal de l’environnement du Québec dit craindre que le ministère mette trop l’accent à déterminer les zones écologiques sensibles pour les protéger avant d’avoir établi tout le potentiel économique qu’on pourrait y exploiter, les écologistes craignent que Québec laisse les forces économiques s’installer en priorité là où elles le veulent, les laissant dicter leurs priorités de développement, qu’il s’agisse de mines ou de forces hydrauliques notamment, pour finalement protéger ce qui restera…
Selon Nicolas Mainville, de Greenpeace, Québec procède à l’envers des véritables modèles de développement durable : ce qu’il faut, dit-il, « c’est de protéger ce qui est précieux et de développer autour ensuite ». Devant l’évolution du dossier, Greenpeace réclame donc un gel de tout projet de développement industriel dans le cadre du Plan Nord, lequel devrait « être mis au rancart jusqu’à ce qu’une stratégie de conservation soit mise en place ». Greenpeace semble maintenant convaincu que le gouvernement du Québec mène une « campagne à la sauce verte » (Greenwashing) pour vendre les ressources nordiques.
Ce qui est encore plus sérieux pour la crédibilité du Plan Nord c’est que l’organisme Initiative boréale canadienne (IBC), seul groupe écologiste siégeant à la Table des partenaires du Plan Nord, a écrit une lettre au premier ministre Jean Charest pour qu’il maintienne l’exclusion de la foresterie sur 50 % du territoire visé par le projet.
« C’est avec une certaine surprise que nous avons entendu les fonctionnaires de votre gouvernement déclarer lors des audiences publiques [...] que même sur les territoires qui seront protégés de l’activité industrielle, les activités forestières seront permises », peut-on lire dans une lettre signée par Suzann Méthot, directrice pour le Québec de l’IBC, et Matthew Jacobson, responsable au Québec de la Campagne internationale pour la conservation boréale au Pew Environment Group. «Nous estimons, poursuivent-ils, qu’une exemption générale des activités forestières serait fatale pour l’intégrité écologique du plan».
Rappelons que la zone visée par le Plan Nord se situe au nord du 49e parallèle et totalise 1,2 million de kilomètres carrés, soit plus de 70% de tout le Québec. Dans cette zone, il y a déjà 9,7% d’aires protégées. Le plan de conservation proposé par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) pour la région s’étend jusqu’en 2035. Il propose d’atteindre 12% d’aires protégées d’ici à 2015 et d’ajouter, d’ici à 2020, 5% supplémentaires mais sous une forme inédite, les « réserves de terre du capital nature », une catégorie n’est pas reconnue dans les critères internationaux d’aires protégées. Et s’il doit y avoir de la foresterie – et des mines – dans ces zones, impossible qu’elles répondent à ces critères, selon l’IBC.
Par la suite, ce fut au tour de Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, de s’offusquer de voir Jean Charest faire son démarchage européen pour le bradage des ressources du Nord du Québec. Nous le sommes nous-mêmes au Sud, on peut donc comprendre que les peuples du Nord soient scandalisés par cette duperie du premier ministre du Québec qui veut vendre des ressources alors qu’il n’a ni le mandat du peuple québécois, ni l’accord des peuples autochtones.
Enfin, le dernier clou du cercueil a été donné par l’économiste Marc-Urbain Proulx qui, dans un texte publié sur le blogue de l’Association des économistes québécois, affirme sans détour que, dans l’état actuel des choses, ce nouveau Klondike ne peut déboucher que sur une appropriation des bénéfices des ressources nordiques par d’autres (rentrées fiscales des divers niveaux de gouvernement, dividendes versées aux actionnaires des géants miniers et revenus d’un nombre limité de ménages). Étant donné le caractère cyclique de la demande mondiale et l’amélioration des moyens de transport, nous dit-il, les opérations reliées à l’exploitation des ressources naturelles s’effectuent de plus en plus sous forme de camp de travailleurs migrants. Selon lui, les 185 collectivités nordiques dont 72 % sont actuellement dévitalisées ou en dévitalisation subiront, pour la majorité, la poursuite de leur déclin. « La traditionnelle érosion bien connue de la richesse créée en périphéries s’accentue considérablement au Québec avec l’actuel Plan Nord. Si le développement du Nord s’avère désiré, une solution vigoureuse devient incontournable. »
Mais Joëlle Noreau, économiste chez Desjardins, avait démontré déjà dans une étude publiée en août dernier, que les retombées fiscales que faisait miroiter le gouvernement Charest ne seraient pas au rendez-vous. L’économiste estime que « bien qu’elles soient bienvenues, ces retombées ne changeront pas considérablement la donne du point de vue des finances publiques, du moins dans les conditions actuelles ». Même avec la bonification annoncée dans le budget 2010, qui doit faire passer les redevances sur les profits de 12 % à 16 %, c’est peu en regard de l’Australie, qui a revu récemment sa fiscalité en allant jusqu’à exiger 30 % des profits excédentaires, ou de la Norvège, un État qui s’est doté d’« un système de redevances de l’ordre de 50 % versées dans un fonds intergénérationnel dont la valeur atteignait, selon les sources, entre 400 et 500 milliards en 2010».
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