Les auteurs invités sont Robert Laplante, Gilles L. Bourque, Mathieu St-Onge et Frédéric Hanin, chercheurs associés à l’IRÉC.
Seulement 1 170 000 québécois possèdent un régime enregistré d’épargne-retraite et à peine 26% de la population active contribue systématiquement à un REER.
Le Québec a besoin d’un régime dont l’objectif serait de protéger la sécurité financière des futurs retraités, non d’apporter de nouveaux fonds à l’industrie financière
Au moment où s’intensifie le débat public suite à la proposition du gouvernement fédéral et du projet québécois de RVER, il importe de se donner une vue d’ensemble des enjeux que soulève une question aussi importante pour l’architecture de nos mesures de protection sociale. L’IRÉC y a consacré une bonne demi-douzaine d’études au cours des derniers mois. Nous trouvons important de faire le point sur les constats qui se dégagent de ces travaux.
L’évolution du système québécois de retraite
En 2005, environ 1,5 millions de travailleuses et de travailleurs québécois cotisaient à un régime complémentaire de retraite (sous juridiction fédérale ou provinciale). De ce nombre, 762 461 salariés participaient à des régimes de retraite du secteur public alors que 715 611 salariés participaient à des régimes de retraite du secteur privé. Cela représente 40 % des travailleurs québécois.
Il faut ajouter que seulement 1 170 000 québécois possèdent un régime enregistré d’épargne-retraite et qu’à peine 26 % de la population active contribue systématiquement à un REER. Cette situation est plus déplorable encore si on l’analyse du point de vue du rendement de l’épargne. Les rendements obtenus dans les REER, les FERR, les CRI et les FRV pour la période de 1999 à 2005 sont légèrement inférieurs à l’inflation (2%), ce qui n’est guère encourageant pour l’épargne de long terme. Pour leur part, les rendements des caisses de retraite s’élèvent à 6 %, soit trois fois plus ! Cette meilleure performance découle du fait que les caisses de retraite ont davantage de moyens pour faire de bons choix de placement que la grande majorité des individus.
Dans les secteurs de l’économie privée, la qualité de la protection offerte par les régimes complémentaires a subi des transformations considérables, qui affectent directement le niveau de vie de plusieurs retraités et futurs retraités. Parmi ces transformations, le remplacement graduel des régimes complémentaires dits «à prestations déterminées» (RPD) au profit des régimes complémentaires dits «à cotisations déterminées» (RCD), est sans doute celle qui aura le plus grand impact sur la condition socio-économique des retraités.
Dans les RCD, la rente est variable car elle est calculée au moment du départ à la retraite et dépend entièrement du rendement des placements financiers à cette période. Les RCD n’offrent donc aucune «garantie» de sécurité de revenu à la retraite pour les salariés. Par opposition aux RPD, les RCD ne contraignent pas l’employeur à s’engager à payer une rente prédéterminée. Dans un RPD, la rente s’apparente à une forme de salaire différé puisqu’elle est calculée et fixée habituellement en fonction des années de services et de la rémunération salariale de l’employé. Le revenu de retraite est prévisible et le futur retraité connaît à l’avance, le niveau de revenu de retraite sur lequel il pourra compter.
Les RCD renversent complètement cette logique: ils cessent d’être un instrument de protection sociale pour n’être plus qu’un véhicule d’épargne soumis aux aléas du marché. Les RCD libèrent les employeurs de la responsabilité du financement des prestations de retraite, laissant porter aux seuls travailleurs et travailleuses le risque associé au rendement de leur épargne-retraite. Les RCD sont donc à l’image des marchés financiers c’est-à-dire qu’ils sont plutôt instables et imprévisibles, deux caractéristiques qui se marient mal avec la notion de sécurité financière.
Les effets de la crise financière sur le système de retraite
D’un système de pension qui sert à verser une rente de retraite à partir de transferts intergénérationnels, les régimes ont progressivement évolué vers un système d’épargne-retraite (collective et individuelle) visant à accumuler des fonds à partir de placements dans des véhicules financiers. Les gestionnaires des régimes complémentaires de retraite, et en particulier dans les RCD, ont fini par spéculer sur une chose aussi primordiale que la sécurité financière des futurs retraités. C’est cette fragilité structurelle des RCD face aux risques financiers qui nous conduit à penser que ce genre de régime de retraite ne représente pas une alternative viable sur le long terme pour pallier au déclin des RPD.
