L’auteur invité est Éric Desrosiers, journaliste économique au Devoir.
Le député de Mercier dénonce la proximité du négociateur québécois avec la multinationale française Veolia Environnement
Le représentant du Québec aux négociations de libre-échange canado-européennes, Pierre Marc Johnson, s’insurge contre le fait qu’on remette son intégrité en question en raison de ses liens avec un institut sur les enjeux environnementaux financé par la multinationale française Veolia Environnement.
« C’est une absurdité. C’est une totale absurdité, s’est exclamé hier, manifestement irrité, l’ancien premier ministre du Québec en entretien téléphonique au Devoir depuis l’Europe. C’est jouer facilement avec l’intégrité des gens, que de faire cela. Je n’accepte pas cela, surtout venant d’un député. Il arrive, de temps en temps, que les gens oublient de réfléchir avant d’ouvrir la bouche, mais d’un député, on s’attend à mieux que cela. »
Le député en question est celui de la circonscription de Mercier, Amir Khadir. Le mois dernier, il déclarait que Pierre Marc Johnson était membre du conseil d’administration et président d’un comité stratégique de Veolia Environnement, une multinationale française spécialisée dans la gestion de services publics, comme l’eau, l’énergie, les déchets et le transport de voyageurs, des domaines touchés par les négociations de libre-échange en cours entre le Canada et l’Union européenne. Citant la page personnelle de Pierre Marc Johnson dans le site Internet de la firme d’avocats pour laquelle il travaille (Heenan Blaikie), le porte-parole de Québec solidaire disait encore, lundi, sur les ondes de la radio de Radio-Canada, que le négociateur du Québec se trouvait « en parfait conflit d’intérêts » dans ces négociations puisqu’il était aussi « dirigeant d’une entreprise dans le domaine de l’eau »; qui plus est, une entreprise placée plus d’une fois sur la sellette pour des pratiques douteuses.
L’accusation s’est répandue comme une traînée de poudre depuis un mois dans les rangs syndicaux et altermondialistes québécois. Pas moyen d’y aborder la question des négociations canado-européennes sans qu’on y fasse mention.
« De dire que je suis un haut dirigeant de la compagnie Veolia relève de la plus pure des fantaisies », se défend le principal intéressé. En fait, comme sa page personnelle sur Internet le précise bien, Pierre Marc Johnson siège au conseil d’administration et préside le comité de prospective non pas de la compagnie, mais d’un institut sur les enjeux environnementaux financé à 100 % par les filiales de Veolia Environnement.
Fondé en 2001, l’Institut Veolia Environnement finance de la recherche, publie des études, donne une vitrine aux ONG et organise des conférences internationales, apprend-on dans son rapport annuel disponible sur Internet. Son travail vise notamment à explorer les liens entre l’environnement et différentes dimensions, telles que le développement économique, la santé, la croissance urbaine, et la pauvreté.
Formé de « sept personnalités reconnues », son comité de prospective est chargé de définir ses grandes orientations et d’assurer sa crédibilité scientifique. Outre Pierre Marc Johnson, qui a publié plusieurs ouvrages sur le droit environnemental, on y retrouve notamment le président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Rajendra Pachauri, le Prix Nobel d’économie Amartya Sen, le président de l’Institut de médecine des États-Unis, Harvey Fineberg, l’ancien directeur de l’Institut Pasteur, Philippe Kourilsky, l’ancienne représentante africaine au conseil d’administration de la Banque mondiale, Mamphela Ramphele, ainsi que l’historienne Hélène Ahrweiler.
« C’est un institut on ne peut plus crédible », affirme Pierre Marc Johnson. Organisme à but non lucratif, il bénéficie d’un financement à long terme pour assurer son indépendance et n’a pas de lien direct avec la compagnie Veolia, dit-il. « Un peu comme la Fondation Ford et le fabricant d’autos Ford aux États-Unis. » Ses projets se font souvent en partenariat avec d’autres organisations, comme le Smitsonian et l’Union internationale pour la conservation de la nature.
« Tout cela est des contributions à la réflexion assez remarquables, conclut-il. Maintenant, s’il y a des gens qui sont en guerre contre Veolia, l’entreprise, c’est leur droit, mais ça n’a rien à voir avec ce qui se fait à l’Institut. »
L’avocat assure n’avoir aucun autre contact professionnel, d’aucune nature, avec la multinationale. Il précise toutefois qu’au moins deux des 560 avocats de sa firme s’occupent de relations de travail pour des filiales de Veolia.
Présomption de culpabilité
Amir Khadir admet aujourd’hui qu’il a lu un peu trop vite la page personnelle de Pierre Marc Johnson sur Internet. Cela ne remet toutefois pas en cause sa conviction que quelque chose de louche se cache là-dessous.
« D’accord, il n’est pas au conseil d’administration de l’entreprise Veolia, mais il n’en reste pas moins que, j’imagine, l’Institut Veolia n’a pas été créé pour venir en aide à la veuve et l’orphelin », a-t-il déclaré en entretien téléphonique au Devoir hier. « Au vu des pratiques entrepreneuriales de ces grandes entreprises transnationales depuis au moins 30 ans, on a de bonnes raisons de croire que ces gens-là ne font pas cela de façon désintéressée. »
« Ce n’est pas à moi de faire la preuve d’un conflit d’intérêts, poursuit-il à propos de Pierre Marc Johnson. Le fardeau de la preuve est sur lui, en apparence, dès le départ. Il fait partie de quelque chose qui est financé par Veolia et il est en train de négocier quelque chose qui va peut-être avoir des implications sur des contrats publics sur lesquels Veolia soumissionne. [...] Si M. Johnson avait un peu de sens de l’éthique de la chose publique, il se retirerait lui-même ou s’emploierait à nous faire publiquement la démonstration qu’il a pris toutes les précautions nécessaires pour ne pas être en conflit d’intérêts. »
Blessant et populiste
« Tout cela démontre la faiblesse de l’argumentaire. L’incapacité d’avoir une approche analytique solide, réplique Pierre Marc Johnson. Je comprends parfaitement qu’il y a des gens qui peuvent s’opposer à la mondialisation et à ses effets. [...] Mais ce n’est pas en faisant des attaques ad hominem qu’on règle ces débats-là. Je trouve cela facile. Je trouve cela assez blessant, parce que cela met en cause mon intégrité. Mais les populistes font cela. »
Les deux hommes devraient se retrouver jeudi prochain [8 décembre], à Québec, lors de la comparution de Pierre Marc Johnson devant une commission parlementaire très courue où il fera le point sur l’avancement des négociations canado-européennes.
Pour lire le texte original, on va sur le site du quotidien Le Devoir.
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