L’auteur invité est Louis-Gilles Francoeur, journaliste au Devoir. Ce texte est paru avant la décision du gouvernement Harper de se retirer du protocole de Kyoto. Cet article a été écrit avant l’annonce du gouvernement Harper de se retirer de Kyoto.
Le non-respect du protocole de Kyoto risque de coûter cher aux contribuables
La dette climatique du Canada, qui va rater royalement ses engagements en vertu du protocole de Kyoto, pourrait atteindre entre 14 et 19 milliards de dollars, ce qui pourrait constituer une raison pour le gouvernement Harper de tenter de mettre derrière lui ce traité ratifié formellement et exécutoire en droit international.
L’empressement du Canada à mettre fin à ses engagements légaux envers le traité, ce qui pourrait se faire au cours des prochaines semaines, le libérerait certes de l’obligation de s’engager dans une deuxième phase de réductions de gaz à effet de serre (GES). Mais beaucoup de choses pourraient arriver si, conformément aux règles du protocole, un ou des pays portaient plainte contre le Canada pour défaut d’appliquer les exigences de la première phase de ce traité contraignant.
C’est auprès de la «Compliance Branch» du traité qu’un ou des pays signataires de Kyoto pourraient demander d’appliquer les pénalités prévues à la réglementation quand il deviendra évident que le Canada n’a pas respecté ses engagements.
Il s’est fait servir jusqu’ici divers avis de non-conformité pour n’avoir pas, notamment, mis en place un registre d’émissions dans lequel les entreprises canadiennes pourraient faire reconnaître leurs efforts de réductions. Mais comme cette exigence présuppose un plafonnement des émissions nationales, une réglementation pour définir les émissions et les crédits, ce que le gouvernement s’est refusé de faire jusqu’ici après s’y être engagé, le Canada n’a pas pu mettre en place un registre officiel.
Mais c’est ce qu’on appelle la «dette climatique» qui pourrait faire mal aux finances fédérales et qui pourrait réserver des surprises aux contribuables, car jusqu’ici, la comptabilité nationale n’en fait pas état. Du côté du Vérificateur général, on s’en lave les mains en disant qu’il appartient au Canada «de décider s’il doit comptabiliser un passif pour ne pas avoir respecté les obligations du protocole», indiquait au Devoir la porte-parole du Vérificateur, Céline Bissonnette. Des pays comme la Nouvelle-Zélande inscrivent cette dette au passif du pays puisqu’il s’agit d’un contrat exécutoire avec la communauté internationale.
Une dette croissante
Le Canada s’est engagé par loi à ramener ses émissions à 6 % sous le niveau de 1990 pour l’ensemble des cinq années couvertes par le protocole, soit entre 2008 et 2012.
Il a le choix, en vertu du traité, d’atteindre ses objectifs en réduisant ses émissions ou en achetant des crédits auprès de pays ou d’entreprises qui ont dépassé leurs exigences légales, ou du Mécanisme de développement propre de l’ONU, qui certifie les réductions à moindre coût réalisées dans des pays en développement.
Le protocole limite donc le niveau des émissions canadiennes de 2008 à 2012 à une moyenne annuelle de 554,6 millions de tonnes (Mt), soit un total en cinq ans de 2773 Mt. Or le Canada a rejeté en 2008 non pas 554,6 Mt, mais 732 Mt, et 690 Mt en 2009 durant la crise économique. Le Devoir a voulu faire une projection prudente des émissions canadiennes d’ici 2012 en postulant que le pays maintiendrait un niveau d’émissions comparables à celui de l’année de récession 2009.
Il dépasserait ainsi de 719 Mt la cible de Kyoto en cinq ans, soit l’équivalent d’une année d’émissions en trop! Comme rien ne laisse présager une baisse radicale de ses émissions, techniquement le Canada devrait acheter des crédits pour couvrir son excédent d’émissions avant le 31 décembre 2012.
