Comme je le soulignais dans mon billet de la semaine dernière, le lobby des sables bitumineux semble s’être donné un agenda très précis de communication visant à présenter les « bienfaits » de cette industrie pour l’ensemble du Canada, y compris pour le Québec. Mais on le verra dans le présent billet, les chiffres qui ont été présentés sont artificiellement gonflés et ne tiennent aucunement compte des coûts, environnementaux, et autres, qui découlent du développement de cette industrie.
Ça va mal pour les ‘fossiles’ qui sont derrière l’industrie des sables bitumineux. Non seulement y a-t-il une campagne internationale qui en dénonce le caractère insoutenable, mais les obstacles se présentent les uns après les autres pour empêcher le développement du réseau de pipelines dédiés à l’exportation de ce produit dangereux pour la planète. Récemment, suite à la décision de Chiquita Brands, du géant des cosmétiques Avon et de la chaîne de pharmacies américaines Walgreens d’éviter les carburants provenant de raffineries des sables bitumineux, c’est le premier ministre Harper lui-même qui est monté à la barricade pour défendre l’industrie en la présentant comme un moteur de la création d’emplois et de revenus pour l’économie canadienne, dénonçant au passage la désinformation entachant l’industrie.
Il faut en fait remonter à novembre dernier pour trouver les traces de la vraie désinformation, celle de l’industrie. Un journaliste de Radio-Canada, Jean-Philippe Robillard, faisait malencontreusement le jeu du lobby en présentant, en gros titre : « Sables bitumineux : des milliards en retombées au Québec, selon un rapport ». Puis il mentionne en caractère gras : « L’exploitation des sables bitumineux en Alberta générera des retombées économiques de près de 20 milliards de dollars au Québec au cours des 25 prochaines années, selon une étude du Canadian Energy Research Institute, une somme qui pourrait augmenter si le projet contesté du pipeline Keystone XL de la pétrolière TransCanada voit le jour. » Quel beau cas de manipulation. Il aurait fallu, au minimum, présenter une contre expertise d’un économiste indépendant pour avoir une opinion fondée sur le réalisme de cette étude. Steven Guilbault est interpellé et mentionne bien évidemment que les externalités négatives (les coûts environnementaux) du développement des sables bitumineux ne sont pas pris en compte. Mais il ne pouvait pas fournir une contre-expertise sur les prétentions de l’étude économique en tant que tel.
L’étude qui est citée dans cet article fait près d’une centaine de pages. Elle a été produite par le Canadian Energy Research Institute (CERI), basé à Calgary. C’est un organisme sans but lucratif mis sur pied en 1975 par le gouvernement albertain et des intervenants de l’industrie du gaz et du pétrole. Un rapide survol de l’étude m’indique immédiatement que les chiffres ont été artificiellement gonflés en raison de l’inclusion des impacts « induits ». Ayant moi-même été le responsable des études d’impacts pour mon ancien employeur, je sais très bien que l’utilisation des impacts induits dans ce type d’étude ne fait pas consensus. L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) refuse d’inclure les impacts dans les études qu’elle produit pour sa clientèle, laissant à ces derniers la responsabilité de les calculer.
Les études d’impacts utilisant la méthode des tableaux input-output tiennent compte normalement des effets directs (dépenses directes entraînées par un projet particulier) et des effets indirects (dépenses entraînées par les fournisseurs pour remplir les commandes provenant du projet). Ces impacts sont correctement imputés au projet analysé. Par contre, les effets ‘induits’ sont les retombées des dépenses des travailleurs impliquées dans les impacts directs et indirects. Là il n’y a plus aucun rapport avec un projet particulier. Ces dépenses seraient identiques pour un projet équivalent de même ampleur. Elles relèvent davantage de la structure de consommation des personnes et des entreprises en général (logement, nourriture, transport, habillement, loisir, etc.) que des particularités technologiques du projet étudié. Les effets induits équivalent généralement à près du quart des impacts totaux. Dans le cas de l’étude sur les sables bitumineux, ils représentent 30% (voir le tableau 2.5, page 16) !
Bref, les supposés 20 milliards $ de retombées (1% du 2 000 milliards $ de retombées totales) et les 200 000 emplois-années créés ou maintenus (2% des 10 millions d’emplois-années totaux) au Québec pendant les 25 années de la simulation réalisée par cette étude sont non seulement tout à fait marginaux, mais ils sont à 60% des effets induits découlant de la consommation des ménages et des entreprises albertaines. C’est totalement faux de prétendre que ces retombées seraient dues au développement des sables bitumineux, faux de dire que le Québec profite de cette industrie parce que son économie s’insère dans le modèle productif des sables bitumineux. Les effets indirects (les fournisseurs de l’industrie) assumés au Québec ne représentent que 0,8% des effets totaux.
Mais faisons l’hypothèse qu’il y aurait effectivement des retombées de 775 millions $ par année au Québec. Comme le souligne furtivement le journaliste, l’IREC a démontré dans une note d’intervention que le développement des sables bitumineux coûte 417 millions $ par année aux Québécois (notre part des subventions fédérales à l’industrie). Dans la même étude, nous montrons que la pollution et les changements climatiques entraînent des coûts sanitaires (12,7 milliards $ selon l’INSPQ) ou globaux (1 à 2 milliards $) à chaque année au Québec seulement. On pourrait aussi ajouter deux autres coûts négatifs majeurs pour l’économie québécoise : ceux découlant de la hausse de la devise canadienne (du fait que le Canada devient un des grands pays exportateurs de pétrole) avec ses effets négatifs pour les exportations québécoises ; la part imputable aux Québécois (4,4 milliards $) de la dette climatique canadienne de 19 milliards $ découlant du non respect du protocole de Kyoto, dû en bonne partie au développement sans limite de l’industrie pétrolière.
Qui peut sincèrement admettre qu’il y a des retombées positives pour le Québec du développement de l’industrie des sables bitumineux ? C’est tout le contraire.
Tout à fait exact.
En plus, ces gens ne tiennent pas compte des effets de la hausse de la valeur du dollar canadien due à l’exploration du pétrole qui pénalisent surtout le Québec et l’Ontario. C’est un cas typique de maladir hollandaise.
J’en ai parlé dans au moins trois billets. En voici un :
http://jeanneemard.wordpress.com/2010/08/20/lalberta-et-la-perequation/
[...] y a quelques mois, ils ont diffusé une étude mensongère sur les retombées économiques du développement de cette industrie. Un document obtenu par Greenpeace, émanant du gouvernement fédéral, étaye la stratégie [...]