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Le samedi 23 avril 2022

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Que peut-on comprendre de la crise de l’euro ?

Les auteurs invités sont des journalistes ou des économistes collaborateurs à Alternatives Economiques.

Devant l’extrême complexité du problème, et des solutions possibles, de la dette souveraine européenne, voici quelques courts textes produits par les collaborateurs d’Alternatives Economiques qui permettent de se donner une perspective différente que celle de la pensée économique dominante relayée par nos médias.

Bref rappel sur la Grèce

Extraits d’un texte d’Arnaud Parienty. Peuplés de nains politiques, les marchés financiers ont paniqué lorsque le premier ministre grec a annoncé la tenue d’un référendum sur le plan de sauvetage européen (le dernier en date, troisième de l’année, qui est celui de la dernière chance… jusqu’au prochain). C’est normal : paniquer est dans leur nature et c’est d’ailleurs une des raisons de réduire le pouvoir de ces marchés. D’autres ont choisi de se réjouir d’un appel au peuple qui pourrait enfin permettre de dire NON aux élites européennes, aux gouvernants, aux financiers, aux marchés, à la mondialisation, à l’austérité, à la dette illégitime (rayez les termes inutiles s’il y en a). […]

Le problème grec vient de la Grèce

La crise mondiale est née, en 2008, de l’éclatement d’une bulle immobilière et financière. Le problème est parti des Etats-Unis et s’est répandu comme une traînée de poudre dans le monde entier. C’est ce qui explique la fragilité de certaines banques et la montée de l’endettement public. Mais les établissements bancaires grecs ont été peu touchés par la crise des subprime, les exportations grecques n’ont pas été foudroyées par l’effondrement de la demande mondiale. Alors, pourquoi les déséquilibres grecs sont-ils devenus insoutenables ?

Bénéficiant d’un malentendu (que la signature grecque valait signature européenne) et de l’exubérance financière, la Grèce a pu pendant des années foncer vers l’abîme sans aucun mécanisme de rappel. Puis, en 2008-2009, du fait de la crise, elle n’a plus trouvé de prêteur et tout s’est effondré. Malgré les lacunes bien connues des statistiques européennes en général et grecques en particulier, quelques données approximatives permettent d’y voir plus clair.

Entre 2000 et 2009, le revenu brut par habitant a augmenté en Grèce de 32%, alors qu’il n’augmentait que de 11% en France, de 16% en Allemagne, 2% en Italie et 10% au Portugal. Tous ces pays partageant la même monnaie, cette hausse du revenu n’est soutenable que si l’efficacité du travail augmente plus vite en Grèce que dans les autres pays, justifiant que la rémunération du travail y progresse plus vite. Ce n’est pas ce qui s’est produit. La productivité d’une heure de travail a augmenté un peu plus vite en Grèce (26% sur dix ans, contre 20% en France, 16% en Allemagne et au Portugal et 3% en Italie), ce qui est très insuffisant pour justifier la hausse des revenus.

La hausse excessive des revenus n’a été possible qu’au prix de déséquilibres sans cesse accrus. Comme les revenus augmentent plus vite que la productivité, les prix augmentent : de 37% en dix ans, contre 18% en Allemagne, 20% en France, 26% en Italie et 29% au Portugal. Du fait de ces prix en hausse, la compétitivité grecque sombre et les déficits extérieurs s’enchaînent : compris entre 1% et 3% du PIB dans les années 1990, ils varient entre 5% et 15% du PIB dans les années 2000 (14,4% en 2007, avant le déclenchement de la crise mondiale). Un tel déséquilibre n’est supportable que si les sorties d’argent liées au déficit courant sont compensées par des entrées de capitaux. Pendant un temps, celles-ci se produisent effectivement, venant financer… le déficit budgétaire, qui est une cause essentielle de la hausse excessive des revenus. Pendant les dix ans qui précèdent la crise, le déficit public varie en effet entre 3,1% du PIB et 7,4% du PIB.

L’économie grecque connaît donc, pendant une dizaine d’années, une croissance totalement artificielle et insoutenable à terme.

Et maintenant ?

