L’administration Harper a décidé de soutenir, quoiqu’il arrive, à n’importe quel coût, le développement des sables bitumineux (voir mon billet précédent sur le sujet).Pourtant d’autres choix seraient possibles. À une condition : d’avoir à la tête du Canada un gouvernement qui ne soit pas totalement acquis à l’industrie pétrolière. Or, s’il y a une chose de clair, c’est celle-là. Comme nous le révélait la journaliste Hélène Buzzetti, Ottawa et l’industrie pétrolière parlent d’une même voix. Le gouvernement fédéral, celui de l’Alberta et l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) se sont même associés pour développer une stratégie commune de communications afin d’améliorer l’image des sables bitumineux.
Il y a quelques mois, ils ont diffusé une étude mensongère sur les retombées économiques du développement de cette industrie. Un document obtenu par Greenpeace, émanant du gouvernement fédéral, étaye la stratégie fédérale pour mieux faire accepter l’industrie des sables bitumineux canadienne en Europe. Ce document liste les acteurs de cette question selon qu’ils sont des «alliés» ou des «adversaires» : les médias, les groupes environnementaux et autochtones ainsi que les industries offrant de la concurrence comme le biodiesel sont considérés comme des «adversaires», tandis que les entreprises énergétiques, les associations industrielles et l’Office national de l’énergie sont considérés comme des «alliés» !!!
Pourtant, malgré leur tentative de repositionner le débat européen sur les sables bitumineux (faire accepter aux Européens le rôle des sables bitumineux canadiens dans la sécurité énergétique mondiale), le vote à la Commission européenne concernant la norme sur la qualité des carburants n’a pas été un succès pour la campagne de désinformation du gouvernement conservateur. Certes, la proposition n’a pas été adoptée (il fallait une majorité aux trois-quarts pour que la proposition passe avec succès cette étape), mais il y aura un autre vote au niveau ministériel en juin. Selon un diplomate, les représentants des principaux pays (Allemagne, France, Royaume-Uni) se sont abstenus tandis que l’Italie a voté contre et que plusieurs nations scandinaves ont voté pour. La commissaire européenne à l’Action pour le climat, la Danoise Connie Hedegaard, a mis en cause à plusieurs reprises le lobbying du Canada et des grandes compagnies pétrolières contre la directive qui doit fixer une valeur d’émissions de gaz à effet de serre à chaque source de carburant. Ces coefficients désavantagent les hydrocarbures non conventionnels, dont l’extraction, lourde et difficile, nécessite une forte quantité d’énergie. Les émissions liées à l’extraction de sable bitumineux sont ainsi estimées à 107 grammes d’équivalent CO2 par mégajoule contre 87,5 g pour le pétrole brut.
À cette guerre contre les environnementalistes et les autres pays, le Canada et les lobbys pétroliers peuvent à l’occasion gagner des batailles. Mais ils vont perdre la guerre parce que dans cette guerre sur le climat, ils représentent les « méchants », la voie réactionnaire, dépassée, les « fossiles » incapables de s’adapter aux changements. Ils s’opposent à trop d’adversaires. Bien sûr que la Chine veut le pétrole sale canadien. Mais d’un autre côté, comme membre du BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine), elle exige du Canada des mesures compensatoires pour diminuer ses émissions de GES. Peu après la visite de Stephen Harper en Chine, les quatre pays émergents du BASIC ont stigmatisé le retrait du Canada du Protocole de Kyoto, affirmant qu’une telle décision remet en question sa crédibilité et celle d’autres pays occidentaux dans le dossier des changements climatiques. La position canadienne leur est d’autant plus offensante qu’il affiche l’un des pires bilans d’émissions de GES et qu’il a attendu la fin de la conférence de Durban pour se retirer du protocole. Le BASIC veut agir de manière à ce que le Canada reconsidère sa position, puisqu’à leur avis, aucun pays n’a le droit légitime de miner l’intégrité d’un traité aussi stratégique.
Le gouvernement conservateur pense pouvoir éviter de payer la facture qui découle du non-respect de sa ratification du Protocole de Kyoto. Pourtant rien n’est moins sûr. Au-delà de l’éthique de ce comportement, ce scénario opportuniste de donner son avis d’un an pour se retirer du protocole de Kyoto est loin d’être réaliste. Le Canada n’est pas un locataire de la planète qui peut s’éclipser quand il veut, sans payer sa part ! Il a raté ses cibles de réduction par environ 890 millions de tonnes, au total, pour les années 2008 à 2012. Pour combler l’écart, le pays devrait acheter des crédits ailleurs dans le monde.
En décembre dernier, ces crédits s’échangeaient à 6,90$ la tonne. Cela représenterait une facture autour de 6 milliards pour éponger la dette climatique canadienne. Mais selon Stephen Seres, économiste et ex-négociateur sur le climat pour le Canada, « c’est une somme théorique. Se retirer du protocole de Kyoto, c’est illégal. Il y a un acte du Parlement qui l’a ratifié. Comment peut-on revenir là-dessus ? »
L’administration Harper ridiculise ceux qui continuent à affirmer qu’il est possible que le Canada puisse atteindre ses cibles de Kyoto sans plonger le pays dans la catastrophe économique. Pourtant la Norvège, un autre pays nordique producteur et exportateur de pétrole, persévère dans sa démarche de lutte aux changements climatiques. Certes, comme le Canada, elle a dépassé ses cibles, mais la Norvège prévoit, d’une part, de compenser les écarts en achetant des crédits et, d’autre part, se donner de nouvelles cibles encore plus ambitieuses pour 2020 (de -30% ou plus) ! La taxe carbone, instauré dès 1992, est la principale mesure que la Norvège utilise pour changer les comportements de la population et des entreprises.
C’est ce qu’il faudrait faire au Canada. Mais le lobby du pétrole n’en veut pas !
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