Les chiffres avancés pour le Plan Nord sont gigantesque : 100 à 200 milliards $ de production de minerai de toutes sortes au cours des 25 prochaines années, des investissements de 80 milliards $, dont près des deux tiers par le gouvernement du Québec. Pour le quidam, ça en fait des emplois, payants par-dessus le marché ! Pour une frange de la population, qui ne connaît des programmes électoraux que les « flashmobs » relayés par nos médias, c’est très attirants. Mais derrière ces chiffres, il y a une réalité beaucoup moins agréable pour les véritables propriétaires de cette richesse : les citoyens du Québec..
Alors que l’exploitation des ressources non renouvelables présentes dans le sous-sol québécois devrait être une source d’enrichissement collectif, qu’elle devrait accroître notre patrimoine commun, pour les générations actuelles et futures, on s’aperçoit que, jusqu’à maintenant, c’est tout le contraire qui se produit. Le vérificateur général l’a montré dans son Rapport annuel pour l’année 2008-2009. Sur les sept années consécutives se terminant le 31 mars 2008, la moyenne des droits miniers versés en pourcentage de la valeur brute de la production était de 1,5%. Au cours de la période 2002-2008, 14 entreprises n’ont versé aucun droit minier alors qu’elles cumulaient des valeurs brutes de production annuelle de 4,2 milliards $. Pour la dernière année relevée, 3 mines seulement sur les 14 en exploitation au Québec payaient des droits miniers. Pire, le coût pour le trésor public des mesures fiscales propres au secteur minier était, en moyenne, pour les 7 années relevées de 136,9 millions de dollars, alors que les droits miniers n’avaient rapporté que 93,9 millions. À titre de fiduciaire du bien commun, l’État québécois n’a pas joué correctement son rôle. Il a carrément bradé des ressources qui appartiennent à tous les citoyens, au profit d’entreprises étrangères pour la plupart. Et il continuera à le faire malgré l’augmentation des redevances à 16%, comme l’explique Jacques Fortin dans un texte récent.
Dans ce contexte, Yvan Allaire propose un nouveau modèle d’affaires pour l’exploitation des ressources naturelles qui s’inspire d’une logique d’affaires incontournable et simple à comprendre. L’investisseur privé doit s’attendre à un rendement approprié sur ses investissements, compte tenu des risques. Pour la phase d’exploitation, sur la base d’un gisement géologiquement démontré, il identifie deux risques bien précis. D’une part le risque politique : l’éventualité d’un retournement politique, la nationalisation de l’opération, l’opposition efficace de la population au projet. Le Québec et le Canada jouissent de régimes politiques stables et d’un contexte juridique prévisible, ce qui réduit considérablement les risques de ce type. D’autre part la volatilité des prix : la chute des prix du minerai pourrait transformer rapidement un projet rentable en projet déficitaire. Yvan Allaire propose donc un système de redevances qui soit sensible au rendement attendu par les investisseurs et qui fasse bénéficier les propriétaires des ressources, les citoyens du Québec, de tous les profits au-delà de ce rendement attendu. Selon lui, bien qu’il soit difficile d’estimer le montant additionnel des rentrées de fonds éventuelles, si le gouvernement du Québec adoptait un tel modèle de redevance pour toutes les mines du Québec, il serait réaliste de prévoir (si le prix des minerais se maintenait au niveau actuel) des revenus additionnels de 50 à 100 milliards $ pour l’État du Québec sur une période de 12 à 15 ans !
Ce changement radical dans la perception des redevances publiques nous apparaît absolument nécessaire. Il ne s’agit pas ici d’une tentation opportuniste de profiter au maximum de la situation : c’est au contraire, comme nous le rappelait Harvey Mead dans le premier billet de cette série, qui soulignait le caractère non renouvelable des ressources minières, une juste compensation pour l’épuisement progressif de notre capital naturel. L’exploitation des ressources épuisables du nord du Québec n’est légitime que dans la mesure où des mesures sont prises pour éviter d’appauvrir les générations futures. Ça passe par la constitution d’un patrimoine commun, par exemple sous la forme d’un fonds souverain comme plusieurs l’ont suggéré. Ce ne sont pas seulement les membres de la Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, qui représentent une vaste palette d’acteurs de la société civile, qui appuient de telles idées; même la Chambre de commerce du Montréal métropolitain trouve l’idée légitime et nécessaire.
