L’auteure invitée est Hélène Simard, directrice générale du CQCM. L’entrevue est réalisée par Nicolas Falcimaigne, du journal Ensemble.
Entourée de Felice Scalvini, vice-président de l’Alliance coopérative internationale, et de Denis Richard, président du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, Mme Simard a lancé l’an dernier, lors de la Conférence internationale de Lévis, la démarche vers l’Année internationale des coopératives.
À l’issue de la Semaine de la coopération et de la mutualité et du Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS), Hélène Simard, présidente-directrice générale du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) a confié au journal Ensemble son bilan et les projets à venir dans le cadre de l’Année des coopératives.
Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : Mme Simard, quel bilan dressez-vous de la Semaine de la coopération 2011, au niveau des activités qui se sont déroulées au Québec ?
Hélène Simard, CQCM : Cette année, notre cible principale, c’est de rejoindre les élus et le grand public. Pas seulement les convaincus, pas seulement nos réseaux habituels. Pour rejoindre le grand public, on a lancé un grand concours : Ma coop de rêve.com. Et là on s’est aperçu qu’il y a plein de gens qui sont allés, impliqués dans des coop au départ. Mais avec les nouveaux médias sociaux, ils sont en lien avec d’autres réseaux, et ça fait parler des gens qui sont dans une coop, ça les fait en parler aux autres. Parce qu’il y a quand même un beau voyage à gagner, on commence à voir dans les commentaires des gens qu’on commence à rayonner un peu plus large : « Moi, je vais passer à ma coop », « Je vais m’impliquer », « Mon frère est dans sa coop, je vais m’impliquer plus ». Je pense que d’ici à la fin du concours dans quelques jours, on fera un bilan plus précis, mais c’est une expérimentation qu’on fait et c’est intéressant.
Deuxième élément : les élus. Depuis quelques années, durant la Semaine de la coopération, on va rencontrer les élus à l’Assemblée nationale, avec les présidents de tous les grands réseaux coop au Québec. On était donc tous présents à l’Assemblée nationale pour cette rencontre. C’était parrainé cette année par M. Bachand, ministre des Finances, et il y avait le président de l’Assemblée nationale, des députés, des ministres.
On veut développer un contact réel, humain entre les élus et les coopérateurs et leur faire redécouvrir les coop sur leur territoire. Parce que tous ces députés, tous ces gens-là qui font la législation au Québec, on veut qu’ils développent le réflexe de se dire : « Ah, tel projet, tel chose, ça peut aider ou ça peut nuire aux coops ? », qu’ils aient le réflexe d’aller vérifier et de considérer que ce réseau d’entreprises fait partie de solutions et fait partie d’un tissu économique solide au Québec.
D’ailleurs, M. Bachand a souligné dans son allocution le fait que, pour un ministre des Finances, c’est très rassurant d’avoir une économie coopérative parce que ça stabilise, ça n’est pas soumis à la tyrannie du trimestre, ça peut penser à long terme. Les règles de gouvernance sont enchâssées dans la loi coopérative, donc on n’a pas d’inquiétude sur la gouvernance. C’était intéressant d’entendre le ministre des Finances le répéter devant les autres élus de l’Assemblée nationale.
N.F. : Quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées à la législation qui encadre l’économie du Québec pour les coopératives ?
H.S. : Le principal problème sur lequel on travaille actuellement, c’est qu’il y a énormément de programmes, de projets de loi que ne spécifient pas ce qui arrive au niveau des coop. On classe le monde entre un monde à but lucratif et un monde à but non lucratif. Les coopératives ne sont ni dans l’un ni dans l’autre. C’est une économie où, quand il y a des excédents, ils sont répartis dans l’entreprise pour assurer sa pérennité, puis auprès des personnes qui en ont fait usage. En réalité c’est une économie de juste prix, c’est une économie basée sur les services qu’on va utiliser à la fin. S’il y a un excèdent, l’entreprise reconnait qu’elle nous a trop demandé et elle le retourne à l’usager.
Donc, cette classification ne convient pas, mais on la retrouve dans tous les programmes et les lois. On a commencé, avec le ministère de la Culture notamment, à réviser les programmes pour spécifier les caractéristiques au niveau des coopératives quand les coopératives sont érigées. On l’a fait avec le Conseil du Trésor, pour les nouvelles politiques d’appels d’offres publics. On autorisait le gré à gré pour les OBNL et l’appel d’offres des entreprises privées sans spécifier. Maintenant, les coopératives pourront choisir leur statut, mais si elles choisissent le statut d’aller dans le gré à gré comme les OBNL, elles seront soumises à un test du ministère du Revenu, à l’obligation de ne pas ristourner et de ne pas payer d’intérêt sur leurs parts. Les autres coop, qui veulent ristourner, qui sont plutôt dans l’économie de marché, elles vont continuer aller dans les appels d’offres publics.
Ce sont quelques exemples, et on a un comité de vigilance au Conseil avec un fast-track avec le gouvernement pour quand il arrive des cas où le modèle coopératif est désavantagé. On va être proactifs maintenant, pour éviter des situations qu’on a trop vu malheureusement ces dernières années. Des gens qui se font dire « ne fais pas une coop, c’est plus facile de faire un OBNL, vous allez avoir droit à telle subvention ». Ou même quelqu’un dans les médias qui nous disait au GESQ : « faites un Inc. et vous allez avoir droit à telle subvention ». Il faut sortir de ce paradigme, il faut faire comprendre aux gens que le paradigme coopératif est un paradigme économique crédible et qu’ils doivent le supporter et ne pas nous obliger à choisir un terme ou l’autre.