S’il achetait son surplus prévisible maintenant sur le marché européen, alors que le prix de la tonne de carbone est à son plus bas depuis deux ans en raison de la situation économique, stagnante, il devrait débourser 7,9 milliards. S’il devait plutôt acheter à la fin de 2012, alors que plusieurs pays se précipiteront pour acheter ce qui manque à leur bilan, le prix de la tonne pourrait atteindre, voire dépasser les 20 $ la tonne, soit le prix des deux dernières années. Le dépassement de nos objectifs nationaux commanderait alors des déboursés de 14,4 milliards.
De plus, si le Canada n’a pas atteint son objectif quinquennal de réductions avant le 31 décembre 2012, il sera alors frappé d’une amende qui majorera de 30 % les émissions qu’il devra effacer par des achats de crédits. À 11 $ la tonne, il devrait débourser dans ce scénario 10,3 milliards et à 20 $ la tonne, pas moins de 18,7 milliards.
Certes, convient Steven Guilbeault du groupe Équiterre, il n’y a pas de police internationale qui viendra saisir cet argent si le Canada n’atteint pas ses objectifs par des réductions ou des achats de crédits. Mais, ajoute-t-il, en plus d’être perçu comme un joueur peu crédible dans le dossier du climat, le Canada ajouterait à sa réputation déjà ternie, celle du mauvais payeur qui n’honore ni ses dettes ni le droit international. Quel autre traité sera alors menacé par une pareille désinvolture, s’interroge l’écologiste?
Même si le protocole de Kyoto répugne au gouvernement Harper, il en respecte néanmoins certaines règles, comme celle de l’article 27 qui prévoit un avis d’un an pour s’en désengager. On peut se demander alors en vertu de quoi il pourrait se dispenser de respecter les autres clauses relatives à l’atteinte des objectifs.
Il pourrait l’être, explique l’écologiste qui a suivi l’évolution du protocole depuis sa signature en 1997 à Kyoto, si un ou des pays portaient plainte contre lui. Et, ajoute Steven Guilbeault, «nous nous activons ici à Durban à trouver un ou des pays qui seraient prêts à le faire».
Et le Québec
Le Québec est dans une situation différente. Et ambiguë.
L’Assemblée nationale a entériné l’atteinte des objectifs de Kyoto et Québec a adopté un plan de réduction 2006-2012 qui prévoit l’atteinte «des objectifs de Kyoto d’ici la fin de 2012», comme le répétait il y a quelques jours le premier ministre Jean Charest.
Mais Québec joue sur les mots.
«D’ici 2012» peut signifier d’atteindre l’objectif de -6 % des émissions uniquement durant l’année 2012, ce qui n’est pas atteindre les objectifs quinquennaux du protocole, dont Québec se vante pourtant. Au sens du protocole, atteindre les objectifs «d’ici 2012», signifie atteindre avant la fin de 2012 une réduction moyenne de -6 % des émissions à compter de 2008 au moyen de réductions ou au moyen d’achats de crédits.
Une modélisation similaire à celle réalisée pour les émissions fédérales sur la période 2008-2010 nous indique que si on applique les règles du protocole, le Québec ne se retrouverait pas à -6 % sous la barre de 1990, mais à -3,5 %.
En somme, à moins d’acheter sur le marché quelque 11 Mt de crédits, pour une valeur allant de 121 à 220 millions, le Québec n’atteindra pas les objectifs de Kyoto d’ici la fin de 2012. Il demeurera cependant le gouvernement territorial qui aura atteint en Amérique du Nord les résultats les plus proches du protocole, mais ne pourra prétendre avoir réalisé les objectifs du traité.
Invité à dire si le gouvernement prévoit acheter ce qui pourrait manquer à l’atteinte des objectifs du protocole, la porte-parole du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Hélène Simard, a précisé dans un courriel tout en langage sibyllin: «Avec les mesures mises en place dans le cadre du Plan d’action 2006-2012 sur les changements climatiques, le Ministère est confiant d’atteindre la cible 2012 indiquée dans son Plan d’action, soit une réduction des émissions de GES de 6 % sous le niveau de 1990 et, ainsi, de contribuer à l’atteinte des objectifs de Kyoto. Déjà, depuis 2003, les émissions du Québec ont diminué de 8,7 %. L’achat de crédits compensatoires est une question hypothétique qui sera évaluée en regard des résultats atteints en 2012.»
Pour lire le texte original, on va sur le site du quotidien Le Devoir
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