L’auteur invité est Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l’UQAM et membre de la Société royale du Canada.
La droite s’inquiète surtout de la création de la richesse. Elle affirme que la croissance économique du Québec est médiocre et que son niveau de vie retarde de plus en plus sur celui des autres nations. Pourtant, le bilan des 20 dernières années fourni par Statistique Canada et l’OCDE démontre le contraire. De 1989 à 2010, le niveau de vie a progressé de 78 % dans les régions pétrolières (Norvège, Alberta, Terre-Neuve et Saskatchewan), de 33 % au Québec, de 32 % aux États-Unis et dans les 20 pays les plus riches de l’OCDE, de 29 % dans les pays du G7, de 23 % en Colombie-Britannique et de 17 % en Ontario. Notre performance a été aussi bonne que celle des États-Unis et des pays les plus riches de l’OCDE, et meilleure que celle des pays du G7 et des provinces canadiennes qui ne flottent pas sur une mer d’huile.
Entendons-nous: la croissance économique du Québec n’a rien d’époustouflant. Mais ce n’est pas vrai que notre niveau de vie recule systématiquement par rapport à celui des autres. En niveau absolu, nous avons aujourd’hui pratiquement rejoint l’Ontario et la Colombie-Britannique. Sur le plan international, nous nous classons au 14e rang parmi les 20 pays les plus riches de l’OCDE: moins riches que l’Australie, les États-Unis, les Pays-Bas et la Suède, aussi riches que l’Allemagne et la Belgique, et plus riches que l’Angleterre, la France, l’Italie et le Japon.
Reconnaissons que, si notre croissance économique a été plutôt bonne depuis 15 ans, c’est en partie parce que le nombre de Québécoises au travail a augmenté d’un incroyable 33 %. Mais ce grand bond en avant de l’activité des femmes ne peut arriver qu’une fois et, malgré tous les efforts pour promouvoir l’activité, le vieillissement de la population va bientôt freiner la croissance de l’emploi. Notre progrès économique va désormais reposer beaucoup plus sur des augmentations de la valeur produite par chaque personne employée — la fameuse productivité — que sur celles du nombre de personnes au travail. Le problème, c’est que nos gains de productivité ont été minables depuis 30 ans: 0,8 % par année. Si nous voulons gruger l’écart de 20 % qui nous sépare encore de la productivité américaine, il est impératif de faire beaucoup mieux. Heureusement, la droite reconnaît cette nécessité.
La gauche, elle, s’inquiète surtout de la répartition de la richesse. Elle répète à tout venant qu’au Québec les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent. Pourtant, cette perception est fausse. De 1976 à 2009, ajusté pour tenir compte de la taille des ménages, le revenu réel après impôts et transferts des 20 % les plus pauvres des Québécois et celui des 20 % les plus riches ont augmenté tous les deux de 28 %, soit exactement dans la même proportion. En 2009 comme en 1976, nos plus riches ont disposé de 4,7 fois plus de revenus que nos plus pauvres. Pendant ce temps, aux États-Unis, l’inégalité du revenu a explosé. Le revenu des plus riches y est maintenant 10,4 fois plus élevé que celui des plus pauvres. Nos riches sont riches, mais pas scandaleusement comme aux États-Unis.
La pauvreté a par ailleurs connu une baisse généralisée au Québec depuis 30 ans. C’est particulièrement vrai des familles monoparentales. De 1996 à 2009, le pourcentage de ces familles qui sont pauvres (revenu inférieur à la moitié de la médiane) est passé de 32 % à 19 %. Le pouvoir d’achat réel des familles monoparentales a bondi de 63 %. Il est maintenant 20 % plus élevé qu’en Ontario. Ce succès spectaculaire est en bonne partie attribuable à l’efficacité redoutable de la politique familiale du Québec: assurance médicaments, congés parentaux, garderies pas chères, prime au travail, équité salariale, soutien aux enfants et salaire minimum établi à 45 % du salaire moyen.
Bien que les inégalités n’aient pas augmenté et que la pauvreté ait diminué au Québec, la gauche ne cesse de clamer le contraire. Ce discours doit changer. La pauvreté est loin d’avoir été éliminée au Québec. Il y a encore 750 000 pauvres, et c’est 750 000 de trop. Mais à force d’entendre répéter que les choses vont de mal en pis — ce qui est faux —, nos concitoyens vont en conclure que nos programmes sociaux sont inefficaces et seront tentés de retirer leur appui. C’est en démontrant, au contraire, que la politique sociale, ça marche, qu’on va les convaincre de continuer à investir pour éliminer la pauvreté qui reste.
Moins d’autodénigrement systématique et plus de rigueur dans la lecture des faits nous redonneraient ce dont nous avons aujourd’hui tellement besoin: la confiance ferme dans notre capacité de relever avec succès le double défi de la création de richesse et de la justice sociale.
Pour lire le texte original, on va sur le site du Devoir
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