Nous avons vu, dans les billets précédents [Les paradis fiscaux: le paradis du 1% pour le premier et Les paradis fiscaux: une injustice insupportable pour le second], que les paradis fiscaux sont au service du 1% et que les pays en développement vivent un enfer social du fait de leur existence. Nous allons aujourd’hui faire un petit bilan des actions pour combattre ces paradis du crime. Ils sont un paradis en raison du fait qu’on accepte le principe du secret. Les solutions passent donc, en tout premier lieu, par une plus grande transparence.
Écoutons à ce propos Hélène Rey, que je citais dans le premier billet de la série. « De même, il serait assez simple pour le G20 de rendre l’évasion fiscale plus difficile. Il semble évident que les banques devraient fournir les données relatives à leurs déposants sur la base du bénéficiaire ultime et non sur la base de la résidence. […] Un principe similaire devrait s’appliquer aux portefeuilles détenus dans les fonds de placement des paradis fiscaux. Il suffirait ensuite de pousser pour un échange automatique de l’information (et non volontaire comme aujourd’hui) sur les revenus des Italiens au Luxembourg par exemple. Le Trésor italien pourrait demander au Luxembourg de retenir une taxe sur ces revenus et de la lui reverser. Cette procédure ne demanderait aucune levée du secret bancaire. »
L’Allemagne aurait déjà signé une telle entente avec la Suisse, qui collectera et transmettra au gouvernement allemand les recettes fiscales retenues auprès de ses citoyens. On parle d’un revenu de 10 milliards d’euros par année. Berlin voudrait aussi négocier un accord permettant de récupérer les revenus fiscaux pour les 10 dernières années, l’imposition des gains de capital à un taux de 26,4% ainsi que la possibilité pour les héritiers de compte bancaire suisse de conserver leur anonymat en échange d’un impôt de 50%. L’entente doit maintenant passer devant le parlement de l’Allemagne. L’opposition social-démocrate et écolo a déjà annoncé qu’elle voterait contre parce que l’entente est, à leurs yeux, trop favorable aux contribuables fautifs.
Comme solution intermédiaire qui pourrait s’appliquer immédiatement, cette proposition reste néanmoins intéressante dans la mesure où elle permet de diminuer le coût de l’évasion fiscale, le temps de trouver des solutions plus permanentes qui passent nécessairement par le biais d’une régulation internationale forte des flux financiers. Certains pays ont déjà trouvé des solutions équivalentes, qui leur permettent cependant de garder un contrôle national de cette imposition. Le Brésil, par exemple, a décidé d’imposer les gains de capitaux réalisés par des non résidents au Brésil d’une prime supplémentaire de 10% lorsque ces gains sont déposés dans des paradis fiscaux. Notez que le Brésil considère que tous les pays dont les taux d’imposition sur le revenu sont inférieurs à 20% sont des paradis fiscaux.
Pour Christian Chavagneux (voir mon premier billet de cette série), la lutte contre les paradis fiscaux, qui avait été l’une des principales priorités affichées lors du G20 de Londres en avril 2009, est un échec. Si la chasse aux fraudeurs fortunés a fait quelques modestes progrès, dit-il, les comportements fiscaux douteux des multinationales n’ont pas été remis en cause et le contrôle des paradis fiscaux comme vecteurs d’instabilité financière a été abandonné. D’après une étude de deux chercheurs, Niels Johannesen et Gabriel Zucman, les efforts du G-20 n’ont donné jusqu’ici que très peu d’impact sur les dépôts bancaires dans les paradis fiscaux. Seule une minorité de clients ont réagi, en transférant leur argent vers les pays les plus opaques du groupe des paradis fiscaux. Au total, ils évaluent à 2 700 milliards $ les sommes encore placées dans les paradis fiscaux en 2011, soit le même montant qu’ils avaient évalué en 2007.
Le plus important, nous dit Christian Chavagneux, c’est que le G-20 ne fait rien contre les multinationales. Selon les données de la Cnuced, on estime qu’environ 30 % des stocks d’investissements directs à l’étranger (IDE) des entreprises sont localisés dans les paradis fiscaux. Le G20 n’a rien entrepris pour lutter contre ces pratiques. L’agence Bloomberg a récemment donné l’exemple de Google qui peut afficher un taux global d’imposition sur ses bénéfices de 2,4 % ! Sans ces États voyous, qui parasitent les systèmes fiscaux nationaux, cela ne serait pas possible.
Pour contrer ces parasites, plusieurs organisations de la société civile exigent une réglementation internationale forte qui imposerait l’établissement d’une comptabilité d’entreprise, pays par pays. Les multinationales devraient fournir leur chiffre d’affaires, le nombre de personnes employées, la masse salariale, les profits réalisés et les impôts payés, pour chacun des pays où elles sont implantées. Parmi les ONG active sur cette question, il faut signaler le travail de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) qui vise à renforcer la gouvernance des entreprises en améliorant la transparence et la responsabilité dans le secteur des industries extractives. Son activisme auprès des acteurs de la finance responsable lui ont permis de faire de la transparence de la comptabilité des multinationales un enjeu politique majeur. Aujourd’hui, le Parlement européen y serait favorable, la Commission européenne également, la loi de régulation financière américaine Dodd-Frank de l’été 2010 va dans le même sens et la Bourse de Hongkong l’aurait déjà mise en place pour les industries extractives.
Dans le cadre de la campagne présidentielle française, l’ONG CCFD-Terre solidaire a décidé de demander aux candidats quelques précisions sur leur programme de lutte contre l’évasion fiscale. François Hollande promet d’interdire aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux, mais sans préciser quels sont les territoires concernés. Jean-Luc Mélenchon, lui, met en avant la transparence financière des entreprises. Sarkozy avait juré en 2009, à l’issue du G20 de Londres, de sévir contre les paradis fiscaux. Aujourd’hui, ses grandes intentions se sont dégonflées. Le Président sortant propose de créer « un fichier national des fraudeurs sociaux et fiscaux » et un « FBI » de la lutte contre les fraudes. Mais il reste silencieux sur les multinationales et les grandes banques. Pourtant, pour Mathilde Dupré, chargée du plaidoyer Financement du développement au CCFD-Terre solidaire, ce devrait être le nerf de la guerre : « La première étape pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale est de renverser la charge de la preuve. Il revient aux entreprises de démontrer qu’elles n’utilisent pas les paradis fiscaux à des fins d’évasion fiscale. »
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