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Le samedi 23 avril 2022

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Bus électrique et politique industrielle

Le gouvernement Charest a récemment annoncé qu’une subvention de 30 millions $ serait accordé au projet d’autobus électrique globalement estimé à 73 M$. Ça fait deux ans que ce projet a été lancé, et annoncé à répétition, mais le financement tardait à se conclure. Il était donc temps que le gouvernement se grouille là-dessus avant de se faire damer le pion par tous les autres pays de l’OCDE ou d’ailleurs. Le Québec bénéficie de conditions extrêmement favorables pour développer un tel projet, mais ce gouvernement a préféré mettre tous ces œufs dans l’arnaque du Plan Nord, pour le plus grand profit des multinationales et de l’image de Charest.

Lorsqu’on s’arrête un instant pour analyser la situation de l’économie québécoise, et en particulier celle du secteur manufacturier, le projet d’autobus électrique dévoilé la semaine dernière nous démontre toutes les faiblesses et manquements de ce gouvernement :

1) Le Québec n’a pas de stratégie de développement industriel

Au cours des dernières années, mais en particulier depuis la Grande Récession, plusieurs économistes de réputation internationale ont soulevé la question des politiques industrielles, voire de certaines mesures de protectionnisme en faveur des secteurs manufacturiers. Par exemple, Patrick Artus avertissait que « si la France n’arrive pas à régénérer un tissu industriel exportateur, il y aura un problème chronique d’emploi, de déficits, d’inégalités de revenus ; la France se transformerait en une destination de vacances à faible pouvoir d’achat de ses habitants. » Il propose diverses mesures pour « protéger » le marché national des grandes firmes exportatrices. Dani Rodrik va plus loin : « Sans base manufacturière dynamique, les sociétés ont tendance à se scinder en deux classes – des riches et des pauvres, ceux qui accèdent à des postes stables et bien rémunérés et les autres qui jouissent de moins de sécurité d’emploi et dont les conditions de vie sont plus précaires. »

Dans son ouvrage de 2004, Industrial Policy for the Twenty-First Century (voir ma note d’intervention sur le sujet des politiques industrielles), Dani Rodrik annonçait d’ailleurs que le renouveau de la politique industrielle était un fait démontré dans plusieurs pays du Sud et parmi quelques pays développés. Ce renouveau s’effectuait sur deux plans : celui du renouvellement des rôles qu’y jouent les acteurs économiques, renouvellement qui ne repose plus sur le seul État omniscient; et celui qui accorde désormais la priorité aux dynamiques plutôt qu’aux seuls résultats. Ces nouvelles politiques industrielles favoriseraient les nouvelles activités – dans des secteurs en croissance –, des processus d’apprentissage et des organisations partenariales redevables. Selon lui, le succès de ces politiques repose sur la création de nouvelles institutions financières, de nouveaux instruments complémentaires aux banques et au capital de risque. Rodrik donne les exemples des fonds souverains, de banques de développement ou, plus généralement, d’instruments permettant de canaliser l’épargne collective – par exemple les caisses de retraite – vers les nouvelles activités de l’économie réelle. C’est dans cette mouvance qu’a été lancée en France, en 2005, la stratégie des pôles de compétitivité. Issue du rapport Beffa, (qui s’était penché sur la nécessaire redéfinition de la politique industrielle de la France, la stratégie s’est exprimé par la création d’une Agence de l’innovation industrielle dont le mandat est de financer et de coordonner, sur une base partenariale, de grands projets mobilisateurs sur un large front d’activités ciblées.

Dans cette perspective, ce qui manque aujourd’hui au Québec ce sont : la création d’une Agence de développement pour soutenir et coordonner la création de pôles de compétitivité ; la création d’une banque de développement pour créer une expertise dans le domaine du montage financier de projets stratégiques ; la mobilisation des institutions financières collectives québécoises pour soutenir des projets mobilisateurs.

2) La multiplication de projets mobilisateurs

On présente, à juste titre, le projet d’autobus électrique comme un « projet mobilisateur ». Issu du Consortium Bus Électrique, formé de Nova Bus, Bathium Canada, TM4, Giro, René Matériaux Composites et Précicad, il prévoit la réalisation d’un autobus électrique standard ainsi qu’un microbus électrique (en partenariat avec Infodev, Styl&Tech et Structures CPI), tous les deux en aluminium. Les alumineries du Québec seraient partenaires de ce consortium en investissant 1,5 M$ sur 4 ans dans la recherche et le développement.

Cet exemple est non seulement très intéressant; il montre la voie à suivre pour renouveler le système productif québécois. En encadrant la stratégie d’ensemble dans un objectif de reconversion écologique de l’économie québécoise, une Agence de développement pourrait multiplier les projets mobilisateurs en adoptant l’approche des clusters ou des réseaux ou des grappes, peu importe la notion utilisée, mais définitivement pas celle des filières qui enferme les activités dans des secteurs aux frontières hermétiques. Pour favoriser la reconversion de l’activité industrielle, les programmes de soutien de cette stratégie devraient favoriser les nouvelles activités et des organisations partenariales redevables. Ils devraient explicitement encourager les acteurs privés à développer les synergies qui sont désirées, dans l’intérêt public de la reconversion.

L’exemple de l’autobus électrique est loin d’être unique. Au tournant des années 2000, les différentes régions du Québec ont développé des créneaux d’excellence envers lesquels le gouvernement Charest, nouvellement élu en 2003, s’était empressé de donner un sévère coup de torchon. Mais la résilience du modèle québécois a fait en sorte que ces créneaux se sont en bonne partie maintenus, malgré le laisser-faire gouvernemental. Ils n’attendent qu’un coup de pouce pour mobiliser les forces vives du Québec.

3) Les moyens d’agir

La stratégie Charest pour l’électrification des véhicules est doté d’un ridicule budget de 250 millions $ sur 10 ans (2010-2020). En plus, une part importante de ce budget est prévu pour soutenir l’achat de VE par des particuliers, alors que la fabrication de ces voitures personnelles sont toutes fabriquées à l’extérieur du Québec. Pourtant, l’Agence de l’efficacité énergétique préparait un projet de malus-bonus pour le soumettre à la Régie de l’énergie, formule qui aurait favorisé l’achat d’automobiles moins énergivores avec un coût nul pour les finances publiques. Mais le ministre des Finances a préféré faire disparaître sans le moindre débat public l’Agence de l’efficacité énergétique et son projet.

Lorsque l’on sait que la part des subventions fédérales au développement des sables bitumineux aurait coûté 320 millions $ aux Québécois pour la seule année 2008, et autour de 5 milliards $ au total pour la période 2008-2020, on peut se demander ce que fait VÉRITABLEMENT le Québec pour la reconversion écologique de notre économie. Il faudrait investir un montant au moins équivalent d’argent public pour contrebalancer cette politique favorable aux énergies fossiles.

En définitive, même derrière les annonces encourageantes de ce gouvernement, il y a toujours une « part d’ombre » qui nous ramène à la nécessité d’agir autrement, et rapidement.

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