Un quatrième mandat Charest serait probablement le plus décisif pour les lobbys qui veulent faire main basse sur les richesses naturelles du Québec. Non seulement verrions-nous disparaître, sans véritable compensation, une partie de plus en plus importante de notre capital naturel non renouvelable (tant des ressources naturelles qu’un écosystème fragile), qui constitue la richesse du Québec actuel, mais nous assisterions aussi au début d’un processus d’ « albertaïsation » du Québec. La mise en branle de l’exploitation des ressources énergétiques fossiles du Québec, en même temps que l’ouverture du marché québécois au pétrole des sables bitumineux (voir mon billet de la semaine dernière), créeraient un réseau de plus en plus inextricable de fils de dépendance à une économie intensive en carbone, qui représente non seulement l’ancienne économie insoutenable qui est en train de péricliter, mais en même temps, ce qui est encore pire, une économie étroitement liée aux forces sociales les plus réactionnaires des temps modernes.
Le cas le plus médiatisé de ces lobbys est celui autour de la famille Desmarais. Le Parti Québécois a, à plusieurs reprises, dénoncé à l’Assemblée nationale ces visites des ministres et du premier ministre au domaine de la famille Desmarais. Amir Khadir a posé d’ailleurs une question embarrassante en demandant au gouvernement d’expliquer les différences qu’il y aurait à faire « entre un voyage sur le yacht d’un riche entrepreneur et des séjours de luxe dans le château d’un baron de la finance ? » Arcusso et Desmarais ne partagent peut-être pas le même modèle d’affaires. Mais la promiscuité du pouvoir politique avec les figures du pouvoir économique sont questionnables. La famille Desmarais est à la tête d’une des plus grandes fortunes du pays avec son conglomérat Power Corporation qui a des activités complexes sur le territoire québécois et détient un puissant empire médiatique. Elle est trop en position de profiter des ressources non renouvelables du Québec pour que nos dirigeants politiques donnent l’impression de coucher dans le même lit.
Plusieurs autres lobbys sont actifs. Grâce à des journalistes comme Alexandre Shields, qui font des enquêtes exhaustives sur les enjeux qui sont liés aux pratiques des lobbys, le voile est en partie levé sur les efforts des industries minières et pétrolières pour s’accaparer nos ressources et sur le contexte politique favorable qui s’offre à eux sous ce régime de corruption à grande échelle. Selon une recension effectuée par le Devoir à partir de la plus récente mise à jour du registre québécois du lobbying (donc de la partie visible de l’iceberg), on parle de plus d’une centaine d’inscriptions liées au secteur minier et d’un peu plus d’une cinquantaine pour les secteurs du pétrole et du gaz de schiste. Les mandats de ces lobbyistes seraient liés à la refonte de la Loi sur les mines ou encore à des demandes concernant des projets particuliers, projets qui seront développés notamment dans le cadre du Plan Nord. Certains mandats comprennent spécifiquement des demandes de « soutien financier » de la part du gouvernement du Québec.
Les intérêts en jeu sont gigantesques. Le gisement de 10 millions d’onces d’or d’Osisko, déjà en exploitation, aurait une valeur brute de 18 milliards $. Les Mines Opinaca, filiale de la multinationale Goldcorp, qui sollicite l’aide de Québec pour la construction d’une route permanente de 60 kilomètres, contiendrait quatre millions d’onces d’or et aurait une valeur brute de 7,2 milliards $. Le projet diamantifère Renard, de l’entreprise Stornoway Diamond Corporation, pour lequel le gouvernement Charest a déjà accepté d’injecter 287 millions $ dans la construction d’une route, a une valeur brute de 5,4 milliards $. Le minérai serait exporté sous une forme brute. L’entreprise Oceanic Iron Ore a mandaté deux lobbyistes-conseils, « afin que des infrastructures soient construites, notamment portuaires, dans le cadre du Plan Nord dans le but de concrétiser un projet minier d’importance dans le nord du Québec » qui permettrait d’exporter le minerai brut. Le géant Xstrata Nickel souhaite pour sa part « qu’une orientation soit prise au sujet d’éventuelles modifications à la Loi sur les mines afin de revoir le calcul des redevances compte tenu de l’impact économique projeté ».
L’Association de l’exploration minière du Québec (AEMQ), qui a neuf lobbyistes inscrits et dont le mandat consiste notamment à faire des démarches « pour que des orientations soient prises dans le but de favoriser l’accès au territoire et la connaissance géoscientifique du territoire » affirme que le projet de réforme de la Loi sur les mines pourrait « mettre à mort » l’industrie minière au Québec. La multinationale IAMGOLD a des lobbyistes qui ont le mandat de contester la nouvelle disposition qui permettrait d’interdire l’exploitation minière dans des zones urbanisées ou de villégiature. Balcorp avait, quant à elle, un lobbyiste pour aller chercher la garantie de prêt de 58 millions $ pour relancer l’exploitation d’amiante à Asbestos.
Alors que le gouvernement Charest agit dans la pure tradition des républiques de bananes, on voit de nombreux pays émergents (dont la Chine et l’Inde, le Vietnam et l’Indonésie) imposer des restrictions aux exportations de matériaux bruts par le cartel des minières, au nom de leurs intérêts nationaux. Ce qui n’empêche pas la Chine (avec ses sociétés d’État par-dessus le marché) de venir exploiter nos ressources … et nous de nous laisser faire comme des colonisés !
Dans le secteur des hydrocarbures, toujours régi par la Loi sur les mines, le mandat des lobbyistes inscrits par les entreprises du secteur inclut bien souvent des démarches en lien avec cette législation, voire avec la réforme actuellement en cours. Mais la spécificité des projets de ce secteur est qu’ils ont des implications fondamentales sur le modèle de développement économique que nous voulons nous donner pour le futur. Non seulement quelques-uns des projets (gaz de schiste dans le sud du Québec ou huile de schiste sur Anticosti) sont en contradiction totale avec la volonté des Québécois de reconvertir l’économie vers un développement plus soutenable, mais politiquement ils favorisent des puissances économiques réactionnaires alors que financièrement elles sont tout simplement à risque. Un gouvernement qui donnerait un feu vert tout azimut à l’exploitation des ressources énergétiques fossiles du Québec, en même temps qu’à l’ouverture du marché québécois au pétrole des sables bitumineux, créerait une dynamique de dépendance à une économie carbone et à des intérêts économiques qui seraient désastreux. Ce processus doit être à tout prix évité.
Info complémentaires sur Paul Desmarais:
La structure et le pouvoir du réseau :
http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/65/04/15/PDF/Dicko_Breton.pdf
Collectionneur de pions politiques :
http://www.globeinvestor.com/servlet/ArticleNews/story/GAM/20051028/RO11TOP25