Une autre condition nécessaire pour légitimer le développement du potentiel minier du nord du Québec est de s’assurer que cela se fasse de façon soutenable. Ça exige un développement planifié, sur le très long terme, qui permet d’intégrer des stratégies de développement industriel en amont et en aval. Dans sa contribution au colloque de l’IREC sur le développement minier, Renaud Lapierre proposait une stratégie d’industrialisation qui passait, au préalable, par la réappropriation par l’État québécois d’une expertise dans le domaine, une révision de la politique de délivrance des permis, une stratégie de financement et finalement par la préparation de l’après-ressource pour le développement des régions. Actuellement c’est tout le contraire que nous prépare le gouvernement : malgré la hausse substantielle de la production de sa mine de fer du Mont-Wright, on apprenait récemment qu’ArcelorMittal ne construirait pas une deuxième usine de première transformation (en boulettes) à Port-Cartier. Le minerai serait exporté en vrac. On apprenaît récemment que ce sera la même chose pour le diamant. Le ministre délégué aux Ressources naturelles, Serge Simard, ferme la porte aux propositions du PQ, qui exige une plus grande transformation, parce que « forcer la transformation du minerai ici serait néfaste pour le Québec. » Selon le ministre délégué, les investisseurs ne pardonneraient jamais au gouvernement d’avoir mis en place des mesures protectionnistes !
Il est grandement temps de sortir du paradigme dans lequel ces gens sont restés, et nous tiennent, enfermé. Dans le modèle libéral dominant, l’exploitation des ressources est l’affaire exclusive des entreprises privées. Au cours des dernières décennies, la Norvège a été le seul pays développé à sortir avec constance de ce paradigme. Dès 1963, la Norvège a exercé son droit souverain sur les ressources naturelles de son secteur de la mer du Nord en imposant le rôle fondamental joué par les entreprises étatiques dans leur exploitation. Mais ce qui est encore plus important, c’est qu’avec les économies en émergence, telles que la Chine et le Brésil, le paradigme de l’interventionnisme étatique s’étend. Dans ce contexte, laisser faire le marché revient, dans les faits, à laisser les entreprises étatiques des autres pays exploiter nos ressources naturelles. L’Indonésie l’a très bien compris, en obligeant les entreprises minières d’ouvrir leur capital aux intérêts nationaux et à transformer le minerai avant de l’exporter. Il était donc temps que le Québec se dote d’une société « Ressources Québec » qui, avec des filiales opérationnelles dans le domaine de l’exploitation et la transformation de matériaux considérés comme stratégiques pour l’avenir du Québec, doit se donner la mission de reprendre le contrôle de nos ressources.
Enfin, si les attentes de la population concernant la transformation de nos ressources sont assez fortes, on ne peut en dire autant du développement industriel plus en amont. Nous avons un sérieux travail à faire de ce côté pour développer le secteur des technologies et des équipements entrants dans l’exploitation de nos ressources. Or, dans la mesure où le développement du potentiel minier du Québec serait planifié sur le très long terme, et que le gouvernement y aurait un rôle accru, nous pourrions remédier à cette faiblesse en imposant de nouvelles contraintes de contenu québécois. Par exemple, pour remédier au risque d’émission élevée de CO2, que je soulevais dans le premier billet de cette série, on devrait obliger les entreprises exploitantes à ‘électrifier’ leurs opérations en exigeant un contenu québécois des équipements. En parallèle, on devrait se doter d’une stratégie de développement industriel dans les secteurs liés.
La légitimité du Plan Nord passe par ces conditions.
Discussion
Pas de commentaire pour “Plan Nord (3) : pour un développement stratégique”