[…] L’austérité prolongée qui s’annonce ne serait acceptée par la population que si elle s’accompagnait d’un énorme effort de redistribution. Une période de crise nationale dramatique est généralement le meilleur moment pour obtenir ce genre d’effort. Souvenons-nous, par exemple, qu’il a fallu rien moins que la Première guerre mondiale pour que la bourgeoisie française, dominant le Sénat, consente à la création d’un impôt sur le revenu progressif. Et la Sécurité sociale aurait-elle vu le jour sans la Seconde guerre mondiale et le programme du CNR ?

L’austérité serait également adoucie par une aide européenne massive, qui serait elle aussi plus facilement acceptée par les contribuables européens si les catégories favorisées en Grèce consentaient des efforts réels et visibles.

Il faut donc à la fois répondre à l’urgence financière et réformer la société, à commencer par la fiscalité et le rapport à l’Etat. Vaste programme. Actuellement, le gouvernement grec n’a pas le soutien politique qui serait nécessaire pour mener une telle politique. Peut-être n’en a-t-il pas non plus l’ambition. Car accepter le diktat brutal de l’Europe sans expliquer comment l’austérité sera répartie entre les uns et les autres ne peut que mener au chaos social. Et les mesures prises jusqu’ici par le gouvernement ont beaucoup porté sur les plus fragiles (même si les inégalités ont baissé en Grèce depuis 2008). […]

La Grèce doit-elle quitter l’euro?

Extraits d’un texte de Sandra Moatti. Et si la Grèce quittait l’euro ? Jusqu’à présent, cette idée séduisait surtout, en Grèce, ceux que les exigences de Bruxelles exaspèrent et, en Europe du Nord, ceux qui ne veulent pas payer pour Athènes. Désormais, cette issue est également recommandée par des économistes aussi éminents que l’Américain Nouriel Roubini ou l’Allemand Hans-Werner Sinn. Selon eux, la Grèce doit quitter l’euro, car son problème n’est pas seulement un problème d’endettement excessif, mais aussi un problème de compétitivité insuffisante. Or, la restructuration de la dette grecque – jugée désormais incontournable – résoudra le premier problème, mais pas le second. Sans une dévaluation franche et massive de sa monnaie, la Grèce devrait faire baisser les prix et les salaires d’environ 30 % pour rétablir sa compétitivité. Un processus long, politiquement conflictuel (tous les prix et les revenus ne baissent pas au même rythme) et économiquement suicidaire pour un pays criblé de dettes.

Convaincant vu de loin, le scénario d’une sortie de l’euro devient cependant de plus en plus noir à mesure qu’on le considère en détail. Primo, il fait l’impasse sur les détails pratiques de l’opération. Changer de monnaie ne se fait pas du jour au lendemain : il faut d’abord le décider – et, dans une démocratie, c’est au Parlement de se prononcer sur une telle question -, puis le mettre en place. Il ne suffit pas pour cela de faire une loi pour convertir tous les contrats dans une nouvelle monnaie. Il faut aussi imprimer des billets, frapper des pièces et surtout reprogrammer les caisses des magasins, les guichets automatiques, les ordinateurs…

Autant dire que d’ici à ce que la nouvelle drachme voie le jour, tous les déposants un tant soit peu avertis auront le temps d’imaginer ce qui les attend : la conversion de leur pécule en une monnaie vouée à s’effondrer. Ils se précipiteront alors pour vider leur compte en banque et sortir leur argent du pays. Un phénomène qui a déjà d’ailleurs commencé… mais qui prendrait là une tout autre ampleur. D’autant qu’on n’imagine pas la Banque centrale européenne (BCE) continuer à soutenir les banques d’un pays qui s’apprête à quitter le navire. Bref :  » le système bancaire grec serait détruit avant même que la Grèce quitte la zone euro « , conclut l’économiste Willem Buiter.

