Dans un premier billet nous avons vu que l’AQOCI avait sonné l’alerte. Dans le deuxième nous avons vu l’hémorragie du financement de ses membres par décision de l’ACDI datée du 23 décembre, ce qui est à l’origine de son assemblée générale spéciale du 17 février. L’AQOCI doit donc mobiliser ses membres mis en péril. Cette mobilisation ne fera cependant pas sans clarifier deux autres sujets : la crise existentielle latente de certaines OCI et la dépendance de la majorité des OCI d’un mono-financement public. Déplions un peu plus mais surtout terminons cette série par des pistes de sortie de crise.
En finir avec la crise existentielle sur la notion de développement
Le droit au développement? Oui peut-être mais quel développement ? La croissance contre le développement : vraiment ? Développement ou décroissance ? Et si, par hasard, la question était très mal posée. Si on parlait plutôt de stratégies de dépassement du modèle économique dominant pour contrer une triple crise qui est tout à la fois économique, sociale et écologique à la même hauteur. De là quelques propositions qui apparaissent présentement dans certaines organisations : 1) renforcer la maîtrise collective et internationale du réchauffement de la planète et contrer l’affaiblissement de sa biodiversité. En d’autres termes, il y a devoir de répondre à l’urgence écologique; 2) ne pas laisser se privatiser des biens considérés d’intérêt commun comme les secteurs sociaux stratégiques de la santé, de l’éducation ou de la culture, de même que les ressources que sont la terre, l’eau, les sources d’énergie, les forêts, etc.. En d’autres termes, le renouvellement de l’État et de ses politiques économiques, sociales et environnementales; 3) investir dans la démocratisation de l’économie et sa «biodiversité» comme l’avançait avec propos récemment le v.-p. de l’Alliance coopérative internationale (ACI) à Québec.
Bref, le travail de coopération internationale par le développement endogène de communautés locales est très loin de suffire. La recherche d’alternatives globales s’impose cependant avec une nouvelle perspective : celle de la défense des écosystèmes de la planète et la plus forte dimension internationale des pistes de sortie de crise. L’économiste Jean Gadrey constate que nous assistons « à la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique ». Le diagnostic est excellent. Mais le même économiste nous dit : le dilemme n’est pas entre croissance et décroissance. La question est quoi faire croître et quoi ne pas faire croître ?
C’est en sortant de ce faux dilemme un peu paralysant que l’ensemble des OCI finiront pas reconfigurer leurs valeurs communes et se remettre en phase avec nombre d’organisations au Québec pour lesquelles la crise écologique est incontournable mais qui ne trouve pas solution dans le repli sur la simplicité volontaire et la formulation passe-partout de l’auto-développement à petite échelle.
Contrer la dépendance du financement public fédéral
Le financement public de la coopération internationale est parfaitement justifié et justifiable. Mais la question n’est pas là. Il faut que les OCI cessent d’être rivés à ce seul type de financement. Voici quelques pistes dont il faut poursuivre l’exploration.
1. L’expérience de l’ONG EnRacine
C’est par hasard que je suis tombé sur le numéro de janvier du magazine L’actualité. Dans la rubrique Monde, un article intitulé Les jeunes qui plantaient des arbres. L’histoire d’une petite ONG de Montréal née en 2007 qui soutient la reforestation dans une région devenue désertique au Nicaragua après qu’une multinationale eût siphonnée ces terres pendant 30 ans par une culture intensive du coton. 466,000 arbres plantés. EnRacine, nom de cette ONG soutenue initialement par la CDEC de Rosemont-Petite-Patrie et la Caisse d’économie solidaire Desjardins, est entré dans une démarche de financement qui l’a conduit à se stabiliser. C’est un financement dans la durée et qui n’est pas du tout un financement public mais bien plutôt celui du marché du carbone. EnRacine a profité du marché volontaire du carbone européen mais aussi canadien en vendant des crédits de carbone au Québec à des entreprises comme Cascades ou BMB (matériaux de construction). Au final, c’est 700 familles d’agriculteurs au Nicaragua qui en bénéficient. D’une pierre, deux coups! L’ONG se finance dans la durée et fait du développement durable en Amérique centrale. À plus grande échelle – parce que EnRacine, c’est de l’intervention micro – on peut imaginer qu’il y a là une source inexploitée en pleine expansion qui pourrait devenir fort pertinente.
