Le Québec est en train de se vider de ses emplois manufacturiers et le premier ministre n’a rien d’autre à faire que nous assommer avec son plan marketing pour sa réélection : le Plan Nord. Mais quand bien même se réaliserait-il, tel que programmé dans le Plan Nord, le remède serait pire que le mal. Je vous suggère d’aller lire le billet de Darwin qui explique la problématique de la « maladie hollandaise » et de ses impacts sur l’industrie manufacturière du Québec (et de l’Ontario). Le développement effréné du secteur des ressources naturelles entraîne des pressions à la hausse sur la devise nationale, ce qui renchérit les biens manufacturiers domestiques sur les marchés mondiaux.
Le Québec n’est pas le seul à en souffrir. La compagnie étatsunienne Caterpillar a fermé son usine de locomotives de London, en Ontario, jetant à la rue ses 450 travailleurs en lock-out. La filiale Electro-Motive Diesel était devenu le seul fabricant de locomotives au Canada. « Les coûts d’exploitation de l’usine étaient intenables et les efforts pour négocier une nouvelle convention collective plus concurrentielle ont échoué » raconte le communiqué de Caterpillar. Mabe, à Montréal, a été plus directe : le prix de la devise canadienne rendait les produits montréalais moins compétitifs. Caterpillar demandait à ses employés d’accepter une réduction de salaire de 50 % ; Mabe a dès le départ précisé qu’il n’y avait pas d’entente possible…
Caterpillar a réalisé des profits de 4,9 milliards $ en 2011, en augmentation de 83% sur l’année précédente. Une de ses filiales a ouvert une usine ultramoderne de locomotive à Macie, en Indiana, avec de généreuses subventions du programme de réindustrialisation des États-Unis. Par ailleurs le Buy American Act a des exigences de contenu national strict pour le matériel de transport, aussi fortement subventionné. Finalement, le congrès de l’Indiana (Tea Party) a voté une loi de « liberté syndicale » qui enlève aux syndiqués l’obligation de payer les cotisations syndicales (la règle de l’atelier fermé). Pour Mabe, la production de l’usine de Montréal sera transférée à d’autres usines existantes de la compagnie, aux États-Unis et au Mexique. En 2009, Mabe avait déjà transféré près de 30 % de sa production au Mexique. Là aussi le syndicat accuse, à tort ou à raison, le Buy American Act ! Selon les informations fournies au journaliste de La Presse dans le cas de la fermeture d’Electrolux, le déplacement des emplois vers d’autres usines du groupe – au Mexique et dans le sud des États-Unis – était également évoqué.
Cette situation est en fait le résultat d’un double problème : d’une part, comme nous le disions plus haut, du fait que le Canada devient un grand exportateur de pétrole, avec une hausse de la devise, d’autre part parce que les deux niveaux de gouvernement, et en particulier de celui du Québec, sont réactifs face aux changements. Il faudrait au contraire adopter une stratégie industrielle proactive pour consolider et développer les créneaux d’excellence du Québec.
Au cours des derniers mois, j’ai donné la parole à plusieurs auteurs invités qui, dans leur pays respectif, ont soulevé la question des politiques industrielles et de certaines mesures de protectionnisme en faveur des secteurs manufacturiers. Pour la France, Patrick Artus avertissait que « si la France n’arrive pas à régénérer un tissu industriel exportateur, il y aura un problème chronique d’emploi, de déficits, d’inégalités de revenus ; la France se transformerait en une destination de vacances à faible pouvoir d’achat de ses habitants. » Il propose diverses mesures pour « protéger » le marché national des grandes firmes exportatrices. Dani Rodrik va plus loin : « Sans base manufacturière dynamique, les sociétés ont tendance à se scinder en deux classes – des riches et des pauvres, ceux qui accèdent à des postes stables et bien rémunérés et les autres qui jouissent de moins de sécurité d’emploi et dont les conditions de vie sont plus précaires. La présence d’une industrie manufacturière pourrait bien être en dernier ressort une condition fondamentale de la vigueur démocratique d’un pays. »
Comme je le notais moi-même dans une note d’intervention de l’IREC, le Québec pourrait renouveler son système productif en misant sur la reconversion écologique de son économie, pour laquelle nous avons des avantages appréciables. Mais en même temps je m’inquiétais du retard que prend le Québec en tardant à réactiver ses politiques industrielles. « En tenant compte de ce qui surgit en Europe et dans plusieurs pays émergents (Chine, Corée du Sud, Brésil, etc.), nous suggérons de créer une nouvelle agence pour coordonner les stratégies visant une reconversion écologique de l’économie québécoise, de lancer de grands projets mobilisateurs dans les domaines des transports, de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables et de redonner à tous les acteurs de la société civile – en particulier les mouvements syndicaux, de l’économie sociale et écologiste – une pleine participation au processus de formulation et de mise en œuvre des stratégies. »
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