Un billet de l’économiste Gilles Raveaud, paru sur son blogue d’Alternatives Economiques, Au bonheur des catastrophes, nous amène à réfléchir sur les impacts des catastrophes, climatiques ou autres. Dans son billet, Raveaud donne d’abord à l’économiste français du XIXe siècle, Frédéric Bastiat, partisan du laissez-faire, qui affirmait que les retombées économiques découlant d’un désastre ne sont pas bonnes pour l’emploi. Prenant comme exemple un méfait quelconque – un gamin qui casse la vitre d’un voisin –, il montre que la dépense supplémentaire entraînée pour la réparation de la vitre implique nécessairement une coupure de dépense non prévue dans un autre poste budgétaire de la personne touchée par ce méfait. D’où un impact nul, selon Bastiat.
Puis il donne la parole à l’économiste Paul Krugman, qui répond que le raisonnement de Bastiat n’est correct qu’en situation de plein-emploi. Dans un monde où le chômage est tellement élevé en Europe et aux États-Unis que même une productivité accrue serait néfaste car elle détruirait des emplois, les lois ordinaires sont inversées. Pour Krugman, le principal problème de la conjoncture économique que nous vivons depuis 2008 est que les entreprises ne dépensent pas assez. Je le mentionnais dans un billet récemment, une trop grande part des profits est sorti du circuit économique par des rachats d’actions. Donc, nous dit Krugman, tout ce qui force les entreprises à investir est bénéfique, y compris ce qui pourrait nous apparaître, à première vue, négatif. Krugman est pour cette raison très critique face aux récents reculs de Barack Obama en matière environnementale ou sur les réglementations plus strictes, parce que ce sont ces politiques publiques, qui ne coûtent rien à l’État, mais qui obligent les entreprises à remplacer leurs anciens équipements et, par le fait même, à créer des emplois.
« Aujourd’hui, conclut Gilles Raveaud, à cause du chômage, casser un carreau peut être productif ! » Justement, ne faudrait-il pas, nous-mêmes, « casser des carreaux » ? Je précise, pour ne pas qu’on interprète ce texte comme un appel à la violence : ne faudrait-il pas procéder nous-mêmes à des « catastrophes contrôlées » pour éviter les impacts incontrôlables de la catastrophe annoncée des changements climatiques ? Détruire pour reconstruire ? Oui, si c’est pour non seulement produire de la nouvelle activité économique, mais pour, simultanément, réaliser un nouveau saut de productivité de l’économie, c’est-à-dire le passage d’une productivité qui ne tient compte que des facteurs économiques à une productivité renouvelée, qui tiendrait compte des facteurs sociaux et environnementaux. Il faut justement penser la reconversion écologique de l’économie de cette façon : dans l’optique du renouvellement même de la notion de productivité globale des facteurs, en lui intégrant les facteurs socio-écologiques, pour repenser les fondements mêmes de la pensée et de la vie économique actuelle.
Cette « destruction créatrice » était en quelque sorte le fil conducteur de la série de six billets que j’ai écrit ce printemps sur le thème « Il faut faire la guerre aux changements climatiques ». Les « Trente Glorieuses » qui ont suivi la seconde guerre mondiale ont été une période exceptionnelle de développement en bonne partie parce qu’y furent liés des dynamiques de reconstruction et de transformation en profondeur des pratiques et des rapports sociaux. Les coûts ont été énormes. Mais les gains de productivité ont été tels que les rentabilités économiques et sociales ont largement excédées les coûts. Les coûts de la reconversion écologique vont être encore plus importants. Mais les rentabilités économiques, sociales et environnementales vont bien au-delà des coûts associés au scénario du laisser-faire.
Ce qui nous manque c’est la volonté. Contrairement à l’époque de la deuxième guerre, nous ne faisons pas face à une folie destructrice circonscrite aux forces de l’axe (Allemagne-Italie-Japon) de la fin des années 1930. La folie destructrice est aujourd’hui menée par une infime minorité, secondée par les puissants lobbys de la finance et des énergies fossiles, mais elle domine les consciences et la majorité des gouvernements en place…
Bonne année 2012…
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