Que de conneries peut-on dire au sujet de la productivité. François Legault n’invente rien, mais il innove dans la façon de maltraiter cette notion. Alors que généralement on mélange les notions d’effort au travail et de productivité, dénonçant au passage la paresse des Québécois comme ‘explication’ de la faiblesse de la productivité de l’économie du Québec, M. Legault en vient maintenant à culpabiliser les jeunes face à leur supposé méfiance face à la notion de productivité !!!
Non seulement ‘Mononcle’ Legault nous montre ses préjugés envers les jeunes, mais il fait en même temps montre d’une incompréhension totale du concept de productivité, ce qui n’est surement pas étranger au fait qu’il était un dirigeant d’entreprise plutôt conservateur. Pourtant, un dirigeant d’entreprise devrait mieux comprendre que la productivité relève d’abord et avant tout du capital mobilisé (c’est-à-dire des innovations techniques et organisationnelles) plutôt que de l’intensité de l’effort des employés. Mais cette réflexion idiote de ‘Mononcle’ Legault nous montre qu’il s’alimente aux travaux des économistes de droite, dont l’agenda est de pervertir la réalité économique du Québec dans un but étroitement idéologique.
Un exemple : le cas du Centre sur la productivité et la prospérité des HEC-Montréal. Récemment, les économistes de ce centre ‘dépouillaient’ les données sur la productivité de l’économie québécoise afin de démontrer que le Québec traîne de la patte depuis 30 ans et qu’il est en voie de devenir la province la plus pauvre du Canada. Cette proposition n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, il est généralement admis dans la communauté des économistes que la croissance de la productivité de l’économie canadienne, et à plus forte raison de celle du Québec estime-t-on, est systématiquement inférieure à celle de l’économie des États-Unis. Or, on s’est aperçu que cet écart est plus ou moins important selon la mesure de la productivité utilisée. Par exemple, les écarts sont systématiquement plus faibles lorsqu’on utilise la méthode de la PMF. Mais Baker et Rosnik (2007) ont été encore plus loin : en corrigeant la mesure conventionnelle de la productivité d’une vingtaine de pays de l’OCDE par divers facteurs qui faussent le potentiel de croissance des niveaux de vie, tels que le déficit du compte courant ou le taux d’investissement net, ils arrivent à des résultats surprenants : la performance des États-Unis serait moins bonne que celle du Canada.
Dans cette optique, plutôt que nous référer aux analyses biaisées du Centre sur la productivité et la prospérité des HEC-Montréal, nous préférons utiliser les analyses réalisées au sein du Centre for the Study of Living Standards (CSLS) d’Ottawa, qui osent sortir du cadre étroit de la pensée économique dominante, faisant souvent appel aux théories hétérodoxes. Selon l’étude réalisée au CSLS par Christopher Ross (2011), la productivité de l’économie québécoise n’est pas dans l’état catastrophique que prétendent les économistes des HEC. Lorsqu’il examine le taux de croissance de la productivité du travail pour la période 1997-2007, le Québec se range en 6e place avec un taux annuel de 1,8%, devant l’Ontario (1,7%). Mais lorsqu’il examine le niveau de productivité du travail, il constate que le Québec se classe en 4e place, tout juste derrière Terre-Neuve, l’Alberta (c’est-à-dire les deux provinces qui profitent le plus de leur dotation en pétrole pour hausser leur niveau de productivité) et l’Ontario. La faiblesse du Québec, admet Christopher Ross dans son étude, est d’abord et avant tout celle de l’intensité capitalistique de son économie. Le constat est clair lorsqu’il passe à l’analyse du niveau de la productivité du capital : en 2007 le Québec était en 5e position. Cependant, sa position s’améliore graduellement : pour la période complète 1997-2007, le Québec s’illustrait avec la 2e plus forte croissance de la productivité du capital (0,4% versus une moyenne canadienne de -0,6%). Néanmoins, comme je le mentionnais plus haut, ces mesures partielles ne donnent pas la meilleure image de la croissance réelle du progrès technique. Pour cela il faut plutôt faire appel à la productivité multifactorielle (PMF). Or, selon l’étude de Christopher Ross, le niveau de la PMF du Québec en 2007 lui permettait de se classer en 3e position alors que le taux de croissance de la PMF pour la période 1997-2007 (0,9%) lui permettait de se classer également en 3e position (devant l’Ontario, avec son 0,8%).
Note : cette réflexion est tirée d’une note d’intervention sur le thème de la productivité soutenable qui devrait être publiée prochainement par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).
[...] déjà publié, pendant la campagne électorale, un billet sur OikosBlogue qui reprenait une partie du contenu de ma note d’intervention. J’y contestais les prétentions [...]