L’auteur invité est Jean Daniel, journaliste au Nouvel Observateur.
Comme la crise va jeter partout dans les rues les indignés du monde, jamais il n’a été aussi important de les aider à choisir leur cause.
Désormais, on peut compter par millions en France et dans le monde les lecteurs de l’opuscule de notre ami Stéphane Hessel intitulé (hélas) « Indignez-vous !». C’est un phénomène d’édition époustouflant et qu’il serait absurde de bouder. Mais ce succès et la chronique élogieuse de Daniel Cohn-Bendit que l’on trouvera plus loin me permettent de ne pas craindre de nuire à la diffusion de la pensée de l’auteur en faisant quelques réserves dont il vient d’ailleurs de partager lui-même l’esprit.
Essentiellement, il s’agit du titre. L’incitation à l’indignation ne peut être en elle-même un cri d’alarme politique et la pratique de l’indignation sans objectif défini ne saurait constituer un comportement responsable. L’indignation, c’est la révolte première mais aussi primitive : selon l’éminent biologiste Henri Atlan, c’est le degré zéro de la pensée. Stéphane Hessel a été le premier à déclarer que ce titre ne venait pas de lui, qu’il lui paraissait impropre et qu’il ne traduisait en rien le message de son cri. Son petit livre se veut en effet un rappel de l’esprit de la Résistance et du programme du Conseil national de la Résistance. Il s’agissait alors non seulement de libérer la France mais aussi de créer la Ve République.
L’objectif n’est donc pas aujourd’hui de « s’indigner » mais de résister pour transformer .C’est cette forme de combat que les peuples du « Printemps arabe » tentent, dans les plus grandes difficultés, de livrer. Maintenant que les dictateurs sont mis hors d’état de nuire, les réalités s’imposent, les difficultés commencent, et c’est tout l’idéal qui est en jeu. J’écris dans un moment où les Libyens traversent une dangereuse crise de divisions intestines, et où les « indignés » militent pour des causes différentes. Mais en un moment aussi où, de l’autre côté de la frontière, il est vital pour la future démocratie tunisienne qu’un élan civique mobilise les citoyens pour qu’ils se rendent dans les bureaux de vote afin de s’opposer à tous les ennemis de la démocratie.
Sans doute, pour contribuer à rendre l’islam compatible avec la démocratie aux yeux des musulmans qui veulent séparer la foi et le pouvoir, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s’est-il rendu en Egypte et en Tunisie. Avec un art consommé de la dialectique et brandissant l’exemple de sa puissante nation, il a défendu auprès des uns et des autres un nouveau choix pour l’islam et même pour l’islamisme : ou bien on cherche l’idéal du coté d’Istanbul et de Jakarta, ou bien on se fourvoie avec les Talibans et Oussama Ben Laden. Il apporte ainsi une aide précieuse et peut-être réformatrice aux Frères musulmans d’Egypte et aux islamistes qui affichent en Tunisie une modération encore indécise. En tout cas, c’est dans ce contexte que s’exerce désormais le combat de la démocratie.
Revenons à Stéphane Hessel, qui entend opportunément mettre son immense notoriété au service d’une résistance constructive. Le monde a changé. On a beau se divertir à faire parfois « l’éloge des frontières », pour l’essentiel elles n’existent plus. Le mélange des langues, l’interpénétration des cultures, les menaces écologiques ssqui pèsent sur la planète entière, la montée des pays émergents, les crises financières et l’essoufflement de l’Europe, tout me conduisait à trouver trop souvent appauvrissantes, réductrices et sans avenir les joutes et les polémiques qui ne concernaient que la conquête du pouvoir. Mais le basculement historique vers la gauche de la majorité du Sénat et la décomposition écrasante du pouvoir de Nicolas Sarkozy ouvrent la voie à des possibilités jusque là imprévues d’action et d’espérance.
Je sors alors du pessimisme lorsque l’on invite les « indignés » à repenser la façon de réformer sinon de transformer notre pays en même temps que celui de nos voisins et tous les autres dans notre mouvance. Il y a par exemple, en ce moment, un débat sur le capitalisme que je ne trouve ni anachronique ni régressif, sauf quand les réformes proposées consistent à ressusciter des appellations – le terme communiste par exemple – ou des solutions encore trop associées à la barbarie qu’elles ont enfantée. A la condition aussi que l’on se garde d’oublier que les personnes et les mouvements qui ont défendu des principes comme ceux de l’Europe, de la social-démocratie et de l’Etat providence ont été des pionniers. Ils ne sont dépassés que par des conceptions issues des combats qu’ils avaient eux-mêmes menés. C’est le sort de tous les grands créateurs, et je fais là une citation du mathématicien Henri Poincaré (1854-1912).
L’idée maîtresse selon laquelle le capitalisme, même baptisé avec prudence « économie de marché », contient en lui-même toutes ses dérives, et en particulier son risque de financiarisation, est une idée forte. On ne sait pas assez que Pierre Mendès France, qui n’était pas précisément un révolutionnaire, était tout de même pour la nationalisation des banques. La seconde idée forte est exprimée par la volonté de proposer une série de réformes qui visent en gros à remplacer la civilisation du quantitatif par celle du qualitatif. De là tous les vœux des écologistes et de tous les groupes d’économistes qui désirent en finir, beaucoup mieux qu’en mai 68, avec la société de consommation, de compétition, et d’humiliation.
C’est dans cette mesure que je m’intéresse à nos débats de politique intérieure et j’espère que mes amis, fidèles à notre « réformisme radical », rejoindront tous les groupes de réflexion auxquels font appel, dans un manifeste commun, Stéphane Hessel et Edgar Morin
Pour lire le texte au complet, on va sur le blogue de l’auteur
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