N.F. : Quel est votre coup de cœur parmi les initiatives internationales qui ont été présentées pendant le Forum international de l’économie sociale et solidaire (FIESS) et qui pourraient inspirer le Québec ?
H.S. : Les coups de cœur, souvent, sont les contacts plus personnels. J’ai assisté à un atelier sur les mutuelles de sécurité et de santé en Amérique latine et j’ai pu échanger après avec le groupe Odema, qui regroupe à travers l’Amérique latine et centrale des mutuelles de sécurité sociale et de santé. Ce qui m’a frappé, c’est que, sur le terrain, les gens essaient de répondre aux besoins et de sécuriser les familles, d’organiser la mutualité de façon à ce que les gens aient accès aux services, ceux qui n’y ont habituellement pas accès.
Souvent les États sont moins interventionnistes, offrent moins de mesures sociales, alors les mutuelles apportent vraiment une sécurité de base aux familles. En plus, elles ne travaillent pas seules, elles sont regroupées au niveau national, au niveau de 18 États et l’organisation qu’elles ont créée et qui les regroupe est reconnue par l’OMS. Elles ont, par leur approche mutualiste et par le réseau qu’elles se sont donné, une influence sur les grandes politiques de la santé et de prévention, par exemple, et elles viennent influencer leurs États de cette façon. Parfois, pour construire des politiques, l’approche à privilégier n’est pas nécessairement de regarder notre propre univers. C’est peut-être se mettre avec d’autres de notre famille et aller influencer l’univers qui détermine les conditions dans lesquelles vont vivre ces entreprises-là.
Entre autres, elles vivent un phénomène qu’on a vécu au Québec. En se développant, interpellent l’État pour qu’il améliore ses services aux personnes. Plus l’État les améliore, plus la mutuelle perd ce marché, mais elle doit se réorienter et, grâce à cette réflexion qu’ils font ensemble plutôt que d’être sur la défensive et de vouloir protéger uniquement leur créneau, ils encouragent les États à développer des services pour la toute population et font comme les mutuelles au Québec : développer des services complémentaires. Ils aimeraient bien d’ailleurs qu’on devienne membre d’Odema. On leur donnera l’occasion de rencontrer des fédérations de coopératives en santé et services aux familles.
Il y avait tellement de choses très diversifiées, alors c’est un coup de cœur bien sélectif. Ce n’est pas le coup de cœur du mouvement, c’est le contact entre des personnes qui m’ont semblées dédiées, allumées et avec beaucoup de vision.
N.F. : On a dit à la blague : « c’est tellement dense, la semaine de la coopération, qu’on devrait en avoir plusieurs pendant l’année ! » C’est un peu ce qui va se passer avec l’Année des coopératives : on va avoir une année complète. Qu’est-ce que vous avez en vue pour 2012 comme activités, comme mobilisation ?
H.S. : Le 31 octobre, c’est le lancement international au siège social des Nations unies à New York. J’y serai, ainsi que d’autres représentants du Québec. Mme Monique Leroux y sera, il y aura Mme Bardswick de Cooperators, il y aura une délégation du Canada. Les États qui ont signé la déclaration en faveur de l’Année internationale et le mouvement coopératif de ces pays-là, un peu partout dans le monde, vont être présents pour cette journée de réflexion vraiment à un niveau supra.
Il y aura, tout de suite après, un congrès de l’Alliance coopérative internationale où on finira de mettre la table sur les programmes qui sont transnationaux. Au Québec, on a travaillé pendant 18 mois sur un plan d’action, qui a fait l’objet d’une campagne de financement auprès de nos membres, qui nous a même permis de supporter le programme canadien-francophone pour aider les francophones hors Québec, qui eux aussi auront une programmation pour 2012.
Il va aussi y avoir des activités dans les régions et dans les secteurs, qui vont être autopropulsées comme dans tout le mouvement coop en général, mais au niveau national on mise beaucoup sur le lancement à l’Assemblée nationale au début de l’année. On veut interpeler les associations et les grandes organisations socio-économiques du Québec pour qu’elles signent une déclaration en faveur de la coopération. Alors c’est en cheminement et on veut que les élus fassent la même chose, que l’ensemble de l’organisation sociale se prononce clairement en faveur des coopératives et de la place qu’elles ont dans l’économie du Québec, mais aussi comme potentiel futur dans le développement des ressources, dans le développement des services.
Ensuite, les deux associations canadiennes, qui travaillent ensemble à se rapprocher, vont tenir leur congrès à Montréal en juin. Donc le Québec sera l’hôte, on veut en faire un moment fort de l’année.
Et il y a le sommet international au mois d’octobre. Tout au long de l’année, il y a une montée qui va se faire avec des forums dans toutes les régions, où on va réfléchir en suivi de la Conférence internationale de l’an passé, sur les différents défis de la société, les enjeux et de voir comment le mouvement coop peut faire partie des solutions. On a demandé dans chaque région aux Coopératives de développement régional d’animer ces forums dans le sens de dire : « venez réfléchir à ces questions-là, mais invitez aussi les autres secteurs de la société a réfléchir avec vous. » Ça commence en Abitibi-Témiscamingue au début de novembre, ensuite au Saguenay, et pendant toute l’année on va faire le tour de toutes les régions au Québec et on fait un grand forum à la veille du Sommet international pour dire, nous les québécois, quelle est notre contribution au développement par la formule coopérative.
Pour lire le texte, on va sur le site du journal Ensemble
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