2. L’expérience du Fonds Solidarité Sud : le patrimoine financier des retraités
Miser sur le patrimoine financier des générations qui arrivent à la retraite par la constitution de fondations ou de fonds de dotation. À l’initiative de personnes engagées depuis longtemps dans la coopération internationale, en provenance de différentes régions du Québec et de différents groupes de professionnels, un fonds de dotation a été créé en 2007 par un réseau devenu une association de solidarité en 2010. Ce fonds est le Fonds de dotation Solidarité Sud (FSS).
L’association et son fonds a, au plan financier, des objectifs ambitieux : disposer d’un fonds de capital de plusieurs millions de dollars afin de doter la solidarité internationale du Québec de meilleurs moyens et de meilleures garanties de durée et d’autonomie par rapport à toute autre source (publique, privée) de financement. Le capital est inaliénable. Ce sont les intérêts du Fonds qui sont utilisés. La composition du Fonds : des polices d’assurance vie, des legs testamentaires et des liquidités obtenues d’une cinquantaine de personnes faisant des dons majeurs mensuellement. Problème: le capital issu des legs testamentaires et des polices d’assurance ne profitera cependant qu’à moyen terme. Rien n’empêche ! C’est un outil financier innovateur à examiner de plus près tout comme les fondations que certaines OCI ont récemment mis sur pied.
3. Un fonds québécois d’investissement solidaire avec le Sud
Ici c’est un projet global qui concerne toutes les OCI. Il s’agirait là d’un fonds d’investissement bâti à l’image des fonds de travailleurs. Il serait soutenu a) par des fonds publics par des déductions d’impôts et une subvention de départ du gouvernement du Québec; b) par l’épargne de retraite des travailleurs qui y consentent étant donné les avantages; c) par le placement d’argent d’organisations syndicales, coopératives, universitaires, de solidarité internationale, d’associations professionnelles…Vous doutez!? L’OCI française Terre solidaire avec la SIDI l’a fait. La SIDI, née en 1983, est une société financière qui octroie des prêts, des garanties de prêts, et participe aux structures de financement de proximité dans le Sud qu’elle appuie. «Elle facilite ainsi l’accès au crédit des acteurs de l’économie populaire» dit-on à Terre solidaire. Son financement provient de placements à rendement social de ses membres. Au 1er janvier 2011, ce fonds atteint un encours de 60 millions d’euros, apportés par près de 5 000 souscripteurs.
4. Le projet d’une Agence québécoise de développement international (AQDI)
Nous en avons déjà parlé dans un billet qui a précédé cette série. Il est clair que la pleine maîtrise de notre développement au Québec en matière de coopération internationale participe du mouvement d’affirmation nationale au Québec, mouvement ouvert sur le monde depuis René Lévesque jusqu’à aujourd’hui. Figure de proue de ce projet : Louise Beaudoin, qui a longtemps, très longtemps été le porte-étendard des relations internationales pour le PQ et qui poursuit sa démarche à cet effet comme elle l’a manifesté directement comme invitée spéciale de l’AQOCI à son assemblée du 17 février. Dans un futur rapproché, n’importe quel gouvernement du Québec qui en aurait la volonté politique pourrait avancer $50 millions pour créer dès maintenant l’agence en question et simultanément demander le rapatriement du $800 millions que nous injectons comme Québécois annuellement dans l’ACDI. Les membres de l’AQOCI ont plutôt très bien accueilli le projet. Mais tous étaient conscients des écueils d’un tel projet : la mobilisation très large à faire sur le projet et le contexte tendu d’un mouvement nationaliste fragmenté. Enjeu pour la prochaine élection québécoise. À voir!
Ces quatre pistes ne sont pas mutuellement exclusives et ne sont pas les seules non plus. Elles nécessitent un effort considérable dans la durée. Une bataille avec des résultats escomptés à moyen terme mais commençant tout de suite. Et elles ne renient pas non plus la nécessaire mobilisation politique en direction de l’ACDI. Travail de longue haleine en vue. Chose certaine, les OCI devront davantage compter sur leurs propres moyens dans la décennie qui vient. Cette série de trois billets visait à poursuivre le débat. N’hésitez pas à me relancer en commentant l’un ou l’autre de ces trois billets!
Collaboration à la recherche : Rejean Mathieu, professeur retraité (UQAM), membre du GESQ.
[...] une série de trois billets publiés l’hiver dernier je concluais qu’un des principaux défis des OCI était de se défaire de la dépendance du [...]