La semaine dernière j’ai publié un billet qui démontrait les risques de plus en plus élevés pour que l’économie mondiale débouche sur une crise encore plus importante que celle de 2008-2009. Après cette Grande Récession, la probabilité serait en effet assez forte qu’une rechute de l’activité se transforme en dépression dans la mesure où les outils de politique économique (dette, taux d’intérêt) ont en grande partie épuisé leur capacité ou leur efficacité et que les outils de réglementation n’ont jamais été mis en place pour éviter le dérapage actuel. Le dernier communiqué du GEAB (rediffusé sur OikosBlogue) présente d’ailleurs un scénario ‘catastrophe’ pour cet automne !
Mais je voudrais aujourd’hui compléter cette réflexion en proposant une série de solutions possible pour éviter le pire. Je m’appui sur un billet de Dan Kervick, professeur de philosophie, paru sur le site de ‘naked capitalism’ : « Public Money for Public Purpose: Toward the End of Plutocracy and the Triumph of Democracy – Part Six ».
Dan Kervick propose six séries de mesures qui permettraient de « réencastrer l’économie dans la société », comme le proposait en son temps Karl Polanyi. Le processus de financiarisation des trois dernières décennies aurait en effet approfondie l’autonomisation de l’économie des diverses contraintes sociales qui avaient été mis en place pendant la période fordiste-providentialiste. Avec la révolution ultralibérale – avec Reagan-Thatcher – ces contraintes ont en effet été graduellement éliminées pour faire place à un laissez-faire de plus en plus suicidaire, qui pose aujourd’hui la question de la vie sur Terre, telle que nous la connaissions jusqu’à maintenant. Ces 6 propositions visent donc à reconstruire un ensemble de contraintes sociales pour réencastrer l’économie.
1) une politique de plein emploi : reconstruire une architecture économique dans laquelle toutes les personnes capable et intéressées à travailler puissent accéder à un emploi, dans les sphères de l’économie publique, privée ou sociale. Faire le choix du plein emploi c’est choisir d’aller contre un système de pouvoir ‘ploutocratique’, nous dit Kervick, qui impose le laissez-faire parce que cela sert les intérêts d’une oligarchie. Lorsque l’économie privée ne peut fournir du travail à tous, c’est à l’économie publique et sociale de prendre le relais en imposant les mesures qui s’imposent.
2) un programme d’investissements publics : la deuxième série de mesure (étroitement liée à la première) est de programmer un vaste plan d’investissements publics qui permettrait, à la fois, d’utiliser à meilleur escient l’énorme masse de capitaux existants et de créer de nouvelles infrastructures publiques pour répondre aux enjeux actuels. Kervick ne parle pas ici des seules infrastructures économiques (de transport par exemple), mais des infrastructures sociales, en particulier un système d’éducation universel (plus que tout autre frappé par la crise économique aux États-Unis). Mais cette série de mesure en implique nécessairement une 3e…
3) une nouvelle régulation des marchés financiers : dans le contexte de crise des finances publiques que nous connaissons, le financement d’un vaste plan d’investissements publics exige de repenser la régulation du secteur financier. Mettre fin de manière radicale à l’autonomisation de la finance en créant un pôle public du secteur financier qui permettrait de canaliser une part significative de cette finance vers des objectifs publics et en renforçant la réglementation du secteur.
4) réorganiser la politique monétaire : Kervick propose un renouvellement de la politique monétaire grâce à une ‘monétisation’ de la dette. Autrement dit, en réutilisant l’outil de la création monétaire pour financer les dépenses publiques.
5) promouvoir l’égalité : la 5e série de mesures vise à promouvoir de façon décisive une véritable égalité des conditions économiques. Dans un pays comme les États-Unis, où les valeurs du libéralisme économique sont solidement ancrées dans la philosophie de la vie quotidienne, c’est tout un programme. Mais dans d’autres sociétés, comme au Québec, ces mesures consistent à renforcer les valeurs sociale-démocrates qui ont été malmenées par quelques décennies de l’offensive ultralibérale.
6) régulation de l’environnement et de notre bien commun : finalement la dernière série de mesure proposée par Kervick est de réaffirmer la nécessaire régulation publique du bien commun, et en particulier de l’intégrité écologique de la planète qui est menacée par le modèle économique actuel.
Je n’ai fait ici que résumer les idées phares de Dan Kervick. Il vaut la peine d’aller consulter son argumentation qui, toute entière, repose sur l’absolue nécessité de renouveler notre vie démocratique comme stratégie pour sortir du régime ploutocratique.
Juste une remarque concernant la quatrième proposition de DK. Ce n’est pas parce que les Etats se financent « sur les marchés » en émettant des titres que le financement n’est plus assuré par une création monétaire. En effet, les banques souscrivent des titres publics ou en achètent en Bourse, ce qui se fait toujours en créant de la monnaie. Ce qui a changé, c’est que ce n’est plus le couple Etat-banque centrale qui fixe le taux auquel les banques domestiques souscrivent (sous forme de bons en compte courant à la Banque centrale), mais « les marchés » (via les taux implicites déduits des cours qui s’y forment pour les anciens titres. C’est ainsi l’internationalisation du financement courant des Etats qui est la nouveauté qui nous aconduit à la crise actuelle ou prévisible.