Qu’adviendrait-il alors des dettes de la Grèce ? Les contrats régis par la loi grecque seraient relibellés en  » nouvelle drachme « , mais les autres resteraient en euros. Les nombreux agents endettés à l’international seraient étranglés par des dettes devenues de ce fait encore plus exorbitantes, notamment les banques, s’il en reste encore debout à ce stade. […]

Pour les autres membres de la zone euro, la sortie de la Grèce déclencherait sans doute des effets de contagion massifs. D’abord, des pertes liées au défaut de l’Etat et des banques grecques, mais aussi vraisemblablement de nombreuses entreprises privées endettées en euros. Surtout, un tabou serait brisé : si cela peut arriver à la Grèce, cela peut arriver à d’autres… Une pensée qui pourrait inciter les détenteurs de comptes bancaires au Portugal, en Irlande, mais aussi en Espagne ou en Italie à retirer leurs billes de ces pays s’ils anticipent un risque, même mineur, de les voir sortir de l’euro à leur tour. Ce qui ferait fondre la valeur de leurs dépôts comme neige au soleil…

Conclusion : la Grèce sortie de la zone euro, ses maux risqueraient de se transférer rapidement à d’autres Etats membres. Et si on généralisait la cure par amputation des membres  » malades « , cela reviendrait à un démantèlement de la zone euro. Le coût économique en serait incalculable et les conséquences politiques potentiellement considérables. Sur fond de dislocation du marché intérieur et de défauts tous azimuts, on voit mal comment le projet européen pourrait y survivre.

C’est bien parce que la solution de la sortie de la zone euro serait catastrophique que sa probabilité est faible. Mais elle n’est pas nulle. Un pays ne peut certes pas être expulsé de la monnaie unique, mais il peut être poussé à en sortir. Si la troïka (*), lassée de voir la Grèce manquer à ses engagements, décidait de couper ses financements et, surtout, si la BCE cessait de fournir de la liquidité aux banques grecques, alors Athènes n’aurait plus d’autre choix que d’abandonner l’euro. Le cas de figure n’est pas prévu par les traités. Cela signifie qu’aucune règle ne l’encadre : difficile donc de croire, comme Nouriel Roubini, à la possibilité d’un  » divorce à l’amiable  » qui minimiserait les dégâts.

Crise de l’euro : Yanis Varoufakis a trouvé l’astuce qui change tout

Extraits d’un texte de Gilles Raveaud. Il faut le rappeler : la crise de l’euro a une – et une seule – cause directe, l’interdiction faite à la BCE, depuis le sinistre traité de Maastricht, d’acheter la dette des Etats européens. Cette interdiction, à ma connaissance, n’a pas d’équivalent dans le monde.

Sans cette interdiction, nous ne vivrions certes pas au Paradis, mais les problèmes seraient nettement moins grands.

[Le 8 novembre], le sommet de la zone euro a décidé de recourir au FESF, c’est-à-dire de garantir des dettes publiques sur… d’autres dettes publiques, c’est-à-dire sur rien. (Texte officiel ici ; voir le commentaire de Christian Chavagneux).

Plutôt que de recourir à cette solution baroque, il suffirait de demander, poliment, à la BCE d’acheter les dettes des Etats. Mais il y a un léger problème : les traités européens l’interdisent. Et les dirigeants actuels ne veulent pas de cette solution. On ne va quand même pas changer les traités pour éviter la catastrophe en cours ! Catastrophe il doit y avoir, catastrophe il y aura, mais, sur le champ de ruines dirigé par les partis d’extrême droite, les traités demeureront, purs, saufs.

Sauf… si on trouve une astuce. Et c’est ce qu’ont fait Yanis Varoufakis, professeur à l’université d’Athènes, et Stuart Holland, ancien membre du parlement du Royaume-Uni.

Leur idée : demander à la BCE n’ont pas d’acheter, mais de gérer la dette des pays de la zone euro, à hauteur de 60% de leur PIB. Cette dette, devenue européenne, serait gérée collectivement.

De plus, la Banque Européenne d’Investissement serait responsable de la mise en place d’un « New Deal » européen, en utilisant à la fois ses propres obligations, comme elle fait depuis qu’elle existe, et les euro-obligations nouvellement créées.

Des idées simples et géniales, qui nous permettraient de respirer un peu. On lira cette “modeste proposition” sur le site du génial institut Veblen.

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