Nous avons vu dans la première partie de cette série un aperçu des mouvements sociaux actuels de la Chine. Ces mouvements sont embryonnaires, mais ils sont néanmoins en train de construire les bases pour un changement social important. Et ce changement sera d’autant plus profond que la Chine économique bouleverse tout ce qui existait jusqu’à maintenant.
La Chine économique
La Chine est le pays le plus peuplé du monde, avec ses 1,3 milliard d’habitants. L’élite économique occidentale salive devant ce vaste marché de consommateurs. Pourtant, même si elle a depuis une vingtaine d’années épousé les règles microéconomiques de la mondialisation et du capitalisme le plus dérégulé, la Chine qui émerge est loin de se réduire à un marché. D’un point de vue macro, la Chine se donne les moyens pour devenir la nouvelle superpuissance économique du 21e siècle. Elle s’est déjà hissée au deuxième rang des économies mondiales et elle a développé des entreprises (publiques et privées) qui comptent désormais parmi les plus grandes au monde.
La Chine a connu une croissance annuelle moyenne de 9-10 % au cours des vingt dernières années, dont 5 à 6 % étaient imputables aux facteurs de production (croissance du travail et du capital) et environ 3 à 4 % à l’augmentation de la productivité. Depuis son entrée à l’OMC, les exportations ont explosé, passant de 25% à près de 40% du PIB en 2006 et en 2007. Elles ont cependant connu une décroissance rapide après la crise de 2008, repassant sous la barre des 25% en 2010. Elles représentaient néanmoins 10% des exportations mondiales en 2009, alors que 10 ans auparavant, elles n’en représentaient que 3%.
Mais des déséquilibres existent. Par exemple, la balance commerciale qui a atteint un sommet de 8,8% du PIB en 2007, reste encore importante malgré qu’elle s’est passablement dégonflé depuis. Plus important est le déséquilibre entre le taux de consommation et le taux d’épargne (le niveau d’épargne atteint 50 %). L’affaiblissement du modèle de croissance tirée par les exportations ainsi que la mise en place graduelle d’un système de protection sociale (inexistant) devraient permettre de résoudre graduellement ce déséquilibre. Par ailleurs, la diminution des excédents de la balance commerciale et la hausse du yuan qui y est associé devrait ralentir les pressions inflationnistes de la Chine. Enfin, la Chine a profité de la décennie des excédents records (elle a accumulé des réserves en devises étrangères estimées à 3 197,5 milliards $ fin juin 2011) pour se doter de fonds souverains qui vont lui permettre de compenser la baisse des exportations par des investissements stratégiques extérieurs. Le China Investment Corporation (CIC), créé en 2007 par un apport de 200 milliards $, a doublé ses actifs fin 2011 (410 milliards $). C’est sans compter les entreprises géantes (publiques comme privées) qui ont été créées de toute pièce par ce développement ultrarapide.
Les exemples d’investissements étrangers sont nombreux, tel cet appétit des investisseurs chinois pour les actifs européens dépréciés par la crise. L’intérêt porté par une banque chinoise pour la banque britannique RBS, le projet de prise de contrôle du constructeur italien de yachts Ferretti par le chinois Shandong Heavy Industry Group (500 millions $), le rachat de Volvo (automobile) par le chinois Geely pour 1,8 milliard $, le rachat fin décembre à l’Etat portugais d’une participation de 21,35% dans la société de services aux collectivités Energias de Portugal (EDP) par le groupe chinois Trois Gorges. L’Europe étant le premier marché d’exportation de la Chine, les opportunités d’achat vont permettre de solidifier les échanges. Beijing aurait d’ailleurs encouragé les entreprises chinoises à acquérir des marques reconnues, comme l’a fait Geely avec Volvo. En 2004, Lenovo avait acquis la branche d’ordinateurs personnels d’IBM. En plus, la Chine veut obtenir des contreparties sérieuses en aidant l’Europe à sortir de sa crise de la dette souveraine.
En matière de développement des nouvelles technologies, la Chine a mis les bouchées doubles pour rattraper le retard qu’elle avait sur les pays industrialisés. À titre d’exemple, elle a connu une croissance d’environ 26,1 % dans le dépôt de brevets entre 2003 et 2009. En suivant ce rythme, la Chine devrait donc dépasser les États-Unis et le Japon autour de 2013. On verra dans la 3e et dernière partie de cette série que le choix des technologies vertes aura des conséquences majeures pour faire de la Chine la véritable superpuissance du 21e siècle.
Les avancées technologiques (et les ambitions) de la Chine sont telles qu’elle a récemment décidé de mettre en service son propre système GPS, baptisé Beidou, après avoir abandonné sa coopération avec le système européen Galileo qui a pris six ans de retard. La Chine s’était associée au projet européen, destiné à assurer l’indépendance de l’Europe vis-à-vis du GPS américain, en investissant 200 millions $ dans le projet.
Le capitalisme sauvage qui a été instauré par le pouvoir ‘communiste’ au niveau microéconomique n’a pas eu que des effets sociaux négatifs. La partie de la population chinoise qui vit sous le seuil de l’extrême pauvreté (1,25 $ par jour) est passée de 65% en 1981 (arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping) à 4% aujourd’hui. Cela représente une diminution de plus d’un demi-milliard d’êtres humains. C’est surtout depuis 2001 que ce changement s’est produit. À l’opposé, on estime qu’il y a maintenant plus d’un demi-million de millionnaires chinois (i.e. avec au moins 10 millions de yuan, l’équivalent d’un peu plus d’un million de dollars d’actifs). Environ 50% de ces millionnaires se retrouvent dans cinq provinces ou ville (Shanghai) de la côte. De façon agrégée, les millionnaires Chinois contrôlent des actifs de 2 000 milliards $. On estime qu’en 2011 le nombre de millionnaires aura doublé par rapport à 2008. Mais parmi eux, 60% ont envisagé ou ont déjà commencé à appliquer pour émigrer à l’étranger. Cet exode serait très récent (amorcé en 2009) et aurait comme destination principale les Etats-Unis et le Canada.
Pour terminer cette 2e partie, concluons sur un chiffre qui va en faire sursauter plusieurs. Selon le président chinois, depuis que la Chine a adhéré à l’OMC, les importations chinoises ont créé dans le monde 14 millions d’emplois. Des experts britanniques arrivent à un chiffre supérieur (environ 17 millions). Près de 600 000 emplois auraient ainsi été créés aux Etats-Unis et un demi-million en Allemagne, seul pays européen à faire partie des dix plus gros exportateurs vers la Chine. Mais dans le même temps les exportations chinoises n’ont cessé de croître. Le FMI prévoit qu’elles pourraient monter à 12% des exportations mondiales en 2014 et 17% en 2020. A ces exportations correspond la destruction de millions d’emplois sur la planète. Aux Etats-Unis, le solde création/destruction serait négatif et atteindrait 1,4 million d’emplois. En France et en Allemagne, le solde serait quasi nul.
Dans la prochaine et dernière partie de cette série nous allons aborder la Chine sous l’angle environnemental.
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