Dans l’article précédent, nous avons abordé le défi de l’action politique et du développement durable avec Gérald Larose en mettant à profit son expérience à la direction des Rencontres du Mont-Blanc. Aujourd’hui, nous profitons de la présence sur place à Rio du président du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ), René Lachapelle. Le GESQ est une coalition d’organisations qui croise depuis plus d’une décennie les thématiques de la coopération internationale et de l’économie solidaire au Québec et ailleurs dans le monde.
Ouvrir les possibles : le défi d’élaborer une plate-forme-politique
« Au cours de la dernière année, nous dit René Lachapelle, le GESQ, en partenariat avec la Caisse d’économie solidaire Desjardins et les Rencontres du Mont-Blanc, a travaillé sur la nécessité de changer de modèle économique. C’est ce qui explique notre présence à Rio. Or, il est manifeste que la confusion entre croissance et développement, la prépondérance de l’économie virtuelle sur l’économie réelle et les inégalités sociales en termes d’accès à la richesse collective ont provoqué une crise sans précédent au plan de l’environnement (énergie et climat) et de l’alimentation. » Mentionnons ici que les choix politiques de l’ÉSS faits à Chamonix en novembre dernier sont condensés dans une Lettre aux chefs d’État dont l’initiative revient au Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire (FIDESS). Elle s’articule autour de cinq chantiers : a) démocratiser l’économie, favoriser sa territorialisation et réguler la finance; b) promouvoir un mode de gouvernance partagée des entreprises; c) offrir de nouveaux choix sociaux dans le registre des politiques publiques; d) mieux nourrir la planète; e) réorienter la mondialisation pour l’humaniser. « Ce programme, nous affirme le président du GESQ, est clairement politique et repose sur la conviction que l’ÉSS apporte une contribution significative à un retour à l’économie réelle. »
Un autre défi politique : des législations favorables aux coopératives et à l’ÉSS
« Mais ce n’est pas suffisant à ses yeux m’écrit-il de là-bas car «cette approche politique de la crise présente un autre défi pour l’ÉSS : sa reconnaissance doit passer par des représentations politiques auprès des États pour qu’ils s’engagent à contribuer au changement du modèle économique, mais aussi – et peut-être surtout – pour de très nombreux pays, par des luttes pour faire reconnaître des droits collectifs sur le plan socioéconomique. Il faut donc identifier dit-il des projets concrets à soutenir, les ressources requises pour permettre une prise en charge des populations sur leur propre développement. En pleine période où au Québec se multiplient les programmes publics et privés qui définissent ce que les collectivités locales doivent faire, il est urgent de développer l’esprit critique et l’action autonome, la coopération conflictuelle plutôt que l’adhésion aux programmes. »
Et d’ajouter qu’il faut surtout faire en sorte que ce défi politique apparaisse dans l’espace public, notamment à l’occasion des élections. Il y a donc un défi politique à court terme, mais dit-il, il faut l’inscrire sur un horizon de moyen et long terme qui devrait nous inciter à remettre en valeur l’éducation populaire afin de mieux cerner les alternatives en mesure de constituer des projets structurants pour les communautés. Il m’informe que le nouveau Ministre français délégué à l’ÉSS, Benoit Hamon, est présent parmi eux à Rio et affiche très clairement le choix du président Hollande de soutenir l’ÉSS. Le ministre Hamon nous a précisé les intentions de la France dans ce domaine en annonçant « la création d’une banque publique dédiée à l’investissement dans l’économie sociale et solidaire, la création et la reconnaissance professionnelle d’emplois dans le secteur associatif et l’établissement de partenariats avec les pays qui se sont donnés une politique de développement solidaire, notamment le Brésil et l’Équateur, afin de faire reconnaître l’ÉSS comme un secteur majeur à l’échelle internationale. »
L’autre défi: converger avec les écolos et les OCI
Problème sans équivoque, les forces actuelles de l’ESS sont dispersées, ce qui est déjà un défi en soi car certaines organisations sont tentées de faire cavalier seul, c’est-à-dire s’en tenir à leur lobby traditionnel avec ce que cela comporte de cachoteries et de concurrence pour les ressources. Mais comment opérer les autres rapprochements, ceux avec les écolos et les OCI lui ai-je demandé? « Sur cette question sensible les environnementalistes ont leur bout de chemin à faire. Ils ne peuvent plus se confiner à la seule préservation de l’environnement. En termes de rapprochement, nos agendas respectifs sur place n’ont guère favorisé les contacts mais il est clair que nous ne sommes pas tout-à-fait sur le même registre. Ce n’et pas ici que les rapprochements peuvent vraiment se faire mais au Québec. À Rio, il aurait fallu des activités communes. Partie remise! Mais il faudra travailler en profondeur. Pas de tension…mais pas encore de passion commune non plus! »
« Il en va de même pour les organismes de coopération internationale (OCI) qui, pourtant, sont déjà pour la plupart engagées avec des partenaires au Sud dans des démarches d’ÉSS. Obstacle en vue cependant, ces dernières ont vu leurs ressources fondre comme neige au soleil avec la mise en œuvre de nouvelles politiques du gouvernement Harper. C’est notamment pour cela que le GESQ, dit-il, étudie sérieusement le projet de création d’une Agence québécoise de développement international (AQDI) discuté en février dernier dans le cadre d’une assemblée générale spéciale de l’AQOCI. Cette proposition ne doit pas rester lettre morte. »
La rencontre organisée par le FIDESS à Rio : un succès d’estime
Interrogé sur «le side-event» (sic!) du FIDESS, il me répond que ce Sommet de la Terre n’aura pas laissé une grande place à l’ÉSS dans la formulation de ses consensus. À la déception de plusieurs dont, notamment le Forum international des dirigeants de l’économie sociale – Rencontres du Mont-Blanc (FIDESS-RMB) et son programme de cinq chantiers prioritaires qu’il souhaitait être pris en considération par les chefs d’État présents. En fait ces propositions concrètes avaient été mises sur la table en mars dernier à New-York dans le cadre des travaux préparatoires à Rio+20, travaux où le FIDESS les avait soumises. Au meilleur, ce serait une façon de lutter contre la pauvreté dans les États du Sud dit-il confirmant en cela le communiqué de presse laconique (19 juin) du FIDESS affirmant que l’ÉSS ne peut plus se contenter de quelques lignes au paragraphe 70 du projet de résolutions. Mais selon René Lachapelle, sur place, le FIDESS-RMB persistait toutefois à revendiquer que l’ONU reconnaisse l’ÉSS comme un nouveau secteur majeur en plus de ceux actuellement reconnus, ce qui serait une avenue permettant de poursuive la recherche d’une visibilité politique qui s’impose.
Lors du panel de conclusion de cette rencontre, Ignacy Sachs, professeur émérite à l’École des hautes études en sciences sociales en France et vétéran du développement durable depuis 1972 nous disait : « Nous avons l’obligation de considérer le long terme, car les marchés, eux, sont myopes. L’événement organisé par le FIDES-RMB constitue donc un point de départ plus qu’un point d’arrivée d’affirmer René Lachapelle. En revanche, il est significatif que ce dernier ait attiré plus de gens que la salle prévue pour 200 personnes ne pouvait en contenir et que le panel de conclusion ait compté la présence de deux ministres responsables de l’économie, Benoit Hamon (France) et Diana Quirola (Équateur). » Bref un succès d’estime qui pourrait faire long feu et se prolonger dans les débats du Sommet international des coopératives en octobre prochain au Québec.
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