Le Plan Nord est véritablement une arnaque. C’est l’exact contraire d’un véritable plan de développement, et encore moins celui d’un développement durable. Pour reprendre encore une fois les réflexions de Jacques Fortin, avec qui je concluais mon billet précédent : les citoyens du Québec, et le gouvernement qui les représente, sont fiduciaires d’un portefeuille de ressources naturelles qui, bien géré, pourrait assurer leur sécurité et leur bien-être pour plusieurs générations. Mais pour cela, nous disait-il, il faut sortir d’un système de rémunération qui ne valorise que le court terme, qui favorisent la concentration de la richesse et qui, aujourd’hui, est sur le point d’avoir raison de notre économie globale. Dans ce cadre, ces personnes et ces entreprises « ne recherchent que leur intérêt à court terme et non leurs responsabilités sociales et environnementales, au point de s’être eux-mêmes mis en péril. »
M. Fortin s’affirmait globalement contre le Plan Nord pour plusieurs raisons :
• aucun mécanisme sérieux de fixation des prix ne nous permet actuellement d’établir le prix optimal de la ressource non renouvelable et donc ne nous permet de situer convenablement à quel moment il devient opportun de la retirer de notre bas de laine collectif pour en faire profiter le plus grand nombre;
• nous ne disposons pas non plus d’une formule de redistribution qui garantirait aux citoyens du Québec d’aujourd’hui et de demain d’obtenir leur juste part de l’enrichissement créé par les ponctions que l’on pourrait faire sur notre capital naturel non renouvelable;
• plus inquiétant encore, nous ne disposons pas de la structure industrielle nécessaire pour tirer profit de l’effet multiplicateur qui viendrait de la valorisation de la matière extraite.
Il nous disait que cela n’avait aucun sens d’autoriser l’exploitation d’une ressource si les bénéfices qu’elle génère ne peuvent pas, à la fois, offrir un rendement raisonnable et compenser intégralement pour l’ensemble des coûts sociaux et environnementaux que son activité aura engendrés. Or, justement, si le passé est garant de l’avenir, le compte est loin d’y être. Le Québec comptait, le 31 mars 2011, 679 sites miniers orphelins : des sites d’exploration (488), d’exploitation (181) et des carrières ou sablières (10). De ce total, seulement 118 terrains étaient restaurés. Aucune garantie financière n’a été versée par les sociétés minières pour la remise en état de ces terrains, puisqu’ils sont entrés en exploitation avant les lois imposant de telles garanties (1995). La loi votée en 1995 oblige en effet les minières à mettre en garantie 70% des coûts de restauration de leur site d’exploration ou d’exploitation. La nouvelle loi qui est présentement à l’étude non seulement devrait faire passer de 70 à 100% la proportion du paiement de la garantie des coûts de restauration qui devront être assumés par les entreprises, elle imposerait aussi de le faire dans un délai de trois ans.
Le gouvernement refusait jusqu’ici de rendre compte publiquement des travaux prévus pour restaurer ces sites miniers abandonnés, se limitant à donner l’année 2017 comme date limite pour se débarrasser de cet héritage toxique. Le ministre délégué aux Ressources naturelles et à la Faune (MRNF), Serge Simard, se disait contre l’idée de déposer un document qui pourrait déboucher sur une controverse ! Drôle de façon de comprendre la transparence et la responsabilité des charges publiques. La plus grosse part de la facture est due à la nécessité de décontaminer certains sites qualifiés de «majeurs» par Québec. Dans certains cas, des métaux lourds doivent être récupérés, notamment pour éviter davantage de migration de la pollution. Bien souvent, de l’équipement a été laissé à l’abandon, ou encore des camps miniers entiers. Des 181 sites d’exploitation abandonnés, une cinquantaine nécessitent des travaux de grande envergure.
Quoiqu’il en soit, l’État québécois devra augmenter de façon substantielle les sommes allouées à cette enveloppe. La facture totale pour la restauration des 679 sites abandonnés serait passée de 264 millions en 2008 à 891,6 millions selon une récente évaluation, soit l’équivalent de près de trois ans de redevances. « Le coût a triplé en trois ans, a fait valoir Mme Ouellet, du Parti Québécois. Est-ce que la dernière évaluation est finale ? Est-ce qu’on aura une facture au-delà d’un milliard l’année prochaine ? »
Or, il y a quelques semaines, on apprenait que l’enveloppe réservée par Québec pour la restauration des sites miniers abandonnés atteint maintenant 1,25 milliard. Un document déposé en commission parlementaire par le ministre Simard, fait état d’une somme supplémentaire de 338 millions pour des terrains qui ne sont pas encore à la charge de l’État, mais qui pourraient le devenir si leurs propriétaires, malgré leurs obligations de restaurer le site, devenaient insolvables ou en faillite. De 2006 à 2011, le MRNF a dépensé un total de 60,4 millions pour la restauration et le suivi des sites miniers. Le gouvernement Charest a refusé de mettre les minières à contribution pour acquitter une partie de la facture. « On ne facturera pas ça aux entreprises qui respectent les lois et qui viennent ici faire des investissements et engager des gens », a précisé le ministre Simard. « C’est sûr que ce sont les Québécois qui vont payer. », a-t-il répété en Commission parlementaire alors que les péquistes réclamaient plutôt la mise en place d’un mécanisme pour obtenir une participation des minières.
Selon Ugo Lapointe du mouvement Pour que le Québec ait meilleure mines, il est encore trop tôt pour dire si la nouvelle loi va régler le problème de la dette environnementale des minières. Pour lui, le montant déclaré par les minières pour la restauration serait sous-évalué, prenant comme exemple le cas de la mine Osisko. « Elle avait proposé 45 M$ pour la restauration de Canadian Malartic, mais c’était pour son projet original, indique-t-il. Deux ans plus tard, la mine est rendue deux fois plus grosse. La garantie financière devrait augmenter en conséquence. » Ugo Lapointe estime que Québec sous-évalue lui-même la dette environnementale des sites miniers. Dans son rapport sur le secteur des mines, le Vérificateur général dénonçait un nombre de lacunes dans le travail effectué par le ministère des Ressources naturelles. Les activités d’inspection souffraient d’un sérieux manque d’organisation, aucun rapport concernant de telles activités n’a pu être retracé dans 56% des dossiers analysés.
Malheureusement ce ne sont pas les seuls coûts qui seront prohibitifs : dans une note socioéconomique produite par Bertrand Schepper, avec la collaboration de Laura Handal, l’IRIS calcule que le boom minier dans le Nord québécois conduirait à une augmentation des dépenses publiques et environnementales afférentes qu’ils estiment à près de 6,15 milliards $ sur 25 ans. Ces coûts non considérés, nous dit la note de l’IRIS, qui s’élèveraient à près de 246 millions $ par année, viendront gruger plus de 43 % des retombées fiscales annoncées par le gouvernement. Or, nous avons vu dans notre précédent billet que les coûts sociaux et environnementaux sont encore plus importants lorsqu’on considère les impacts intergénérationnels.
Lancer en catastrophe il y a deux ans pour tenter désespérément de sauver son gouvernement d’une éventuelle défaite électorale humiliante, le Plan Nord n’est rien d’autre que l’arnaque du siècle. Dans le prochain et dernier billet, on verra quelles conditions permettraient que le développement du potentiel minier du nord du Québec puisse se faire de façon soutenable.
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