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Le samedi 23 avril 2022

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Les paradis fiscaux (1) : le paradis du 1%

Si vous n’avez par encore vu passer notre annonce concernant la parution du plus récent numéro de la Revue vie économique qui porte sur les paradis fiscaux, je vous invite à aller y jeter un coup d’œil. La littérature sur le thème des paradis fiscaux reste relativement pauvre. Les spécialistes semblent en effet frappés par une sorte d’omerta, comme le signale Claude Vaillancourt dans un court texte. D’où l’importance d’avoir publié un dossier sur ce sujet. Mais pour les personnes qui veulent en savoir plus sur les enjeux des paradis fiscaux, je vous renvoie également au site web Paradis fiscaux et judiciaires, qui est un trésor d’informations sur le sujet ainsi que sur plusieurs autres thèmes qui y sont associés.

Pour ma part, en écoutant les conférenciers invités à la journée d’étude d’ATTAC-Québec sur les paradis fiscaux (le 30 mars dernier), je me suis aperçu qu’il y avait encore plusieurs choses à ajouter pour éclairer le débat. D’où l’idée de compléter la réflexion qui a été menée dans la Revue par une série de trois billets que je débute aujourd’hui. Je reviendrai la semaine prochaine sur l’enjeu plus spécifique des impacts des paradis fiscaux sur les pays en développement. Dans le billet d’aujourd’hui, je vais plutôt développer l’idée que ces outils d’évasion fiscale sont au service du 1% (des riches et des grandes entreprises).

Commençons par ce 1% des ménages du monde qui détiennent 39% de la richesse mondiale. Cette minorité de personnes qui continue à s’enrichir et à éviter de payer sa juste part parce qu’il existe des paradis fiscaux qui placent le secret bancaire au-dessus du bien commun. Pour cette oligarchie du mépris global, « l’enfer fiscal » n’est pas ce lieu de non droit où on peut impunément cacher les fruits du vol ou du crime ; pour eux, l’enfer fiscal apparaît sous l’image des pays qui imposent lourdement les riches et les entreprises (autrement dit qui ont des systèmes fiscaux équitables). Ainsi, par exemple, on retrouve sur le site EnferFiscal.com un classement des « enfers fiscaux » produit par la firme Forbes Asia, dont l’indice est basé sur la cumulation de six catégories de taxe : impôt des sociétés, impôt des particuliers, taxe sur le patrimoine, taxes de vente ainsi que les de sécurité sociale des employeurs et des employés. Les pays européens continentaux sont surreprésentés dans ce classement. Curieusement, la Chine est en 2e place.

Hélène Rey, professeur d’économie à Princeton, présente ainsi la piste des paradis fiscaux pour les ménages fraudeurs européens : « Ceux-ci alimentent des banques suisses qui, elles-mêmes, investissent en leurs noms dans des fonds d’investissement luxembourgeois, irlandais ou des îles Caïmans. Ce sont approximativement 4 500 milliards de dollars ‘non traçables’ qui seraient investis dans de tels fonds communs de placement en 2008 et quelques centaines de milliards de plus dans des comptes en banque de paradis fiscaux. » S’appuyant sur les travaux de Zucman, Hélène Rey affirme que si ces actifs étaient traçables et réintégraient les statistiques internationales, la zone euro deviendrait créancière vis-à-vis du reste du monde et non débitrice comme dans les données officielles. Elle ajoute, « investir dans un fonds luxembourgeois à partir d’un compte suisse est une voie royale pour l’évasion fiscale. Le Luxembourg ne taxant pas les paiements transfrontaliers, un Français avec un portefeuille d’actions au Luxembourg recevra la totalité de ses dividendes dans son compte suisse, qui, lui-même, ne sera pas taxé, car les banques suisses ne sont pas dans l’obligation de fournir ces données aux autorités françaises. »

Mais ces juridictions fiscalement irresponsables sont aussi les paradis fiscaux des grandes entreprises multinationales, qui par ailleurs ne manquent jamais une occasion pour se déclarer ‘socialement responsables’. On trouve sur le web un site qui fait la promotion des Paradis fiscaux et des juridictions Offshore pour les entreprises qui désirent payer moins d’impôt. On y présente un guide en ligne (Paradis Fiscaux 2.0) qui permet de choisir les meilleures juridictions pour créer une société offshore. Sans aucune gêne, ce site publie des avis et recommandations sur les prestataires en ligne, fait la liste des meilleurs paradis fiscaux et de ceux à éviter (en raison du risque élevée de se faire attraper). On y présente la Suisse comme « l’éternel paradis des multinationales ». « Le flux [vers les comptes des banques suisses] s’est accéléré dans les années 1990 avec l’essor de la mondialisation », précise Beat Rhyner, du département de promotion économique du Canton de Zürich. Il mentionne le cas de l’entreprise étatsunienne Transocean, qui y a installé son siège social fin 2008, pour des raisons fiscales. Cette entreprise, qui a été citée pour ses responsabilités dans l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon au large de la Louisiane, a choisi d’installer son nouveau siège social dans le canton de Zoug. Ce canton est celui qui offre un des taux d’imposition les plus bas en Suisse. Auparavant, les bureaux de Transocean étaient basés aux îles Cayman. Mais comme plusieurs autres multinationales des États-Unis, elle a récemment quitté les Caraïbes pour s’installer en Suisse. « Ces sociétés ont peur d’éventuelles mesures de rétorsion de l’administration américaine » affirme Beat Rhyner.

Dans un article paru initialement sur le nouveau blogue de l’OCDE mais reproduit en français sur le site du magazine Alternatives Economiques, où il est journaliste, Christian Chavagneux souligne lui aussi que les paradis fiscaux sont au service des multinationales. « À partir des données de la Cnuced, on peut estimer qu’environ 30 % des stocks d’investissements directs à l’étranger (IDE) des entreprises sont localisés dans les paradis fiscaux. Une analyse de la répartition géographique de ces stocks pour les firmes américaines à la fin 2010 montre que les Pays-Bas, le Luxembourg, les Bermudes ou l’Irlande arrivent bien avant l’Allemagne, la France ou la Chine. »

Malgré leur responsabilité dans la croissance des inégalités des 20 dernières années, les grandes entreprises mondiales continuent à imposer leurs règles aux gouvernements. Dans le budget du gouvernement conservateur du Royaume-Uni présenté en mars, le chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) George Osborne a annoncé que les filiales étrangères des multinationales britanniques verraient leur fiscalité diminuer d’un milliard de livres par année d’ici 2015. Plusieurs analystes ont dénoncé cette mesure, estimant qu’elle encouragera les entreprises britanniques à devenir des ‘multinationales’ en créant des filiales via des comptes offshore ! Faut dire que les plus grosses firmes britanniques donnent l’exemple : sur les 100 entreprises du FTSE 100, seulement deux d’entre elles ne déclarent pas de filiales dans les paradis fiscaux. Les 98 autres entreprises déclarent 34 216 filiales, dont le quart installé dans des paradis fiscaux ! Les quatre grandes banques britanniques – HSBC, Barclays, Lloyds Group, et RBS – en déclarent 1 649 !

Dans le prochain billet, les paradis fiscaux et les pays en développement.

Discussion

Commentaire pour “Les paradis fiscaux (1) : le paradis du 1%”

  1. [...] avons vu, dans les billets précédents [Les paradis fiscaux: le paradis du 1% pour le premier et Les paradis fiscaux: une injustice insupportable pour le second], que les [...]

    Écrit par Oikos Blogue | Les paradis fiscaux (3) : des changements sont possibles | mai 23, 2012, 6 h 11 min

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