Dans cette logique, les objectifs de rendement priment sur ceux de la redistribution. C’est ce qu’on appelle la «financiarisation» du système de revenu de retraite. Cette financiarisation dénature la mission du système de retraite au Québec et au Canada, qui a été conçu pour améliorer la sécurité économique de l’ensemble de la population en prenant appui sur la solidarité entre travailleurs actifs et retraités.
On peut aujourd’hui faire le constat d’un double mouvement : d’une part, la multiplication des RCD a contribué à alimenter le processus de financiarisation de l’économie, et d’autre part, ce sont maintenant les effets négatifs de cette financiarisation qui contribuent à fragiliser davantage les régimes à prestations déterminées. Cette dynamique a fait émerger un système de retraite de plus en plus inégalitaire. Elle dresse d’abord l’inégalité entre les prestataires d’un régime par rapport à l’autre, ceux du RCD étant davantage soumis au risque; et ensuite elle creuse un écart entre les retraités d’aujourd’hui et les travailleurs actifs appelés à la retraite éventuelle dans des conditions plus instables, érodant la solidarité et la justice intergénérationnelles
La proposition du gouvernement fédéral, reprise telle quelle par le projet de régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) du gouvernement du Québec, va accroître ces distorsions. En favorisant la mise sur pied de régimes à cotisations déterminées qui ne garantissent pas de rente, cette proposition vient rompre le principe de mutualisation du risque entre les diverses cohortes de travailleurs. En outre, elle déresponsabilise les employeurs, qui ne sont même pas obligés d’y cotiser eux-mêmes. Chaque salarié qui accepterait d’y participer posséderait un compte individuel administré par une institution financière privée et choisirait ses options de placement. Pour ces raisons, cette proposition est vraiment la pire des solutions.
Par contre, l’idée d’élargir le nouveau régime aux travailleurs autonomes nous apparaît un choix incontournable. De même pour la transférabilité des régimes, qui serait mieux adaptée à la réalité de nombreux salariés qui changent souvent d’employeurs. Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il est maintenant temps de procéder à une réforme en profondeur, qui va au-delà des propositions qui nous sont présentées.
Une nécessaire réforme en profondeur
Nous pensons que l’amélioration et la solidification du système québécois de revenu de retraite, et plus particulièrement de la composante privée des régimes complémentaires de retraite, doit nécessairement passer par une réforme du versant public du système. Les régimes d’épargne facultatifs et individuels tels que les REER n’ont pas fait la preuve de leur efficacité pour financer la retraite de la population. Ce type de régime accroît les inégalités de revenus à la retraite en favorisant les ménages qui gagnent un revenu supérieur à 80 000 dollars, il coûte très cher aux gouvernements en crédits d’impôt pour les sommes effectivement accumulées et il n’offre que peu de sécurité pour les revenus à la retraite. Pour ces raisons, il faudrait amoindrir leur poids dans le système de retraite – baisse significative du maximum déductible – au profit des régimes publics.
Afin de sécuriser davantage les revenus de retraite, nous appuyons les propositions récentes de plusieurs mouvements sociaux et en particulier celle qui réclame que les composantes publiques visent un seuil de remplacement d’au moins 50%. La bonification des régimes publics pourrait être financée par une augmentation du plafond des gains admissibles donnant droit à une pension, augmentation qui aurait un effet redistributif intergénérationnel, ainsi que par un transfert partiel des cotisations aux régimes privés vers les régimes publics. Ce transfert vers les régimes publics ouvrirait la porte à plusieurs innovations dans le champ des régimes privés de retraite. Nous pensons également que ce mouvement devrait être accompagné d’une réforme de la législation sur les régimes complémentaires afin de favoriser le développement de nouveaux types de régimes. Les régimes à financement salarial ainsi que les régimes de retraite sectoriels pourraient constituer des alternatives intéressantes. Sur le plan de la protection sociale, ces types de régimes sont plus efficaces que les RCD. L’amélioration du versant public permettrait de mieux équilibrer la répartition du risque entre employeurs et employés dans les régimes privés.
Enfin, le gouvernement du Québec doit rapidement redonner à toutes les parties concernées, et en premier lieu aux contributeurs, une voix plus importante dans la gestion de leurs actifs collectifs pour la retraite. Il est maintenant temps d’imposer aux gestionnaires des fonds publics et aux fiduciaires des caisses de retraite une triple reddition de compte, donnant ainsi aux travailleurs, aux prestataires et au public en général une idée beaucoup plus claire de la façon dont les gestionnaires prennent en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, en plus des facteurs plus strictement financiers, dans la gestion de leurs actifs de retraite. C’est une condition essentielle à la participation de toutes les parties prenantes aux choix de gestion.
Pour lire le texte original, on va sur le site du journal Le Soleil
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