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Le samedi 23 avril 2022

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Corruption : Charest, le retour à l’ancien régime ?

Jean Charest aimerait bien pouvoir laisser de lui l’image de grand pionnier du développement du Québec. N’a-t-il pas, à plusieurs reprises, comparé son Plan Nord au développement de la Baie-James de Robert Bourassa. Mais ce qui devrait subsister de sa mémoire sera plutôt l’image de la collusion et la corruption. Ce n’est pas à Bourassa mais à Duplessis qu’il sera comparé.

Récemment, dans le cadre d’une recherche sur un autre sujet, j’ai dû lire quelques discours sur le budget des dernières années du régime duplessiste et des premières années de la Révolution tranquille [En passant, il est intéressant de noter que tous les discours sur le budget depuis 1870 ont été numérisés et sont disponibles sur le site du ministère des Finances]. C’est en lisant les discours de Jean Lesage – qui combinait les postes de premier ministre et de ministre des Finances… – que je suis tombé sur des passages particulièrement intéressant. Dans son premier discours sur le budget, après la victoire du PLQ en 1961, Jean Lesage rappelle que le ministère de la Voirie – le ministère des Transports de l’époque – était un lieu de corruption incroyable.

« L’expérience de 1960, à la Voirie comme dans les autres ministères, a prouvé [que le gouvernement] pouvait de cette façon épargner des sommes considérables. Comme je l’ai déjà dit, un montant de $968,075. a été économisé en 1960 par le ministère de la Voirie à la suite de demandes de soumissions publiques, soit 26% des prix en vigueur avant le 5 juillet 1960. […] De 1945 à 1959, le Gouvernement a dépensé $682 000 000. pour la construction et l’amélioration des routes et au cours de ces quinze années tous les contrats furent adjugés sans demande de soumissions. Avec demandes de soumissions, il aurait pu épargner $175 000 000. et exécuter avec ce montant des travaux partout dans la Province, particulièrement dans les régions où les besoins se faisaient le plus sentir. »

Sous le régime duplessiste, la construction des routes et des ponts étaient non seulement l’instrument par excellence du patronage et de malversation du vote démocratique, elle était aussi un lieu de collusion, de corruption et de financement de la caisse occulte de l’Union nationale. Au ministère de la Voirie, la collusion et la corruption étaient érigées en système de gouvernement. Jean Lesage évalue le coût de cette corruption à 26% des dépenses publiques en voirie.

Après une année complète passée à mettre en place une fonction publique moderne, on précise, dans une annexe au discours sur le budget de 1962-1963, les coûts de cette corruption de la façon suivante : « Il convient, en passant, de signaler qu’à cause de la pratique qu’a adoptée le gouvernement de la Province d’exiger des soumissions publiques dans tous les domaines où ce système peut s’appliquer, l’administration provinciale a, cette année encore, réalisé d’importantes économies. Au ministère de la voirie, on a pu, par exemple, constater, dans le cas du réseau routier ordinaire, que les contrats accordés entre avril 1961 et mars 1962 représentaient des déboursés de 26.8% inférieurs aux devis estimatifs préparés par le ministère. Dans le cas de la route transcanadienne, la différence est de 22.7%. »

On précise, dans cette même annexe : « Une pénurie de techniciens au ministère de la voirie pour la formation d’un service spécialement préposé à la préparation des divers projets d’aménagement de cette route et l’organisation complète d’un service pour les demandes de soumissions publiques, qui n’existait pas au ministère, ont retardé le début des travaux qui n’ont pu être entrepris qu’au milieu de l’été. » Autrement dit, l’efficacité de la planification et de la mise en œuvre du réseau d’infrastructure routière reposait sur la création d’une fonction publique professionnelle qui pouvait préparer les soumissions publiques sans risques de conflits d’intérêt. Les temps ont bien changé ! En privatisant à outrance les divers services de la fonction publique, le gouvernement de Jean Charest a consciemment ouvert la porte à un retour à l’ère de la collusion et de la corruption érigées en système. Et les caciques du PLQ ont tôt fait d’y voir la possibilité de financement.

Jean Charest voudrait laisser l’image d’un pionnier du développement du Québec ? Il est plutôt celui par qui on voit se restaurer l’ancien régime. Son obsession du retour à l’équilibre budgétaire, peut en importe les coûts pour le modèle québécois, nous renvoie aussi à la pensée de l’ancien régime. Laissons, encore une fois, la parole à Jean Lesage : « Si, sous l’ancien régime, le gouvernement avait pleinement accompli sa tâche au lieu de rechercher l’objectif trop souvent illusoire qu’est la disparition de la dette publique, nous n’aurions pas aujourd’hui à fournir en quelques années un effort aussi intense de rénovation. En réalité, on n’avait pas alors réussi à comprendre que l’emprunt public est, pour tout état moderne, un mode normal et accepté de financement. Ce qui est encore plus grave dans notre situation, c’est qu’en s’abstenant d’emprunter à cause de conceptions administratives timorées, l’ancien gouvernement a laissé le champ libre à des intérêts privés, canadiens ou étrangers, et au gouvernement fédéral, de telle sorte qu’on est venu chercher nos épargnes disponibles pour s’en servir à des fins qui souvent ne nous profitaient pas. »

Je vais conclure ce billet par des extraits de l’article de Michel David, paru dans Le Devoir du 17 septembre dernier (article réservé aux abonnés du Devoir) : « Il est impossible pour M. Charest d’accepter les conclusions du rapport Duchesneau sans renier la vision de l’État qu’il défend depuis 1998, quand il se présentait comme un disciple de Mike Harris. En réalité, c’est le coût de huit ans de réingénierie que mesure le rapport. […] Après les élections de 2003, M. Charest a vite compris que, au plan du marketing, l’expression «réingénierie» n’était pas très porteuse, mais il n’en a pas moins persisté à céder au secteur privé des fonctions traditionnellement dévolues à l’État. La cure d’amaigrissement avait commencé sous Lucien Bouchard, mais la sacralisation du secteur privé, symbolisée par le partenariat public-privé (PPP), est le fait des libéraux. Il était toujours possible de présenter les cris d’alarme des syndicats — et des médias — comme la manifestation d’un corporatisme égoïste et rétrograde. Cette fois-ci, c’est un groupe d’enquêteurs dûment mandaté par le gouvernement qui décrit l’incurie d’un ministère totalement incapable de prévenir les abus des entreprises de construction et des firmes de génie-conseil parce qu’il n’a plus la compétence requise. En raison des sommes colossales investies dans les infrastructures routières, les révélations du rapport Duchesneau sont plus spectaculaires, mais le vérificateur général avait fait le même constat dans le domaine de l’informatique. On frémit maintenant à l’idée de la magouille à laquelle le Plan Nord pourrait donner lieu. »

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