La Chine est maintenant la deuxième économie mondiale et le plus grand pollueur de la planète, en termes d’émissions de CO2 à tout le moins. Elle est la nouvelle étoile montante, celle qui devrait remplacer, d’ici 2020, l’économie étatsunienne comme plus grande puissance mondiale. À quoi ressemblera cette superpuissance ? Je désire, dans cette courte série de billets, dessiner la Chine du 21e siècle sur la base de ses tendances actuelles. Commençons par la Chine sociale.
La Chine sociale
C’est le pays le plus peuplé au monde avec ses 1,3 milliards d’habitants, mais elle sera bientôt dépassée par l’Inde. Refermée pendant très longtemps sur elle-même, la Chine est maintenant devenue l’atelier du monde. Grâce à une combinaison unique d’interventionnisme (capitalisme d’Etat) et de libéralisation (libéralisme économique le plus sauvage), elle a sorti des centaines de millions de ses habitants de la pauvreté mais au prix d’inégalités croissantes. Ce décollage de l’économie chinoise n’a pas eu que des effets positifs sur le plan social.
Malgré la croissance ininterrompue des vingt dernières années, les salaires ont peu bougé chez les ouvriers ruraux (appelés aussi migrants). D’où la multiplication de conflits du travail. L’ère des ouvriers chinois obéissants et mal payés toucherait à sa fin. Une étude réalisée dans le Sud de la Chine – particulièrement la province du Guangdong – montre une combativité nouvelle. Le mouvement serait tellement fort que plusieurs observateurs parlaient pendant un moment de la possibilité d’une grève générale en Chine du Sud. Trente ans après le décollage industriel de la Chine, ils en sont maintenant à la deuxième génération d’ouvriers d’origine rurale. Cette deuxième génération a l’expérience de la première génération, mais elle n’a connu que la croissance. Pourtant, alors que la majorité des urbains possèdent leur logement, les ouvriers ruraux se rendent compte qu’ils n’y arriveront pas parce que les prix du logement se sont envolés, comme les coûts de la nourriture (l’inflation nationale s’élève à 5,5%).
En raison d’un système de domiciliation hérité du régime maoïste qui attache les droits des individus à leur lieu d’enregistrement, les travailleurs ruraux ont longtemps constitué une réserve de main-d’œuvre flexible et bon marché. Aujourd’hui, leurs actions collectives sont plus organisées. Dans le cas cité dans ce billet, les ouvriers des ateliers d’assemblage réussissent, au moyen d’affiches murales et de messages SMS, à mobiliser et paralyser la production. Ils élisent trente représentants, dont quatre responsables chargés de négocier avec la direction le niveau des salaires, leur échelonnement, l’ancienneté, les bonus, la couverture sociale. Même la presse locale s’est montrée solidaire aux ouvriers. Leur mouvement a fait tâche d’huile dans la région et autour.
Mais depuis peu, la Grande Récession est venue donner un premier coup d’arrêt à la croissance, qu’on pensait illimitée, des exportations. La crise entraîne une chute spectaculaire des commandes dans les usines chinoises travaillant pour l’exportation. Ce qui provoque une recrudescence des grèves dans la vaste zone franche située près de Hong Kong, victime du ralentissement économique. La manifestation la plus importante a eu lieu à Dongguan, important centre industriel du sud de la Chine : 7 000 employés de l’usine de chaussures Yucheng Footwear Factory, un sous-traitant de Nike et d’Adidas, sont descendus dans la rue pour protester contre l’annonce de licenciements, une baisse de leurs salaires, ainsi que la suppression des heures supplémentaires, laissant aux employés un maigre salaire de base. Mais c’est le licenciement de 18 de leurs cadres, interprété par les ouvriers comme le signe d’une délocalisation, qui a été le déclencheur de la grève. L’un des cadres licenciés a déclaré au China Business News que son départ faisait partie d’un projet de déménagement de la production dans la province de Jiangxi afin de réduire les coûts qui sont maintenant trop élevés dans le vaste pôle manufacturier de Dongguan.
La colère des ruraux est aussi exacerbée par le libéralisme débridé et la corruption qui prévaut maintenant en Chine. Les habitants du Guangdong ont protesté tout l’automne passé contre les exactions de fonctionnaires corrompus. Ces manifestations réprimées avec violence se sont soldées par l’arrestation des organisateurs. Mais à Wukan cela a pris un tour inattendu suite à la mort en détention d’un manifestant. Après dix jours de siège et de révolte, les villageois de Wukan sont parvenus à un accord avec les autorités. Un compromis après l’une des révoltes paysannes les plus spectaculaires que la Chine ait connues récemment. A l’origine de la protestation, la colère contre l’expropriation des terres. Les gouvernements locaux manquent de ressources, ils doivent donc tirer l’essentiel de leurs revenus de la vente de terrains à des promoteurs immobiliers : ceux-ci obtiennent à bas prix l’emplacement de futures usines ou complexes hôteliers, le gouvernement local renfloue son budget et certains fonctionnaires amassent des pots de vin au passage.
La nouvelle classe urbaine chinoise (la classe moyenne en formation), favorisé par le pouvoir, prospère et plus soucieuse de son environnement et de la santé de ses enfants, montre aussi sa force : un vaste mouvement de protestation dans la ville modèle de Dalian a obtenu du gouvernement la promesse de la fermeture d’une usine chimique trop près du centre urbain. Suite à un appel à manifester diffusé la veille sur les réseaux sociaux, plus de 12 000 personnes se sont retrouvées devant le siège du gouvernement pour réclamer la fermeture de ce complexe chimique. Les autorités n’ont pas mis longtemps pour réagir et à s’engager à fermer l’usine sur le champ, et à la relocaliser dès que possible.
Face à ces mouvements sociaux, le gouvernement central a réagi. Il a, récemment, développé la législation du travail (égalité de traitement entre travailleurs urbains et migrants concernant l’accès à l’emploi et au logement, la rémunération, la protection sociale, etc). Mais la réalité semble rester très en deçà des déclarations officielles.
Pour conclure cette première partie, je vous laisse sur un extrait d’un billet tiré du site de Metis, cité précédemment : « L’idée qui prédomine est qu’il s’agit désormais de changer de modèle de développement économique en le fondant non plus sur les exportations mais sur l’accroissement de la demande intérieure, ce qui suppose non seulement de développer la protection sociale mais aussi de rééquilibrer les rapports de force entre travail, capital et autorités locales, notamment en mettant en place des « innovations institutionnelles » permettant une meilleure application du droit du travail. Le modèle de ‘l’usine du monde’ est de plus en plus dénoncé, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parti, parce qu’il entretient les inégalités entre villes et campagnes et au sein des villes, alimente l’instabilité sociale et dessert l’image du Parti sur les scènes nationale et internationale. Ce sont ces arguments qui ont été une nouvelle fois développés lors du Forum national sur les relations du travail en mai 2010 à Hangzhou, qui s’est conclu sur une demande de généralisation du ‘travail décent’ ».
Dans la prochaine partie, la Chine économique.
[...] avons vu dans la première partie de cette série un aperçu des mouvements sociaux actuels de la Chine. Ces mouvements sont embryonnaires, mais ils [...]