Recension de Christian Chavagneux, journaliste à Alternatives Economiques.
Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est qu’il va vous falloir attendre jusqu’au 20 octobre pour pouvoir acheter ce livre. La bonne, c’est que votre patience sera récompensée par l’ouvrage d’économie le plus profond et le plus passionnant écrit depuis longtemps.
Il est difficile de rendre justice au travail de réflexion qu’il contient en peu d’espace. Car son objectif – et il est atteint – n’est pas mince : proposer une nouvelle façon de penser l’économie de marché.
Aussi l’auteur revient-il à une question fondamentale : comment expliquer que des millions de producteurs et de consommateurs séparés arrivent à se coordonner pour faire fonctionner des économies de marché ? Jusqu’ici, la pensée économique y a répondu en attribuant une valeur à chaque objet marchand, rendant ainsi les échanges possibles. Ce qui ne fait que déplacer la question : qu’est-ce qui détermine alors la valeur des choses ?
Valeur
André Orléan démontre qu’aussi bien Karl Marx et les auteurs classiques que Léon Walras et toute la théorie néoclassique considèrent que la valeur est une qualité que les objets marchands possèdent en propre : la quantité de travail socialement nécessaire à leur production pour les premiers, l’utilité pour les seconds. Les biens ayant une valeur objective mesurable, s’échangent alors contre les autres biens et les rapports des acteurs économiques entre eux n’ont aucune influence sur l’échange, pas plus que la monnaie.
Deux énormes erreurs selon André Orléan, qui développe sa critique de Marx et, surtout, de l’approche économique dominante. Il montre que sa validité est restreinte à l’acceptation d’hypothèses extrêmement fortes : jamais les désirs ne s’écartent de l’utilité des objets, tout le monde connaît la qualité des biens échangés (George Akerlof et Joseph Stiglitz remettront en cause cette idée avec leurs analyses des asymétries d’information), le futur est toujours objectivement probabilisable, et ainsi de suite…
Désir
André Orléan propose une autre approche qui pose, après René Girard, que les individus ne savent pas ce qu’ils désirent et que, pour déterminer ce qui mérite d’être acquis, ils regardent ce qu’achètent les autres, avant de suivre par désir mimétique. Ils vont alors décider d’obtenir les objets de prestige qui leur permettront de se différencier socialement. Et le premier d’entre eux est la monnaie, car sa liquidité, sa capacité à être acceptée par les autres comme pouvoir d’achat, est première. Ainsi, « la fascination pour l’argent est au fondement de toutes les économies marchandes. Elle en est l’énergie primordiale. »
Orléan propose alors une refonte complète de la théorie économique où les économies marchandes sont coordonnées par la monnaie et non par les prix, où les relations entre participants aux marchés jouent un rôle essentiel, et où la puissance collective de la société guide les désirs des individus qui ne sont plus libres, etc.
La sociologie, la psychologie ou l’analyse des relations de pouvoir sont alors essentielles à la compréhension des économies de marché. André Orléan ne s’y trompe pas, niant toute singularité à l’approche économique pour promouvoir une approche unidisciplinaire du monde. C’est puissant et fascinant. Le premier livre majeur de l’après-crise.
L’empire de la valeur. Refonder l’économie, par André Orléan
Le Seuil, 2011, 347 p., 21 euros.
Demain, la vidéo de la semaine portera sur une conférence d’André Orléan, lors de l’événement organisé par les « économistes atterrés ».
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